Québec est une ville très attrayante pour les producteurs cinématographiques étrangers, et ce succès ne date pas d’hier. Il s’explique entre autres par le fait que la capitale ait des allures de villes européennes, mais à moindre coût pour les producteurs, et par la qualité de la main-d’oeuvre. En effet, les techniciens québécois oeuvrant sur les plateaux de tournage ont très bonne réputation à travers le monde parce qu’ils sont habitués à travailler rapidement et avec des budgets limités. Dans cet article, je vais m’attarder en grande partie sur un film d’Alfred Hitchcock, I Confess, tourné ici au début des années 50.
Par Marc-Antoine Auger, journaliste collaborateur
Les frères Lumière
Le premier film tourné en sol québécois en est un des frères Lumière, ni plus ni moins, en 1898. Les frères Lumière qui, au cas où vous ne le sauriez pas, sont les inventeurs du cinématographe, premier appareil de projection des films. Pour la petite histoire, auparavant, il y avait eu quelques appareils de projection, mais ceux-ci ne permettaient pas les projections en groupe. Il y a donc eu ce film, Danse indienne (1898), un court-métrage de moins d’une minute où l’on voit trois Mohawks danser en face d’un tipi. Il fut tourné à Kahnawake, et pour les frères Lumière, des Français, réaliser ce documentaire en sol québécois représentait à l’époq ue une charge de travail assez impressionnante !
Hitchcock
Revenons à la Capitale-Nationale, et faisons un bond d’un peu plus de 50 ans. Le grand réalisateur britannique Alfred Hitchcock est venu y tourner I Confess au début des années 50. La première a eu lieu le 12 février 1953 ici même à Québec. Le film raconte l’histoire d’un prêtre qui entend une confession pour le moins troublante : celle d’un homme qui avoue un meurtre. Le prêtre est éventuellement pris au piège car, sous le secret de la confession, il ne peut révéler qui a commis le meurtre. Des témoins ayant aperçu un homme en soutane peu de temps avant que le crime soit connu, il se retrouve donc à être le principal suspect dans l’affaire. Hitchcock a expliqué son choix de filmer les scènes extérieures à Québec. Il avait besoin d’une culture catholique forte, sans quoi son long-métrage n’aurait pas lieu d’être (les prêtres catholiques ayant cette particularité de ne rien révéler des secrets confessionnels). Le film comporte quelques plans marquants de la ville de Québec. Il s’ouvre sur un plan du Château Frontenac pris du traversier Québec-Lévis. Il y a d’ailleurs, un peu plus tard, une scène tournée sur cedit traversier. La majorité du film se déroule dans le VieuxQuébec, c’est une belle plongée dans le Québec du début des années 50.
Nous savons qu’à cette époque, la province de Québec est marquée par le duplessisme. Maurice Duplessis a été au pouvoir de 1936 à 1940, puis de 1944 jusqu’à sa mort en 1959. Sans trop entrer dans les détails, mentionnons que le Québec de ces années-là fut marqué par un conservatisme tant religieux que politique. Évidemment pas seulement, mais c’est tout de même ce qu’on retient majoritairement de la Grande Noirceur. Dans ce contexte socio-politique, il va de soi qu’un film racontant l’histoire d’un prêtre soupçonné de meurtre et qui a eu un enfant par le passé risque de faire face à des changements scénaristiques.
La première mouture du scénario a déplu aux autorités ecclésiastiques québécoises, qui ont immédiatement réagi en interdisant à Hitchcock de tourner dans les églises de Québec. Dans cette mouture, le personnage du prêtre était reconnu coupable. Le réalisateur britannique a réagi en disant à George Tabori, le scénariste, de réécrire le texte. Ce dernier s’est dit profondément trahi et a affirmé qu’Hitchcock luttait contre le mauvais ennemi. Au bout du compte, Tabori a quitté la production, et Hitchcock n’eut qu’à se trouver un nouveau scénariste qui accepterait de se plier un peu plus à sa volonté.
Dans d’autres versions de ce conflit, on dit que ce serait plutôt la Warner Bros. qui serait à l’origine de la modification du scénario, que le Quebec’s Censor Bureau n’aurait pas vraiment eu de problème avec le film, mais que le studio de production voulait censurer et cherchait l’appui de l’Église pour ajouter du poids à leur argumentaire. Quoiqu’il en soit, Alfred Hitchcock Studio publicity still Hitchcock n’aurait pas été mis au courant de tous les éléments censurés du film. Ce n’est que lors de la première projection, à son grand désarroi, qu’il les constata. Par la suite, enragé par la censure, il jura de ne plus jamais remettre le pied en territoire québécois.
Ce film d’Hitchcock, sans être l’un des grandioses chefs-d’œuvre qui ont fait la renommée du cinéaste, n’en demeure pas moins fascinant par l’apsect socio-politique québécois qu’on peut analyser.