La religion. Elle jouait autrefois, et joue encore aujourd’hui, un rôle central dans l’existence humaine. De tous lieux et de toutes époques, les humains ont cherché à comprendre leur monde et, à plusieurs égards, c’est la religion qui s’est imposée comme l’outil principal pour y arriver. Elle s’était investie d’expliquer les phénomènes naturels, de raconter l’histoire de la vie et surtout de trouver un sens à l’existence humaine. Dans plusieurs cas, elle a développé des codes de conduite très précis pour encadrer le quotidien des gens et dans beaucoup de cas aussi, elle s’est imposée comme l’autorité suprême en matière d’organisation sociale. Cependant, dans beaucoup de cas aujourd’hui, elle n’est plus qu’une institution marginale dont les restes d’influence qu’elle exerce sont perçus par plusieurs comme néfastes autant pour l’individu que pour la société.
L’exemple du Christianisme en Europe, puis en Amérique du Nord, illustre bien cette évolution. Au fil des siècles, le monopole qu’il exerçait sur le savoir est tranquillement tombé pour céder sa place à la science. À partir du XVIIIe siècle, les vertus de la raison, de l’objectivité et de la démarche scientifique ont triomphé de l’obscurantisme dogmatique entretenu par le Christianisme. Dès lors, c’est la science qui s’est investie du devoir d’expliquer comment fonctionne le monde et le rôle de la religion a lentement commencé à s’amenuiser. Il faudra tout de même attendre plusieurs siècles pour que la pensée rationnelle scientifique domine toutes les sphères du savoir : sciences naturelles, sciences sociales, sciences humaines, sciences politiques, etc. Si bien qu’aujourd’hui, du moins au sein des sociétés « modernes », le rôle de la religion est strictement conscrit au domaine spirituel. Lequel ne prend pas une place très importante.
Le spirituel, c’est le dernier bastion du religieux que la science moderne n’a jamais osé approcher. C’est normal, car le spirituel traite de ces questions pour lesquelles la rigoureuse et très fiable démarche scientifique n’est d’aucune utilité. Fondée sur l’expérience répétée sensible, l’isolation des variables, le raisonnement logique, bref, sur l’objectivité, elle n’est d’aucun secours pour répondre à des questions qui en mènent plus large. Pourquoi j’existe ? Que se passe-t-il après la mort ? Est-ce que tout est écrit ? Qu’est-ce que le bonheur ? Certes, la psychologie et la neurologie ont fait des progrès titanesques dans la compréhension du cerveau, mais les plus savants d’entre eux ne sauraient affirmer qu’ils ont finalement élucidé tous les mystères des confins de l’esprit humain.
Aussi, la science – un peu moins désormais – a toujours été orgueilleuse, et au lieu d’admettre ses limites, elle et ses disciples ont souvent choisi de nier, de ridiculiser, ou simplement d’ignorer les questions qui dépassaient son champ de compétence. De son côté, la religion – certaines plus que d’autres – a toujours été orgueilleuse et au lieu d’accepter les différences de point de vue, elle et ses disciples ont souvent choisi de nier, de ridiculiser, ou simplement d’ignorer toute tentative qui n’était pas la leur de répondre aux questions spirituelles. Cette tendance de la religion à monopoliser la spiritualité a généré cette fâcheuse habitude de confondre les deux.
S’il est vrai que la religion est nécessairement spirituelle, la spiritualité, elle, n’est pas nécessairement religieuse. Rappelons que la définition du mot spirituel, selon le Larousse en ligne, se résume à : « qui est de la nature de l’esprit, considéré comme une réalité distincte de la matière » ; rien qui n’implique une pratique spécifique de rituels religieux. Est spirituelle toute question qui se penche sur l’essence des choses immatérielles comme le bonheur, l’amour, la vie en général ; la quête de sens, en d’autres mots. Sous cet angle, un cours de philosophie au cégep peut devenir une activité hautement spirituelle ! J’avancerais même que la philosophie, c’est la façon scientifique de traiter la spiritualité.
D’une certaine façon, les questions spirituelles sont le corollaire de l’évolution du cerveau humain, le deuxième sapiens de l’homo sapiens, la conscience du soi. On ne pourra jamais s’en débarrasser, les questions existentielles font partie intégrante de notre constitution. Il faut prendre le temps de comprendre cette conscience du soi. Et c’est par la spiritualité qu’on peut y arriver. Il faut prendre le temps de pondérer notre existence et celle du monde dans lequel elle baigne, de mesurer l’impact que nous avons sur les autres et celui que les autres ont sur nous, de trouver les bonnes valeurs à adopter selon le bon contexte.
Mais l’introspection est un procédé parfois douloureux et la tentation est forte d’y échapper par tous les moyens possibles. Livrés à nous-mêmes, nous serons plusieurs à choisir la voie facile de la fuite. Nous fuyons notre spiritualité par peur d’affronter nos vrais problèmes, comme nous fuyons nos responsabilités par peur de faire face aux conséquences, ou comme nous fuyons nos rêves par peur de ne pas y arriver.
Voilà la clé du problème et voilà ou je veux en venir avec tous ces paragraphes sur la religion, la science et la spiritualité. En accordant l’exclusivité du savoir à la science et sa pensée rationnelle et en évacuant la religion de notre société – et parce que nous confondons le spirituel et le religieux, nous avons du même coup évacué un élément pourtant essentiel à notre existence : la spiritualité.
Au final, ce que je déplore , c’est la perte de sensibilité troublante que nous avons développée avec la « modernité » quant au sens de nos vies ; je déplore que les centres d’achat soient devenus nos lieux de cultes et que les interactions humaines se dégradent à vue d’œil, entre autres à cause du progrès technologique ; je déplore le fait que nous fuyions les questions existentielles parce qu’elles sont trop vagues et difficiles à répondre, et qu’un simple médicament, une drogue, ou n’importe quelle activité addictive (travail, sport, sexe, réseaux sociaux) peut aisément dissiper ; je déplore qu’il soit encore perçu comme un signe de faiblesse le fait de demander de l’aide à son prochain ; je déplore finalement le fait d’avoir coupé tous les ponts avec la religion, sous prétexte qu’elle est la cause de tant d’atrocités.
Ici, je veux être bien clair. Je ne banalise pas les atrocités qui ont été, ou qui sont commises au nom de la religion partout dans le monde (guerres, assimilations, inquisitions, agressions, etc.). Sa façon de transformer l’histoire humaine avec des mythes superflus, d’imposer des rituels et des pratiques chronophages et surtout sa tendance à vouloir contrôler les faits et gestes de tous, me répugne et me rappelle pourquoi nous nous en sommes débarrassés, et pourquoi c’est très bien ainsi.
Ce que je prône, c’est de se réconcilier avec les fondements de ces religions, en refaire une interprétation avec un objectif purement spirituel. Pendant plusieurs millénaires, les religions se sont penchées sur les questions difficiles liées à l’existence, elles ont développé des stratégies, voire des pratiques, pour nous aider à nous guider à travers l’épaisse brume de la spiritualité ; peut-être alors peuvent-elles nous fournir des pistes de réflexion intéressantes. Ce n’est pas parce qu’une idéologie a survécu plus de mille ans qu’elle est nécessairement valide, mais parce qu’elle a survécu plus de mille ans, elle mérite certainement une attention et un respect particulier.
Il faut lire les textes religieux ou spirituels comme on lit un texte compliqué dans un cours : chercher la thèse de l’auteur et découvrir son idée principale, sans oublier de replacer l’ouvrage dans son contexte historique et comprendre les limites de son analyse. Si l’on combine ouverture d’esprit et jugement critique à cette démarche, on se rendra vite compte que la plupart des religions véhiculent le même message. Un d’amour, de compassion, de partage et de bonheur.
Les pratiques rigoureuses de dévotion comme les prières, les privations de consommation et les codes vestimentaires ; les méditations silencieuses ou chantées, statiques ou dynamiques, longues ou courtes, astrales ou de pleine conscience ; les croyances sur les forces qui influencent la destinée comme les étoiles, les dieux ou le chaos ; aucun de ces éléments n’est un prérequis pour retrouver sa spiritualité.