Les États-Unis d’Amérique : comment résumer ce pays aussi vaste que puissant? Outre sa force économique, militaire ou son influence diplomatique, on connaît les États-Unis au quotidien pour ses symboles. Le drapeau américain, l’aigle à tête blanche, la liberté, le McDonald, le capitalisme, la guerre contre la drogue, les armes à feu, l’oncle Sam, le Mont-Rushmore, la statue de la Liberté, le coca-cola, la lutte au terrorisme, les Starbucks. On pourrait remplir des pages de symboles et de concepts typiquement américains. Mais au centre de cette avalanche d’idéaux et de principes, on retrouve le rêve américain.
Ludovic Dufour, Chef de pupitre société
Qui pourrait mieux prétendre que les États-Unis représenter le meilleur endroit où partir à neuf? Où pourrait-on avoir de meilleures chances de réussir, peu importe ses origines, qu’en ce pays phare de la liberté? Là où, avec de la persévérance et de l’ardeur, les plus modestes peuvent atteindre les plus hauts sommets? Y a-t-il un mieux pour prospérer que la terre des opportunités ? Eh bien oui, clairement. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), non seulement les origines des Américain.e.s jouent un rôle capital sur leur avenir économique, mais les États-Unis font même légèrement pire que le reste de l’OCDE en termes de mobilité sociale.
La mobilité sociale
Pour comprendre les chances des individus de s’élever ou de descendre d’une position sociale à une autre, on parle de mobilité sociale. Elle se décline en deux catégories de mobilité, c’est-à-dire la mobilité intergénérationnelle et intragénérationnelle.
La mobilité intergénérationnelle s’intéresse à comparer la situation actuelle des individus avec celle de leurs parents ou de leurs arrière-grands-parents. Si l’on constate que toutes les générations occupent la même position sociale, l’on considère qu’il y a très peu de mobilité intergénérationnelle et que notre place dans la société est en grande partie déterminée par celle de nos parents. Cette comparaison permet également de comprendre des changements en termes d’accessibilité à l’éducation et à la santé en plus de la différence de revenu entre les générations.
La mobilité intragénérationnelle se penche plutôt sur les parcours individuels. On peut ainsi comparer le premier emploi à temps plein d’une personne avec celui qu’il occupe lorsqu’il a 40 ans. De cette manière, on peut voir si l’on a des chances de voir ses revenus augmenter au cours de sa vie et si le dernier salaire obtenu à un lien fort avec le premier.
Alors où se trouve le voisin américain sur ces données ? Selon le rapport L’ascenseur social en panne ? Comment promouvoir la mobilité sociale de l’OCDE publiée en 2018, le revenu des enfants est fortement lié aux revenus de leurs parents et il faudrait en moyenne cinq générations pour que les enfants d’une famille à faible revenu atteignent le revenu moyen. 42% d’enfants de père à bas revenu obtiennent également un salaire bas, la moyenne de l’OCDE étant de 31%. Concernant l’éducation, dans le cas de parents peu éduqués, seulement 15% des enfants obtiennent un diplôme d’études supérieures aux États-Unis. Ce pourcentage est de 60% pour les enfants de parents éduqués. On remarque également des inégalités en termes de mobilité sociale dans les groupes racisés.
C’était mieux avant
Ce rapport note également que depuis les années 80, une sorte de « plancher adhérant » se crée pour les moins bien nantis. C’est un point qui est également soulevé par Charles Fleury, professeur agrégé au département des relations industrielles de l’Université Laval et spécialiste des statistiques sociales. Il rappelle que la période d’après-guerre a été une grande période de développement économique, mais aussi de déploiement de programmes sociaux qui ont mené à une grande amélioration des conditions sociales. Cependant, depuis les années 80, on se dirige plus vers une logique de coupures que de développements des programmes sociaux, ce qui peut expliquer ce ralentissement de mobilité.
Il nuance cependant son propos en rappelant qu’il était plus facile d’augmenter la scolarité, l’accès à la santé et les revenus de la nouvelle génération, car l’ancienne avait assez peu. Puisque leurs parents étaient plus pauvres et souvent moins éduqués : « Les enfants ne pouvaient que faire mieux ».
Simon Langlois, professeur retraité du département de sociologie de l’Université Laval, note également une grande période de mobilité au Québec, notamment chez les francophones durant la Révolution tranquille : «Ce qui a transformé le Québec, c’est précisément la scolarisation de sa population, qui a entraîné une très forte mobilité sociale ».
Il remarque aussi que cette mobilité tend à se bloquer depuis les 20 dernières années, et ce, tant au Québec qu’à l’étranger. « On dit souvent qu’une partie des nouvelles générations ne sera pas capable de connaître les mêmes mouvements ascendants que leurs parents », mentionne-t-il. Pire qu’un ralentissement de la mobilité ascendante, il s’inquiète même de l’effet inverse pour la jeunesse : « réputé pour devoir vivre moins bien que la génération précédente ».
À quoi attribuer cette tendance? M. Fleury l’attribue à la remise en question de l’État-providence et à la réduction de l’accessibilité à certains programmes sociaux. Pour sa part, M. Langlois mentionne l’importance accrue du diplôme. Dans les années 70, des personnes sans diplôme pouvaient avoir accès à des emplois de haut niveau qui, aujourd’hui, requièrent des études plus avancées. Le rapport de l’OCDE montre également que les jeunes générations ont moins d’opportunités de pratiquer des métiers qualifiés.
Ce phénomène devient problématique, car comme le fait remarquer M. Fleury, malgré les principes égalitaires du système d’éducation, les écoles fréquentées influent beaucoup sur les chances des individus de décrocher un diplôme universitaire. Plus qu’une simple comparaison entre le système public et privé au Québec, on peut voir une différence dans le public entre les écoles des quartiers pauvres et des quartiers riches.
Le Canada d’aujourd’hui
Selon l’OCDE, le cas canadien présente généralement des résultats légèrement meilleurs que la moyenne des pays observés. On y relève une forte mobilité intergénérationnelle, notamment en termes de revenu et d’éducation. Cependant, la mobilité est beaucoup plus limitée au niveau intragénérationnel. Le bas de l’échelle salariale tend à rester dans l’immobilisme, tendance à la hausse depuis les années 90. Similairement, le haut de l’échelle garde un haut revenu.
Le rapport suggère d’améliorer les conditions canadiennes en consacrant plus de ressources à la formation, la recherche d’emploi, en plus d’élargir les offres de logements abordables et de rendre l’éducation postsecondaire plus accessible. M. Langlois insiste sur l’importance de l’éducation, tant sur la qualité que l’accessibilité, comme vecteur d’amélioration de la mobilité sociale. M. Fleury, avec une certaine dose de cynisme, note que les populations qui seraient les plus avantagées par ces mesures sont aussi celles qui ont le moins tendance à voter, ce qui peut expliquer un certain désintérêt politique vis-à-vis de ces problématiques.
- Langlois et M. Fleury nuancent cependant les observations de cette étude, car la situation d’une province à l’autre change beaucoup. Le cas du Québec en particulier est favorable à plus de mobilité grâce à certains de ses programmes sociaux. M. Langlois trouve le Québec comparable, dans certaines mesures, au modèle scandinave. Ce sont d’ailleurs le Danemark, la Suède, la Finlande et la Norvège qui font le mieux en matière de mobilité sociale dans le rapport de l’OCDE.
La Scandinavie, terre des opportunités
L’OCDE note également qu’il n’y a pas de lien entre le creusement des inégalités et une plus grande mobilité sociale, même au contraire, une plus grande mobilité sur l’échelle des revenus est associée à une plus grande égalité. Il y a donc statistiquement plus de chance pour un enfant originaire d’une famille pauvre de Scandinavie de parvenir à augmenter ses revenus que pour un Américain dans la même situation.
Permettre à tous, peu importe ses origines, de réussir et de prospérer, tel est le rêve américain. Pour y parvenir, il faut cependant que tous puissent partir sur un pied d’égalité. C’est la notion qui ne semble pas saisie par nos voisins du sud où beaucoup croient que le libre marché absolu est le meilleur défenseur de ce rêve. Malgré les belles histoires d’entrepreneur prospère, ils sont l’exception plus que la règle.
Finalement, l’aigle à tête blanche reflète bien le rêve américain. Les deux sont trompeurs, l’un n’est pas un aigle, l’autre se réalise bien mieux au Danemark.