Les ressources naturelles donnent lieu à une panoplie d’interprétations quant à leur gestion. Tandis que certain.e.s les placent très bien dans le contexte de la mondialisation, d’autres prônent une gestion locale. C’est un sujet chaud où chaque parti a son opinion et son intérêt. Avec la multiplication des discussions autour de la crise climatique, il y a lieu de réviser les modèles classiques de gestion des ressources naturelles. Quelles solutions s’offrent à nous? La gestion locale des ressources naturelles pourrait-elle être un moyen de freiner les surexploitations auxquelles nous assistons?
Par Sabrina Boulanger, journaliste multimédia
Les notions de ressources naturelles et de communauté
Tout d’abord, lorsqu’on parle de gestion locale des ressources naturelles, on entend que la gestion repose dans les mains d’une communauté au sens d’un ensemble de population localement identifiée par un espace géographique. Cette communauté n’est pas nécessairement homogène; elle peut comporter des gens ayant divers intérêts potentiellement divergents. (Ballet, 2007) Dans tous les cas, une communauté n’est pas une unité objective puisqu’elle « découle d’un construit sur lequel chaque individu a une emprise » (Ballet, 2007). Les ressources naturelles, pour leur part, consistent en diverses ressources minérales ou biologiques, qui permettent à l’humain de vivre. Elles comptent les ressources non renouvelables, comme le pétrole, ainsi que les ressources renouvelables, qui normalement se régénèrent si elles sont adéquatement gérées. Spécifions que dans les ressources renouvelables, les sols et l’eau doivent être comptés, par exemple, qui portent forêts et élevages, ainsi que les ressources génétiques telles que les plantes cultivées et animaux domestiqués (Ramade, s. d.). Maintenant, on parle de surexploitation lorsque le rythme de prélèvement des ressources dépasse celui de la régénération. Cette surexploitation peut ainsi également avoir lieu auprès des ressources dites renouvelables.
Les ressources – à chacun et à personne ?
En 1968, Garrett Hardin popularise le concept de la tragédie des communs; côté écologie, cette théorie dit que l’absence de droits de propriété mène à une surexploitation des ressources. Le problème résiderait dans la non-appartenance des ressources à qui que ce soit, mais donc dans leur appartenance à chacun également. On suppose ainsi que chacun désire aller y chercher son dû, et ce au dépens des autres ou de la pérennité de la ressource sur le temps long. Des critiques ont été faites à cette théorie, relevant qu’il y a une distinction à établir entre la propriété commune et le libre accès. Ainsi, le problème évoqué plus haut s’appliquerait dans les cas où il y a un accès libre et non régulé à une ressource, mais pas forcément là où il y a propriété commune.
Plusieurs solutions ont été proposées à la problématique des communs : gestion au niveau national, privé ou local. La propriété privée et la nationalisation n’ont pas exactement porté fruit à tout coup, là où la gestion en commun laisse espoir d’un bon fonctionnement, et ce, pour plusieurs raisons. Comme le mentionnent Ballet (2007) et Ostrom (1990), on a pu constater en observant des communautés rurales que la gestion des ressources par des normes traditionnelles, sans intervention étatique, est fonctionnelle. Pretty et Ward (2001), de leur côté, poussent plus loin la réflexion et proposent que la disparition des institutions locales a pu entraîner la dégradation des ressources naturelles (Ballet 2007). Ces normes et savoirs traditionnels, elles appartiennent entre autres aux Autochtones. Ces populations possèdent des connaissances qui leur furent transmises oralement au fil des générations « sur des sujets aussi variés que les animaux, le climat, l’eau ou les plantes, ainsi que les savoir-faire et les philosophies basés sur des millénaires d’interaction avec l’environnement local » (Guillemette, 2018). Le GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) désigne d’ailleurs ces savoirs comme une « base inestimable » afin de développer une gestion des ressources naturelles adaptée aux changements environnementaux (Guillemette, 2018). Dans le même ordre d’idées, au Sommet de la Terre de Rio de 1992, on reconnaît que l’ensemble des parties devrait être impliquée dans les décisions politiques, ce qui comprend entre autres ONG, associations, locaux et Autochtones.
Gouvernance
Le pouvoir décisionnel quant à la gestion des ressources se doit de revenir dans les mains d’une population qui a un fort tissu social reposant sur la confiance, la réciprocité et les échanges, les règles et sanctions communes ainsi que sur la connectivité au travers groupes et réseaux (Pretty et Smith, 2004). Les études le confirment avec les ressources tant marines que terrestres : « […] when people are well connected in groups and networks, and when their knowledge is sought, incorporated, and built upon during planning and implementation of conservation and development activities, then they are more likely to sustain stewardship and protection over the long term » (Pretty et Smith, 2004). Il est intéressant de miser sur les connaissances qu’ont les localités de leur région parce qu’elles savent ce qui est bon pour elles. Or, leur dicter la façon de gérer leur ressource porte atteinte à leur autonomie collective, à leur aptitude à faire les bons choix pour elles-mêmes selon les valeurs et intérêts qui leur sont propres. L’autonomie est une valeur qu’il ne faut pas négliger, car elle s’affilie à l’autodétermination ou à l’indépendance des peuples, quant à leurs convictions et façons d’être. Elle doit être mise de l’avant dans la mesure où chaque peuple a le droit de s’autodéterminer, oui sur un plan politique, mais aussi – et surtout, dans le cas des ressources naturelles – sur les plans économique, social et culturel. Nous avons donc tout intérêt à déléguer la gestion des ressources naturelles aux localités, ou à tout le moins à les impliquer de près dans celle-ci.
D’autre part, la population locale est la première à observer les impacts d’une surexploitation des ressources naturelles, ainsi qu’à en subir les conséquences. La gestion locale des ressources a comme postulat initial que les communautés locales sont mieux placées que le marché ou le gouvernement en ce qui a trait à la gestion des ressources naturelles (Ballet, 2007). Suivant cette idée, il semble tout à fait logique de placer entre leur main la gestion de leurs ressources naturelles. Il existe actuellement plusieurs types de gestion; les forêts québécoises par exemple peuvent avoir une gestion intégrée, une gestion commune, une gestion écosystémique, etc., et elles se traduisent par une implication de divers regroupements populaires à plusieurs niveaux; information, consultation, participation, dévolution (Ferron, 2007). Une telle décentralisation des pouvoirs est une réponse de la part de citoyens qui désirent voir leurs ressources naturelles perpétuer dans le temps. Bien que l’on compte diverses formes de gestion locales, on trouve en chacune un point en commun : la participation des communautés locales dans le processus décisionnel. Parlant dans ce contexte-ci des forêts, Ferron insiste sur l’importance de l’implication des communautés dans les choix quant à leur territoire : « Les communautés peuvent ainsi tirer profit de la forêt selon les valeurs, les intérêts et les aspirations qui leur sont propres, améliorant le bien-être collectif de la communauté dépendante des revenus ou des usages de cette forêt » (CGFA, 2006, dans Ferron, 2007). La gestion locale permet, avec les ressources d’une communauté, des retombées notamment économiques qui sont elles aussi locales, pouvant être réinvesties encore une fois dans la communauté, participant à un cercle économique vertueux.
Les locaux ont un intérêt majeur à assurer la pérennité de leurs ressources naturelles, car elles sont nécessaires à leur qualité de vie. Les communautés constatent les dommages à l’environnement et il est de leur intérêt de prendre action à sa protection afin que leur région se porte à son meilleur. La qualité du milieu a une incidence sur les secteurs économique, social et écologique : par exemple, une gestion de la forêt qui ne respecte pas le cycle de régénération des arbres est fortement liée à la beauté du paysage pour le touriste et pour le local ainsi qu’à l’habitat naturel des animaux pour le chasseur et pour la conservation de la biodiversité. Une bonne gestion de la forêt mène également à une stabilité d’emploi puisque son utilisation pourra être constante.
Pour une gestion polycentralisée
La gestion locale semble offrir de nombreux avantages en termes de gouvernance : considération des intérêts, valeurs et savoirs des communautés locales; valorisation du capital naturel; réduction des comportements reprochables à l’égard de l’environnement, etc. (Ballet, 2007) Une approche du type one size fits all est à rejeter – chaque communauté est unique. Nous aurions probablement beaucoup à gagner à placer la gestion des ressources naturelles entre les mains des communautés locales, mais cette gestion nécessite sans doute également des niveaux supérieurs pour être régulées, réglementées et potentiellement redistribuées. Pour assurer la pérennité des ressources naturelles, la gouvernance n’est pas le seul plan sur lequel il faut travailler; la législation est également un aspect non négligeable une fois que l’on sort des petites localités où des liens de confiance bien tissés permettent d’éviter les comportements nuisibles. Ainsi que le suggère l’ONU, un encadrement par la loi est impératif sans quoi la dégradation environnementale se poursuivra et des droits fondamentaux seront atteints (ONU, 2019, p. 145).
Au fond, je pense qu’on a envie de prendre soin de ce que l’on aime et de ce que l’on trouve beau. Il m’apparaît ainsi beaucoup plus facile d’avoir un souci pour un territoire et une ressource si on interagit avec ceux-ci : aller en randonnée, nager dans la rivière, faire du canot, bûcher du bois, chasser… Un échelon plus bas que la communauté, il y a des familles, des individus – je pense que c’est là où débute le développement de cet attachement pour un endroit et ses trésors. Miser sur la relation entre les gens et leur territoire, je pense que c’est la clef pour embrayer la participation citoyenne dans les processus décisionnels.
Ballet, Jérôme (2007). « La gestion en commun des ressources naturelles : une perspective critique », Développement durable et territoires, URL : http://journals.openedition.org/developpementdurable/3961.
Guillemette, Mélissa (2018). « Le savoir autochtone peut-il protéger l’environnement? », Québec Science, pp. 15-21.
Hardin, Garrett (1968), « The Tradegy of the Commons », Science, volume 162, 1243-1248.
Organisation des Nations unies (2019). « Environmental Rule of Law », URL : https://wedocs.unep.org/bitstream/handle/20.500.11822/27279/Environmental_rule_of_law.pdf?sequence=1&isAllowed=y.
Ostrom, Elinor (1990). « Governing the Commons: The evolution of institutions for collective action », Cambridge, Cambridge University Press. 294 p.
Pretty, Jules, Smith, David (2004). « Social Capital in Biodiversity Conservation and Management », Conservation Biology, volume 18, no. 3, pp. 631-638.
Pretty, Jules, Ward, Hugh (2001). « Social capital and the environment », World Development, volume 29, pp. 209–227.
Ramade, François (s. d.). « Ressources naturelles », Encyclopædia Universalis, URL : http://www.universalis-edu.com.acces.bibl.ulaval.ca/encyclopedie/ressources-naturelles/.