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Entrevue Charlotte Biron

Je suis entrée à la maîtrise en janvier avec l’impression d’y être par envie, par curiosité, mais aussi d’y être, parce que ça allait de soi. Parce qu’être à l’école, c’est pas mal la seule chose que je sais faire, parce que si je reste de ce bord-là de la classe, je ne vieillis pas, parce que si je reste à l’école, j’ai l’impression que tout est encore à faire. Et là, c’est cliché, on dit toujours quand on introduit une entrevue qu’on a eu la chance ou le privilège de s’entretenir avec telle personne. Je ne sais pas si c’est toujours vrai, mais pour moi, aujourd’hui, ça l’est.

Par Emmy Lapointe, cheffe de pupitre aux arts

Charlotte Biron a soutenu sa thèse « D’Arthur Buies à Gabrielle Roy, une histoire littéraire du reportage au Québec (1870-1945) » en mars 2020. Elle est chargée de cours en littérature à l’Université Laval et professionnelle de recherche.

Impact Campus : À quel moment, tu t’es dit «la recherche m’allume, j’ai envie de faire ça pour deux ans encore, puis pour quatre ans»? Est-ce que l’intérêt était intrinsèque ou extrinsèque ?

Charlotte Biron : Quand je me suis inscrite au bac, je me souviens que les gens autour de moi faisaient plusieurs demandes et on avait l’option de mettre un deuxième ou un troisième choix de programme, mais je voulais faire une seule chose, c’était étudier en littérature. Je m’étais inscrite à l’Université de Montréal. Je savais exactement ce que je voulais faire. Je savais aussi déjà à l’époque que je voulais travailler sur Gabrielle Roy et sur le reportage littéraire. C’est difficile d’expliquer exactement pourquoi. Ce n’est pas à cause de mon bac, les professeur.es n’ont pas souvent parlé de Gabrielle Roy. Bien sûr, elle est dans le canon littéraire, ce n’est pas parce qu’elle est oubliée. Mais je voulais parler de ses reportages littéraires. J’avais lu ses textes journalistiques par hasard dans un magnifique recueil qui s’appelle Fragiles Lumières de la terre. Je lisais Gabrielle Roy journaliste et ça me donnait envie d’écrire sur le monde réel. Avant d’entrer au bac, j’avais d’ailleurs le projet de devenir journaliste, même si je savais que je ne voulais pas étudier en journalisme.

L’idée de faire du journalisme n’est pas disparue pendant mes études. Au contraire, c’est comme si dans ma tête, je pensais que j’allais être capable de mener les deux barques en même temps, ce qui n’est pas réaliste du tout en fait. Quand même, à la fin du bac, j’ai eu un stage à Moscou à Radio-Canada avec Jean-François Bélanger À l’époque, Frédérick Lavoie était aussi journaliste indépendant en Russie. Je l’ai rencontré làbas, et ça m’a marqué le fait qu’il faisait des reportages et qu’il faisait un livre sur son travail de terrain et sur ses voyages. On était dans un bar à Moscou et il s’est mis à me parler d’autres journalistes qui avaient écrit des textes très littéraires.

Il me parlait et je savais en l’écoutant que je voulais travailler là-dessus, j’avais l’impression à l’époque que personne ne s’intéressait encore à ça, au journalisme littéraire. Et, pour ce qui est d’étudier en littérature, honnêtement, ça me passionne de lire des livres. Ça a l’air quétaine dit de même, mais j’ai adoré étudier en littérature, j’ai adoré chaque minute de mon bac et j’adore enseigner. Je referais mon bac avec les mêmes cours, parce que je me dis que je découvrirais sûrement de nouvelles choses. Je le referais aussi en faisant tous les cours que je n’ai pas faits. Encore aujourd’hui, je suis nostalgique de ne pas pouvoir suivre des cours. Je trouve que c’est un grand bonheur d’entendre des gens parler de littérature, et j’adore parler de littérature que ce soit à l’université ou ailleurs. Pour moi, le bac, la maîtrise, le doctorat c’est juste de continuer à parler de littérature, mais de façon un peu plus compliquée.

I.C. : Quand tu as commencé la maîtrise, savais-tu déjà que tu allais continuer au doctorat ?

C.B. : Non, j’y suis allée un projet à la fois. Je savais que je voulais travailler sur les reportages de Gabrielle Roy, mais j’ai aussi découvert Mavis Gallant, une autre écrivaine qui travaillait dans les journaux à Montréal à peu près à la même époque que Roy. Ces deux trajectoires-là me fascinaient. J’ai su aussi très tôt qui allait être ma directrice de maîtrise. Je l’ai su en ouvrant une réédition des reportages de Gabrielle Roy de 2007. J’ai vu son nom : Jane Everett. J’ai regardé où elle travaillait, je me suis dit c’est là que je vais. C’est quelqu’un qui est très important pour moi et que j’aime beaucoup.

Une fois arrivée à la maîtrise, c’était une chose à la fois. J’ai fait mon mémoire en me disant que si je n’aimais pas ça, je pouvais arrêter. C’est certain que ça m’éloignait beaucoup du journalisme. Le rythme est tellement différent. En journalisme, tout va vite, c’est galvanisant par rapport à suivre des séminaires en littérature et à travailler sur des projets de recherche. Les deux cadences n’ont rien à voir, mais j’ai aimé la maîtrise. Et contrairement au bac, j’ai trouvé que c’était exigeant. J’avais l’impression d’avoir trouvé un vrai défi. C’était la première fois que je sentais que je dépassais quelque chose. Puis après, je me suis dit où est-ce que je peux aller pour utiliser tout le bagage que je viens d’acquérir ? C’était le doctorat. Il n’y avait pas d’autres espaces dans la société où ces aptitudes-là pouvaient être approfondies. J’ai quand même écrit à Radio-Canada, et en même temps, je me suis inscrite au doctorat. Je ne savais pas trop lequel des deux j’allais garder. Finalement, je me suis dit que j’allais travailler sur le journalisme littéraire avec ma thèse et que j’allais être sur le terrain des reporters littéraires, que j’allais être avec eux dans ma tête à travers le processus de recherche.

I.C. : J’ai souvent dû expliquer à des gens que non, je ne faisais pas de résumé de livres en littérature au même titre que des gens en physique ont dû m’expliquer qu’iels ne regardaient pas toujours les étoiles. Bref, on connaît mal les programmes des autres. Je sais que tu n’es pas porte-parole des études supérieures en littérature, mais peux-tu me dire à quoi ça peut ressembler un parcours aux cycles supérieurs en lettres ? (Types de sujet, portion cours vs portion rédaction, etc.)

C.B. : Y’a plein de manières de répondre à cette question-là. Si je m’adresse aux étudiant.es, j’essaie de leur parler du grand nombre de parcours possibles. On peut faire une maîtrise ou un doctorat de plusieurs façons. Je vais leur dire qu’il y a plein de façons d’être et de faire. Je pense à des écrivaines brillantes comme Christiane Vadnais ou Émilie Turmel que j’ai côtoyées pendant mes études. Je trouve qu’à l’université, des fois, on étouffe un peu les étudiant.es dans un seul modèle, comme s’il existait seulement une sorte de parcours très classique, très académique avec les colloques, les bourses, les journées d’étude, les articles, etc. Alors qu’au fond, il y a plein de raisons de faire des études en littérature. Mais si je dois définir ce qu’on fait en littérature pour le reste de la société, si je dois dire ce qu’on fait à part fixer nos écrans d’ordinateur, je dis que, comme dans tous les autres domaines à l’université, c’est de la production de savoirs. Ça concerne notre connaissance de la culture, du langage, des discours, des archives, de l’histoire… Il y a tellement de choses qui sont concernées. Ça percole partout dans la société. Ça va dans l’enseignement du français, ça va dans l’enseignement primaire, au secondaire, au cégep. Ça imprègne notre culture littéraire, notre culture médiatique, nos façons d’être en relation, nos façons de nous parler, nos façons de voir le monde. Tout ça est interrelié. Il faut beaucoup de monde, de travail et de savoirs en littérature (et dans tous les domaines) pour que ça devienne intéressant et que ça se rende plus loin. Plus notre connaissance de la langue, de la littérature, de l’historiographie est riche, plus il y aura de points de vue différents, plus il y a de gens tout autour qui vont en bénéficier et plus les gens vont avoir un esprit critique, plus il y aura de nuances et de richesse dans ces champs-là.

I.C. : Quelles qualités sont essentielles ou quelles motivations sont nécessaires pour mener un projet de maîtrise et/ou de doctorat jusqu’au bout ?

C.B. : Ça prend un projet qui nous passionne jusqu’au bout des ongles, parce que sinon l’année ou les années de rédaction, seul.e avec leur sujet, ça va être très pénible. Ça prend un projet qui nous porte, parce qu’à un moment ça devient difficile. Et quand ça n’ira pas, il faut que ce projet-là nous soutienne et nous redonne de l’énergie. Il faut aimer le fait de rédiger de longs textes, de faire de la recherche longtemps, il faut être capable d’être assis.e pendant des heures. La recherche en littérature, c’est un sport de chaise. Enfin, la troisième chose que ça prend, c’est du monde intelligent et bienveillant autour, des interlocuteurs et des interlocutrices de qualité. Ça prend un bon directeur ou une bonne directrice, mais ça prend d’autre monde aussi, parce que si t’as juste ton directeur ou ta directrice, c’est comme un couple en pandémie. À un moment donné, vous tournez en rond, vous vous obstinez sur les mêmes affaires tout le temps. Ça prend des brèches, d’autres points de vue. Quand je dis ça, je pense à Mylène Bédard qui a été très présente pour moi, en plus de Guillaume Pinson et de Marie-Ève Thérenty, mes directeurs. Ça peut être des profs, comme Mylène, mais aussi des ami.e.s bien sûr avec qui on discute de nos idées ou de nos problèmes.

I.C. : Bon, le titre de ta thèse est assez évocateur sur son contenu : D’Arthur Buies à Gabrielle Roy, une histoire littéraire du reportage au Québec (1870-1945), mais j’aimerais que tu me parles un peu de ton travail de terrain et de la façon dont tu t’y es prise pour sélectionner ce qui allait figurer dans ton texte au final.

C.B. : Ma thèse porte sur le reportage littéraire au Québec de 1870 à 1945. Le projet concerne une très grande période de temps et beaucoup de textes, alors évidemment le résultat n’est pas exhaustif. Je savais en commençant que c’était une immense masse de documents, mais j’avais envie de dire ok, on y va. Personne n’a encore travaillé là-dessus, alors on va déblayer le terrain, on va ouvrir des pistes. J’ai trouvé le projet captivant. Je découvrais des reportages littéraires et je comprenais les liens entre le journalisme et la littérature, et personne n’en avait parlé. Alors au lieu de travailler de manière intense sur un tout petit élément de l’ensemble, j’ai décidé de montrer la façon dont j’avais trouvé le corpus et j’ai essayé de traverser le temps et de montrer qu’il y a plein de moments où ça s’est passé, où le reportage a été littéraire au Québec.

Pour ce qui est du côté archives, l’erreur qu’on fait quand on commence un gros travail comme une thèse, c’est de penser qu’il faut qu’on ait tout notre matériel avant d’écrire. Alors qu’en fait, c’est un va-et-vient. Une thèse, ça se fait en plusieurs années. C’est impressionnant ce que tu peux faire comme projet en travaillant assidûment tous les jours. Ça a l’air gros, parce qu’on le voit tout d’un pain, mais c’est de la recherche effectuée sur une durée importante. Je sais que mon corpus est grand, mais comme je te le disais, je voulais traverser les choses. J’ai lu attentivement tous les documents dont je parle et j’ai creusé chaque fois que j’avais une piste, mais je gardais en tête que ce n’était pas grave s’il restait des zones inexplorées. Au contraire, il y aura des chercheur.e.s après qui vont repérer ces zones et qui vont pouvoir aller creuser, et c’est ça les vertus d’un bon travail de recherche, c’est d’alimenter le travail d’autres chercheurs et chercheuses. J’avais vraiment envie que ce soit le point de départ pour d’autre monde. En littérature, on est souvent dans du close reading, et moi aussi je suis encore de cette école-là, je suis tout près des mots, tout près des textes, mais il y a des vertus aussi à lire de grands ensembles de textes, lire très large avec la considération des détails. Avec la thèse, j’ai essayé de varier ces deux types de lecture, de jouer sur la focale.

I.C. : Dans ta thèse, il est question d’écrivain. es qui ont fait du journalisme, mais tu as aussi parlé des journalistes qui avaient disons une portée littéraire. Comment tu as fait pour identifier cette « littérarité»?

C.B. : En amont du travail, ça m’obsédait la question de la littérarité. Qu’est-ce qui est littéraire quand on parle de reportage ? Il existe beaucoup de débats sur cette question-là et je sentais qu’il fallait que je règle l’enjeu avant de pouvoir toucher à quoi que ce soit. Mais en fait, en procédant de façon plus inductive, les choses se sont imposées. C’est beaucoup moins compliqué que ce qu’on pense d’arriver à répondre à cette question-là quand on lit autant de textes. La littérature se définit largement par contraste avec d’autres formes. L’aspect littéraire des reportages dont je parle dans la thèse est devenu évident, parce que par contraste avec le reste du journal, ça s’éprouvait de façon très clair. Un des défauts de ma thèse, d’ailleurs, c’est que je cite vraiment beaucoup les textes. Pendant toute la rédaction, je me disais il aurait fallu que tout le monde traverse ces textes avec moi pour comprendre ce qui est à l’œuvre devant moi. Il aurait fallu créer une anthologie pour donner la mesure de ce que j’ai ressenti en traversant ces écrits-là. Je savais que les textes avaient quelque chose de fabuleux. Si y’a une chose qu’on ne dit pas assez aux étudiant.es, c’est que la recherche, c’est aussi une affaire d’affects. C’est vrai même pour les autres sciences. Les impressions qu’on a, nos processus d’interprétations, ça ne sort pas de nulle part quand on travaille, quand on évalue, quand on interprète, quand on trie et quand on donne un sens à la pensée, il y a une part de subjectivité importante. Il faut donner une forme, rendre sensible et mettre en récit nos affects.

I.C. : Est-ce qu’il y a des moments où tu t’es dit « j’arrête tout ça, je deviens [insérer n’importe quelle profession] » ? Et surtout, comment tu as fait pour surmonter ça ?

C.B. : J’ai ressenti de la fatigue, bien entendu, une fatigue qui vient avec la rédaction après quelques années. Quand on rédige, on ne se donne souvent pas assez de temps. C’est difficile, parce que les bonnes idées ne viennent pas toujours de huit à cinq, du lundi au vendredi. Alors il y a une fatigue qui vient à force de porter le même projet dans notre tête et de tout le temps y penser. Mais pour moi, c’était une fatigue normale, ce n’était pas une écoeurantite de mon sujet. Ma thèse me passionnait toujours autant. Cela dit, il y a eu des moments plus difficiles liés au milieu universitaire. Heureusement qu’il y a des gens que j’aime, que je respecte, qu’il y a des choses positives et des changements, parce que dans les dernières années, ça, ça aurait pu me faire arrêter. Je parle de sexisme et de misogynie, mais pas seulement. C’est qu’au début, t’es une étudiante, tu ne participes pas vraiment à tout ça, ou tu subis plutôt la culture universitaire, ce qui est pénible aussi évidemment, mais c’est différent. Vient un moment où tu joues un autre rôle, tu occupes une position d’autorité, t’es devant des classes, tu te mets à reproduire des comportements, tu te mets à réintroduire une sorte de hiérarchie. Il y a une façon de faire, une façon d’être à l’université. T’apprends aux gens comment parler, comment se comporter, quoi lire, quoi ne pas lire. Puis, il y a eu un moment où j’ai eu besoin de me demander est-ce que je participe à cette culture-là? Il y a plein de choses que j’adore à l’université, mais je n’aime pas le mépris et le sexime très forts qui restent. C’est un espace que j’aime, et je crois ou j’espère que c’est possible de critiquer cet espace tout en y étant, mais il y a des jours où, comme beaucoup de monde, j’ai des découragements par rapport à tout ça.

I.C. : Est-ce qu’il y a quelque chose que tu veux ajouter, que tu voudrais dire aux étudiant.es ?

C.B. : Je trouve qu’il y a beaucoup de non-dits dans notre discipline. On est dans un domaine où il ne faut pas avoir l’air de ne pas savoir. C’est vrai pour les parcours universitaires, mais c’est vrai aussi pour la littérature dont il faudrait avoir l’air de tout connaître d’avance. Je ne veux pas que les étudiant.e.s se sentent mal de poser des questions. Il faut que les étudiant.e.s puissent poser toutes les questions qu’ils veulent poser.

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