Jeux de survie, un genre en manque de définition.

Soldat héroïque abattant ses ennemis par dizaines, chef d’État ayant la capacité de changer radicalement le futur par ses décisions ou preux plombier terrassant le mal pour sauver une princesse, la vaste majorité des jeux vidéo offrent à leurs joueurs de prendre la place de personnages puissants vivant des aventures aux proportions épiques. Cependant, certains présentent des expériences et des héros bien plus modestes et c’est souvent le cas des jeux de survie. À noter qu’un glossaire se retrouve à la fin de l’article.

Par Ludovic Dufour, chef de pupitre société

Bien que plusieurs des éléments caractéristiques du genre aient fait leur apparition très tôt dans l’histoire du jeu vidéo, les jeux de survie font une réelle percée avec Minecraft en 2009, puis DayZ en 2012. Depuis le succès de ce dernier avec la formule de l’accès anticipé, nombre de titres sortent chaque année avec des réussites variables. Plusieurs se concentrent sur l’aspect multijoueur, ainsi le danger vient autant des autres joueurs, voire plus, que de l’environnement. D’autres optent pour l’angle de la gestion et la stratégie, on y retrouve donc moins d’action et plus de planification. Certains se tournent vers la partie action, l’exploration ou même la création. 

Cette énumération met en lumière tout ce que le genre survie englobe et la problématique que cela soulève. Comment peut-on regrouper sous le même toit des jeux offrant une telle variété de gameplay? Si Sheltered offre des combats au tour par tour et la gestion d’un abri nucléaire, est-il raisonnable de le considérer comme appartenant au même genre que DayZ, un FPS multijoueur? 

Ce que les jeux de survie ont en commun
Tentons d’abord de voir ce qui unit tous ces jeux que l’on appelle jeux de survie. Ce type de jeu demande d’abord et avant tout de s’occuper des différents besoins d’un ou plusieurs personnages. Faim, soif, température, santé, confort, état mental, fatigue, oxygène : les jeux de survie requièrent de gérer au moins l’un de ces paramètres.

Les jeux de survie comprennent également une certaine dose d’hostilité ou de danger. Combler ses besoins demande de prendre un minimum de risque. Le joueur se retrouvera parfois devant des dilemmes, doit-il s’aventurer dans une zone dangereuse où il pourrait trouver de la nourriture ou éviter l’endroit et avoir le ventre vide un jour de plus. 

Plusieurs de ces jeux incluent également la recherche de loot. Le joueur ou la joueuse commence souvent avec peu de ressources, d’armes et d’outils et devra explorer son environnement pour augmenter ses chances de survie. De plus, cette mécanique s’accompagne, la plupart du temps, de craft. Ainsi, les joueurs et joueuses pourront transformer des objets sans valeur en outils et améliorer leur équipement. L’inventaire du joueur étant limité, il devra également choisir quoi garder et quoi abandonner.

Ce que les jeux de survie n’ont pas en commun
Pourtant, tout ça ne suffit pas à en faire des jeux qui sont similaires. Bien que Sheltered  et DayZ présentent tous deux les mécaniques énumérées et correspondent bien à ce que beaucoup imaginent lorsque l’on parle de jeux de survie, ce sont des jeux ayant des gameplay complètement différents et qui offrent donc des expériences distinctes. 

Comment parvenir à bien englober à la fois ce que l’on entend par jeux de survie tout en ayant un système de classification sensible à la différence de ces jeux? Je propose une subdivision du genre inspiré des jeux RPG. Bien que l’on puisse décrire ce qu’est un RPG, on opère une division permettant de parler plus adéquatement d’un sous-genre précis. Ainsi, si Skyrim et World of Warcraft sont tous deux des RPG, le premier est un action-RPG et le second est un MMORPG. De cette manière, on reconnaît la similitude et la distinction des deux genres. Ajoutons que cette division n’est pas anodine, car elle permet à la fois au public de mieux cibler ce qu’il cherche et au développeur de mieux exprimer ce qu’ils font. Par exemple, si je suis pour ma part friand d’action-RPG, les MMORPG ne m’attirent pas du tout. Tentons le même processus avec ces jeux de survie.

L’action survie
Dans ce premier sous-genre, les joueurs et joueuses sont généralement seul.es face à un danger. Le jeu se centralise autour d’un seul personnage suivi de près par la caméra ou même en vue à la première personne.

Comme dans les autres jeux de survie, les joueurs et joueuses sont confronté.es à une situation dangereuse et doivent s’assurer que leur personnage reste en santé. Cependant, iels contrôlent directement leurs actions. Iels ne lui demandent pas de fouiller, de se cacher, de courir ou de tirer, iels le font lui-même. 

Cette distinction donne à ce sous-genre un gameplay plus rapide et parfois stressant se rapprochant des jeux d’action. Prendre en main le personnage directement demande une part de réflexes plus grande que les autres jeux de survie. 

Cependant, contrairement à des jeux d’action pure, les ressources du joueur ou de la joueuse sont plus souvent limitées, ce qui le ou la force à économiser plutôt que de charger sans réfléchir vers le danger. La recherche de nourriture, médicaments, armes et munitions prend encore une place importante. Finalement, les affrontements sont vus comme des embûches qui menacent le personnage, et non pas comme des objectifs à accomplir. 

The long dark tombe dans cette catégorie. Le joueur seul doit faire face aux menaces du froid et de la nature sauvage dans un hiver canadien aux allures d’apocalypse. Bien que l’on passe la majorité de son temps à lutter contre le froid et la faim, le danger posé par les loups et les ours oblige le joueur ou la joueuse à apprendre à les éviter ou à les combattre.

La survie en multijoueur
Proche de l’action survie, la survie en multijoueur permet encore d’incarner un seul personnage et comporte une part d’action. Cependant, on n’est plus seul.es, d’autres survivants font leur apparition, eux aussi entre les mains de joueurs et de joueuses. Chacun.e n’ayant comme objectif que de survivre, certain.es trouveront le succès dans la collaboration, d’autres dans la confrontation.

Bien que l’environnement soit dangereux et puisse renfermer son lot d’ennemis, ici, la vraie menace vient de l’autre. Impossible de savoir si la prochaine rencontre vous permettra de vous faire de nouveaux alliés ou si votre équipement attirera la jalousie de joueurs et joueuses sans scrupule. Sachant qu’en cas de confrontation, celui ou celle qui ouvre le feu en premier l’emporte presque toujours, chaque ruelle devient une potentielle embuscade, chaque point en hauteur le repère d’un tireur isolé.

Ce sous-genre permet parfois la construction de base pour stocker de précieuses ressources, ce qui va souvent encourager la collaboration de groupes de joueurs|joueuses pour protéger leurs biens. Encore une fois, d’autres y verront plutôt l’occasion de récupérer facilement du matériel et des outils.

Finalement, ce sous-genre offre au joueur ou à la joueuse de se regrouper sous un même serveur et d’établir leurs propres règles. De cette manière, le même jeu ne sera pas tout à fait pareil d’un serveur à un autre. 

Les jeux tel que Dayz se rapproche de ce genre. Survivant égaré sur une île d’une ancienne république soviétique aujourd’hui infestée de zombies, le joueur ou la joueuse doit être prudent.e pour rester en vie. Les endroits les plus riches en ressources attirent les joueurs et joueuses, ce qui en font des lieux propices à la confrontation.

La survie stratégique
Ce sous-genre s’éloigne de l’action, de l’instantané et des moments forts en adrénaline pour davantage de réflexion et de planification. Le joueur contrôle souvent plusieurs personnages en leur assignant des tâches et tente de satisfaire tous leurs besoins.

La plupart du temps, les personnages partagent un abri qu’il faudra améliorer pour augmenter leur chance de survie. Le sens des priorités prend toute son importance au moment de choisir de nouveaux aménagements pour le lieu d’habitation.

Le volet de loot est présent comme dans les deux précédents sous-genres, car les personnages devront partir occasionnellement de leurs abris qui sont rarement autonomes. Le joueur va donc planifier quel équipement apporter, quel personnage doit prendre le risque, quel lieu visiter et quoi rapporter de ces expéditions. 

On s’approche alors d’un jeu de stratégie ou de gestion en y ajoutant les éléments d’un jeu de survie. Un extérieur dangereux, loot, craft et gestion des besoins sont toujours au centre du jeu, mais on est bien loin des autres sous-genres, car on présente la survie comme un enjeu davantage basé sur la réflexion que sur l’action.

This war of mine reflète bien ce genre. Le joueur dirige plusieurs civils coincés au milieu d’une guerre. On doit barricader la maison, se préparer à se défendre des pillards, trouver de la nourriture, se chauffer et sortir dans les rues pour trouver des ressources. Le joueur a le temps de prendre des décisions réfléchies et l’action ne fait son apparition que lors des expéditions, et même plutôt rarement.

Bien sûr, ces trois sous-genres ne sont pas des lignes fixes et toujours claires, et certains jeux pigeront dans des éléments de plusieurs de ces sous-genres. Il est également possible d’effectuer plus de séparation, mais ces trois divisions permettent d’établir de bonnes bases pour arriver à établir plus clairement ce que le jeu de survie englobe.

La survie secondaire
Malgré cette division, il y a toujours des jeux que l’on qualifie de jeux de survie qui ne se retrouvent pas dans ces catégories. De plus, ces descriptions pourraient même comprendre des jeux que l’on ne considère pas comme des jeux de survie. Par exemple, Fallout comprend des mécaniques de loot, de craft de gestion de faim et de soif. Pourtant tout le monde s’entend pour dire que c’est un RPG. Dans d’autres cas, tels que celui de Terraria, on décrit le jeu comme un jeu de survie alors qu’ils n’ont que peu de lien avec le genre. Comment se fait-il?

Eh bien, il faut prendre en compte l’importance que met un jeu sur les aspects de survie. Prenons Fallout, bien qu’il ait plusieurs aspects d’un jeu de survie, il est très facile de trouver de l’eau et de la nourriture, ces aspects sont secondaires. L’histoire et les aspects RPG eux, sont mis au premier plan.

Ensuite, pour les jeux que l’on considère comme des jeux de survie sans en avoir les caractéristiques, je propose deux explications basées sur le succès de Minecraft et Dayz. 

D’abord Minecraft peut se jouer en deux modes, survie et créatif. Le mode survie inclut la gestion de la faim, du craft, des ennemis et un cycle jour-nuit où la nuit est une menace pour le joueur. Malgré tout, on peut difficilement dire que c’est un jeu de survie, du moins dans le sens de nos précédentes descriptions. Avec quelques astuces et avec un peu d’habileté, le joueur peut s’aménager une petite base autonome où la nourriture va rapidement s’accumuler et une simple clôture va maintenir les monstres à distance. Au bout d’une heure ou deux de jeu, le mode survie commence à ressembler plus à un jeu d’exploration que de survie.

D’autres jeux ont voulu suivre le succès de Minecraft en proposant une expérience semblable à ce mode survie, c’est le cas de Terraria et plus tard Valheim. Cependant, ces deux jeux ne s’approchent que très peu d’un jeu de survie. Il est même impossible d’y mourir de faim. Si on les a considérés comme des jeux de survie, c’est avant tout à cause du rapprochement avec le mode survie de Minecraft. Ce sont bien plus des jeux d’exploration avec des mécaniques RPG.

L’autre mode de jeu de Minecraft, le mode créatif, donne plus de liberté au joueur en lui laissant construire tout ce qu’il désire sans avoir à accumuler de ressources. Le jeu prend alors l’allure d’un bac à sable sans objectif précis et laissant la créativité des joueurs s’exprimer.

D’autres jeux ont voulu exploiter cette idée, par exemple Space engineer. On les nomme aussi jeux de survie ou parfois bac à sable survie, alors qu’en réalité l’aspect survie reste bien abstrait et l’intérêt est bien plus du côté de l’originalité de la création. On les appelle encore jeux de survie, probablement par rapprochement avec Minecraft et d’autres jeux du genre. 

Finalement, DayZ avait causé tout un regain de popularité du genre survie à son lancement en accès anticipé. Cet immense succès n’est probablement pas passé inaperçu du côté des développeurs. Faire la promotion de son jeu comme un jeu de survie peut alors devenir un bon moyen d’augmenter la visibilité et les ventes, même s’il ne correspond pas vraiment au genre.

Le genre survie est donc au final assez mal défini. Le genre regroupe toutes sortes de jeux ayant parfois peu en commun et le besoin d’une définition plus claire et de subdivision commence à se faire sentir. Pour ajouter à la confusion, certains jeux s’improvisent jeux de survie alors qu’ils s’approchent de genres complètement différents.

Minecraft : Jeux d’aventures bac à sable développé par Notch (Markus Persson) puis par Mojang dont la première version alpha paraît en 2009. La première version complète est disponible en 2011, mais continue d’être mise à jour régulièrement. Microsoft rachète Mojang en 2014 et annonce en 2020 que plus de 200 millions d’exemplaires du jeu ont été vendus, ce qui en fait le jeu le plus vendu au monde. Il offre une grande liberté au joueur ou à la joueuse en le laissant construire tout ce qu’il veut à partir de cube. 

DayZ : d’abord un mode du jeu ARMA 2, le succès de ce dernier pousse Bohemia Interactive à en faire un jeu complet. Le jeu est rendu accessible dans sa version alpha dès 2013 et est un succès commercial avec 1 million de copies vendues en 1 mois. La version complète ne voit le jour qu’en 2018 après un développement chaotique.

Sheltered : Jeu de survie développé par Unicube et publié par team 17 en 2016. Le joueur ou la joueuse contrôle une famille ayant survécu à une guerre nucléaire cachée dans un bunker. Le joueur ou la joueuse devra améliorer l’état du bunker, gérer la santé de la famille et faire des expéditions en surface pour trouver des ressources. 

Loot : Anglais pour butin, il désigne dans le monde du jeu vidéo des ressources, armes, outils ou tout autre matériel utile au joueur ou à la joueuse généralement gardé.e par des ennemis ou d’autres obstacles. On entre souvent dans un endroit dans le seul but de le « looter« .

Craft : Anglais pour artisanat, désigne le fait de prendre plusieurs objets ensemble pour en fabriquer un nouveau ou les améliorer. Par exemple, transformer du métal et du bois en hache.

RPG : Role playing game, jeu de rôle. Genre de jeux où le personnage monte de niveau avec le temps et le joueur ou la joueuse contrôle les aptitudes que son personnage apprend et tente d’obtenir de meilleurs équipements. Souvent une grande attention est portée à la trame narrative et dans plusieurs cas, le joueur peut drastiquement influencer l’histoire par ses décisions.

Skyrim : Action-RPG développé par Bethesda et paru en 2011. Le joueur ou la joueuse incarne un personnage destiné à combattre les dragons et les vaincre une fois pour toutes dans un monde nordique déchiré par une guerre civile.

World of Warcraft : MMORPG développé par Blizzard, sorti en 2004. Les joueurs|joueuses sont divisé.es entre l’Alliance et la Horde qui se livrent à une guerre constante. Des centaines de joueurs|joueuses peuvent se retrouver sur les mêmes serveurs et se regrouper en clan pour faire progresser leur personnage le plus rapidement possible. 

Action-RPG : RPG mettant plus ou moins d’emphase sur l’action. Les joueurs|joueuses contrôlent leur personnage directement, évitent et bloquent les coups de leur propre chef et ripostent de même.

MMORPG : Massive multiplayer online role playing game. Jeux de rôle en ligne massivement multijoueur où plusieurs dizaines de personnes jouent simultanément. Proposent généralement des systèmes de clan afin de faciliter la coopération entre les joueurs|joueuses et permettre une forme de compétition en laissant des joueurs|joueuses se battre les un.es contre les autres. 

Fallout : Série de RPG prenant un tournant action RPG avec son troisième volet Fallout 3. Développé d’abord par Black Isle puis par Bethesda, le joueur ou la joueuse incarne un descendant des survivant.es d’une apocalypse nucléaire. Il doit trouver sa place dans un monde hostile ou différents clans et idéologies se font la guerre pour leur survie.

Terraria : Jeu bac à sable, survie, aventure développée par Re-logic en 2011. Semblable à Minecraft, mais il se penche plus du côté aventure en offrant plus d’aspects RPG. Il se distingue également par un monde en 2D.

Valheim : Jeu bac à sable, survie aventure, développé par Iron Gate disponible en accès anticipé depuis janvier 2021. Les joueurs|joueuses contrôlent un viking dans un monde purgatoire habité par divers monstres et doivent l’explorer afin d’abattre les différents boss. Il présente également plusieurs éléments RPG.

Space engineer : développé par Keen Software House, le jeu entre en accès anticipé en 2013 et n’en sortira qu’en 2019. Les joueurs et joueuses incarnent des astronautes qui peuvent miner des astéroïdes afin d’en extraire le métal et l’utiliser pour faire des constructions. Ces constructions prennent souvent la forme de vaisseaux spatiaux, mais le joueur ou la joueuse peut faire autant de projets que son imagination lui inspire.

 

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