La traductologie, en tant qu’étude de la traduction, a été traversée par plusieurs courants de pensées depuis sa naissance dans les années 50. Ce champ d’étude est enrichi de plusieurs théories interreliées traitant de nombreuses problématiques, qu’elles soient d’ordre pratique ou éthique. De linguistique à neuropsychologie en passant par la philosophie et la sociologie, la traduction est un domaine interdisciplinaire où il n’existe aucun consensus sur le protocole et donc où l’on doit exercer son jugement.
Par Jessica Dufour, journaliste multimédia
Rôle et enjeux
Dans un pays officiellement bilingue comme le Canada, traduire devient crucial au bon fonctionnement étatique et sociétal. Et dans un contexte de mondialisation, l’information et les idées circulent autant que les produits commerciaux. Comment alors saisir et transmettre la richesse des différences culturelles d’une langue à l’autre, d’un texte à l’autre, sachant que des jeux de pouvoir continuent de s’exercer?
L’approche décoloniale gagne de plus en plus de terrain, appelant au pluralisme, qui « suppose que les récits collectifs puissent ne pas se limiter à une histoire nationale capturée par une majorité […] mais plutôt qu’[ils] se démultiplient en considérant la pluralité réelle du tissu social et culturel », d’après Francine Saillant dans Pluralité et vivre ensemble : paradoxes et possibilités. La traduction joue alors un rôle dans la circulation des idées et la représentation de la diversité culturelle.
Selon le type de traduction, les traducteur.rices peuvent avoir une plus ou moins grande responsabilité et une plus ou moins grande latitude, la traduction littéraire et la traduction technique étant les deux extrêmes. L’intention et la démarche sont en effet très différentes si l’on tente de traduire un poème ou un manuel d’instructions. L’impact d’une mauvaise traduction n’est pas non plus le même. C’est probablement pour cette raison qu’on opte pour des pictogrammes dans le guide de sécurité destiné aux passager.ères à bord des avions.
À chaque texte son protocole
Il existe autant de façons de traduire qu’il existe de traducteur. rices, de la même façon que chaque auteur.e produit un texte unique. La définition d’une bonne traduction semble alors plutôt élastique. Doit-elle rester fidèle en tous points au texte d’origine jusqu’à en reproduire les erreurs et les maladresses ou doit-elle plutôt produire le meilleur texte possible quoi qu’il en coûte? En d’autres mots, sert-elle l’auteur, son propos ou encore le public?
La traduction peut aussi varier selon qui donne le mandat. L’approche fonctionnaliste privilégie l’utilité du texte. Une visée informative ne produira pas le même effet qu’une visée argumentative ou encore narrative. Le ton, le style, le niveau de langue, la structure voire l’intention de l’auteur.e doivent ainsi être analysés par les traducteur.rices. Plus important encore, le propos doit être compris. Le traducteur est donc un lecteur d’abord et avant tout. Il doit comprendre et interpréter le texte avant de le transposer dans une autre langue.
Mais tous les mots et toutes les phrases ne se traduisent pas littéralement, ils n’ont pas tous des équivalents. Les traducteur. rices doivent alors reformuler en restant le plus fidèle possible au sens initial et à ses nuances. La langue de départ pourrait très bien être non genrée par exemple. Le passage du texte au français poserait alors un défi de taille dans un texte littéraire. Doit-on préserver cette ambiguïté ou pas? Est-elle nécessaire à la compréhension du texte? L’aspect socioculturel du texte est également à considérer. On ne traduit pas un auteur africain de la même façon qu’une autrice norvégienne. Il et elle évoluent dans des réalités fort différentes, chacun.e avec son propre système linguistique.
La traduction s’avère donc être un processus d’analyse et de résolution de problème. Elle nécessite non seulement la maîtrise de deux langues, mais aussi une connaissance approfondie des règles qui les régissent, un bagage de connaissances suffisantes dans le domaine d’exercice, ainsi qu’une compréhension de l’environnement dans lequel elle évolue, parce qu’une langue vivante est une langue mouvante.
L’intervention de la machine
Outre les dictionnaires et les banques de dépannage linguistiques, il existe plusieurs logiciels et ressources pour aider les traducteur.rices dans l’exécution de leurs tâches. La traduction assistée par ordinateur vise à automatiser une partie du travail afin d’en améliorer la rapidité et l’efficacité, de la recherche d’équivalence au repérage de vocabulaire en passant par la juxtaposition du texte d’origine à celui d’arrivée dans un but de comparaison. Des bases de données qui compilent des milliers de textes dans des langues différentes peuvent être consultées afin de voir ce qui a déjà été fait.
Quant à savoir si la machine peut-être remplacer le cerveau humain, un simple test sur Reverso ou Google Translate prouve immédiatement que non. Même si les logiciels sont de plus en plus poussés, ils demeurent incapables de saisir toutes les subtilités d’un texte. La polysémie d’un mot, le contexte, le ton ou le deuxième degré ne sont que quelques exemples de ce qui leur échappe. Même s’ils permettent de grossièrement saisir le sens d’une phrase, encore trop d’erreurs se glissent dans leurs traductions pour pouvoir s’y fier entièrement.
Formation
Certaines universités proposent le certificat aux gens qui aimeraient apprendre à traduire. Le département des langues, lettres et communication de l’Université Laval, quant à lui, offre un baccalauréat, une maîtrise et un diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS), dont la formule est similaire à celle du certificat mais au deuxième cycle. Le baccalauréat et la maîtrise diffèrent en leur façon d’aborder la traduction. Au bac, on semble davantage se situer dans l’aspect pratique alors qu’à la maîtrise, on est appelé à réfléchir et à développer notre esprit critique tout en s’exerçant à traduire. Les aspects théoriques sont ainsi réservés au deuxième cycle. Il n’est pas nécessaire d’avoir fait le baccalauréat en traduction pour accéder à la maîtrise, même que le parcours typique est plutôt inverse : avoir étudié dans un autre domaine avant de se spécialiser en traduction apporte des connaissances et des compétences complémentaires. Un.e avocat.e pourra ainsi se diriger en traduction juridique, un.e littéraire en traduction littéraire et un.e expert.e de la communication en traduction publicitaire ou journalistique.
Mais est-il nécessaire d’avoir étudié en traduction pour exercer?
Il apparaît plus facile d’intégrer l’Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ) avec un diplôme. Il est toutefois possible de demander une équivalence de formation. L’OTTIAQ offre à ses futur.es membres un service de mentorat facultatif (gratuit pour les étudiant.es) mais impose sa Formation sur l’éthique, la déontologie et les normes de pratique professionnelle une fois que la personne est agréée. Ainsi, l’Ordre peut « [s’]assurer [de] la compétence et [du] professionnalisme de ses membres », dans une optique de « protection du public », selon sa description officielle.
Bien qu’il y ait un intérêt à l’intégrer, ne serait-ce que pour les opportunités de formations et de réseautage ou pour être au courant des offres d’emploi dans le domaine, ce n’est pas nécessaire pour qui veut traduire professionnellement.
Vision et expérience d’une traductrice professionnelle
Geneviève Dufour est travailleuse autonome en rédaction, révision et traduction. Elle a accepté de parler de son parcours et de son travail.
Impact Campus : Comment es-tu entrée dans le milieu de la traduction professionnelle?
Geneviève Dufour : Je suis entrée dans le milieu un peu par la bande, sans suivre le parcours traditionnel des traducteur•rices. J’avais déjà une excellente maitrise du français et de l’anglais et j’ai eu la chance d’avoir un mentor qui m’a tout appris des rudiments de la traduction professionnelle. Au début, il m’envoyait quelques-uns de ses contrats pour que je me pratique, puis il prenait le temps de me faire des commentaires et des suggestions pour m’améliorer. Après quelques mois, j’ai commencé à envoyer ma candidature dans des cabinets professionnels, en m’engageant une réviseure qui allait veiller à ce que mes premiers textes soient impeccables. À force de pratiquer, j’ai pu comprendre les subtilités de la terminologie ou encore du jargon gouvernemental. IC : Quelles sont tes langues de travail et quel type de textes traduis-tu? GD : Je traduis principalement de l’anglais au français. Il m’arrive de traduire du français à l’anglais, mais seulement pour des textes faciles, par exemple des sites Web d’hôtels, qui sont sensiblement toujours pareils. Dès que j’entre dans des termes plus techniques, je ne peux pas faire du français à l’anglais. Je traduis principalement des textes d’entreprise, souvent des communications internes. Sinon, je traduis des sites Web sur des sujets très divers.
IC : Quelles sont les problématiques que tu rencontres et comment arrives-tu à les résoudre?
GD : Le plus difficile est de saisir la terminologie du domaine avec lequel je travaille. Tous les domaines ont leur propre jargon et une banque terminologique n’est pas toujours accessible. Je dois donc faire des recherches plus approfondies lorsque j’hésite entre deux termes semblables. Si mes recherches ne donnent rien, la meilleure façon de résoudre le problème est de discuter directement avec le client. Il arrive souvent à m’éclairer sur le sens du mot à traduire, ce qui m’aide à choisir le bon terme en bout de ligne. Un autre problème est la différence d’opinion entre plusieurs professionnels. Je m’explique : la traduction reste une science subjective. Il n’y a pas toujours de réponses officielles et chacun a sa propre façon de traduire. Certaines personnes préfèrent des traductions plus littérales, alors que d’autres veulent que j’adapte réellement le texte en français. Il est parfois difficile de connaître les attentes du client, c’est pourquoi il faut absolument discuter avec lui avant de se lancer dans la traduction pour comprendre quel type de texte il recherche.
IC : Quelles sont les compétences et les aptitudes d’un.e bon. ne traducteur.rice?
GD : Il faut être un•e expert•e de la syntaxe. Il faut savoir jouer avec les phrases, les construire puis les déconstuire, dans le but d’arriver à la phrase parfaite qui non seulement est claire, mais qui intègre aussi tous les éléments de la phrase d’origine. C’est un art qui se pratique. Il faut également être patient•e et comprendre que c’est l’expérience qui fait de nous un•e bon•ne traducteur•rice. Il est normal de faire des erreurs au début. À force de faire des erreurs, on ne les refait plus. Finalement, la clé de la traduction est de comprendre ce que l’on traduit. Ça peut paraître banal et logique, mais il arrive que l’on soit confronté à des textes qui nous sortent vraiment de notre zone de confort ou de notre domaine de connaissances. C’est à ce moment qu’il faut poser des questions au client sur le sens des phrases d’origine pour s’assurer de bien comprendre ce que l’on traduit.
Photo par Wilhelm Gunkel