Insatiablement avide
De l’obscur et de l’incertain,
Je ne geindrai pas comme Ovide
Chassé du paradis romain
– Les Fleurs du mal, Baudelaire
Ovide, poète des Métamorphoses, fut chassé du paradis romain en l’an 8 par l’empereur Auguste, fort probablement à cause de la publication de L’art d’aimer, jugée trop licencieuse. Condamné à l’exil vers l’est, il fit de Tomis (en Roumanie actuelle) sa ville d’adoption. Mais malgré sa nouvelle résidence, Ovide resta pour toujours le poète exilé, celui dont l’exil forcé – l’exil n’est-il pas toujours forcé de toute façon – restera le terreau le plus fertile de ses chants.
Par Emmy Lapointe, rédactrice en chef
La cité antique
Dans les textes de Fustel de Coulanges, on peut lire que c’est à partir de la cité antique qu’est née la grande patrie. S’additionnant à une première patrie (« enclos de la famille »), la cité est l’endroit de la sociabilité et de l’exercice des droits civiques (quand droits civiques il y a).
Ainsi, l’exil arrache aux deux patries et il ne vient pas sans hantise; l’idée de mourir hors d’un espace symbolique terrifie.
Ce n’est pas la mort que je redoute, ce sont les horreurs d’une telle mort, sauvez-moi du naufrage, la mort sera pour moi un bienfait. C’est quelque chose, pour celui qui meurt de mort naturelle ou par le fer, de rendre son corps à la terre sur laquelle il a vécu; c’est quelque chose d’espérer un tombeau de la tendresse de ses proches.
– Tristes, Ovide
Entre deux mondes
Œdipe aura débarrassé la ville de Thèbes du Sphinx, puis y sera devenu roi. Le reste de l’histoire est célèbre : après avoir eu les yeux crevés par la découverte de sa vie incestueuse (et par la broche de Jocaste), Œdipe quittera la ville.
Et même un roi en exil est un étranger. Étranger pour soi et les autres. L’exilé témoigne toujours de la violence d’un monde connu, mais dérobé. Il est habité par un mythe, il est condamné à demeurer à l’extérieur du monde. Il est à jamais l’observateur.
En perdant ma patrie, j’avais aussi perdu la tranquillité. Les peuples chez lesquels j’habite, pour rendre leurs blessures doublement mortelles, trempent leurs flèches dans du fiel de vipère.
-Les Pontiques, Ovide
Si quelqu’un dans la foule qui pense encore à moi, s’il est quelqu’un qui demande par hasard ce que je fais, dis-lui que j’existe, mais que je ne vis pas.
-Tristes, Ovide
Mais au bout de soi, loin de sa cité natale, Ovide aura puisé l’essence de ses chants, aura pu vivre une fois de plus, et comme l’Eurydice d’Orphée, sera mort une seconde et éternelle fois.
Et maintenant, j’ai achevé un ouvrage que ne pourront détruire ni la colère de Jupiter, ni la flamme, ni le fer, ni le temps vorace. Que le jour fatal qui n’a de droits que sur mon corps mette, quand il voudra, un terme au cours incertain de ma vie : la plus noble partie de moi-même s’élancera, immortelle, au-dessus de la haute région des astres et mon nom sera impérissable. […] Les peuples me liront et, s’il y a quelque vérité dans les pressentiments des poètes, je vivrai.
-Les métamorphoses, Ovide