Photo par Tobin Rogers

Occupation Double : deux pas en avant, un en arrière

Après dix saisons à TVA et une pause de quatre ans, Occupation Double a fait son retour sur les ondes de V en 2017. L’émission a entamé, cet automne, sa treizième saison. L’humoriste Jay du Temple est maintenant à l’animation et semble incarner le visage de la nouveauté, le « OD revu et actualisé ». Le concept n’a pourtant pas vraiment changé depuis sa création en 2003 : deux maisons, une de garçons, une de filles et un couple (hétérosexuel) gagnant.

Par Emmy Lapointe, cheffe de pupitre arts et culture

OD, partout, tout le temps

Dimanche 10 novembre, un café de la rue Saint-Joseph. Le soleil s’est déjà écrasé sur l’édifice en face. Je dois faire des lectures, je le sais, mais il y a une date de quinquagénaires à la table d’à côté. J’ai mes écouteurs, pas de musique. Ils parlent de vin, lui préfère le rosé, elle, le rouge. Je finis par cliquer sur play, le volume pas trop fort pour les écouter encore un peu. Je commence à lire, je le fais pendant quatre, cinq chansons. Et là, entre deux éraillements de Boom Desjardins, j’entends « mes filles ne sont pas là ce soir, mais je pense que je vais écouter OD quand même ». Elle lui répond qu’elle a quelque chose de prévu, mais qu’elle va l’enregistrer. Je voudrais
leur demander comment ils voient ça avec leurs yeux d’une trentaine d’automnes de plus, s’ils grincent des dents, s’ils s’emportent en même temps que moi.

Je ne leur ai pas demandé, forcément, mais j’ai eu ça dans le fond de la tête tout le reste de la soirée. Parce qu’on a beau dire ce qu’on veut à propos d’Occupation Double, en rire, ne pas l’écouter, mais ça demeure l’une des
émissions les plus regardées au Québec et ignorer ça, c’est faire fi d’un pan majeur de la culture télévisuelle actuelle. Ne pas vouloir envisager Occupation Double comme un objet de recherche potentiel, c’est fermer les yeux sur la possibilité de comprendre et de questionner des représentations sexuelles, culturelles et de genres
transmises à près d’un million de téléspectateurs/téléspectatrices chaque semaine.

Khate, caution et porte-parole

Cette année, le public pouvait voter pour deux candidates qu’il souhaitait voir directement entrer dans « les maisons d’OD » sans avoir à passer par l’étape du tapis rouge. Trudy et Khate sont choisies. La production se tape sur l’épaule, pour la première fois, elle compte parmi ses candidat.es une femme trans. « Un bon coup de prod », une avancée pour la cause trans et LGBTQIA2+.

Les membres de la production ont, disons « fait leurs devoirs ». Ils ont suivi quelques formations à ce propos et se sont engagés à laisser Khate décider du moment, si moment il y aurait, où elle en discuterait avec les candidat.e.s. Si l’on ne peut rien leur reprocher de ce côté-là, on peut certainement le faire ailleurs. Entre vouloir
sensibiliser les téléspectateurs/téléspectatrices à la cause trans et en faire un objet publicitaire, la ligne est mince. Et malheureusement, qu’il soit venu ou non d’une « bonne intention », le passage de Khate à l’émission s’est vite transformé en stratégie marketing, voire en ressort dramatique. Prenons comme exemple le septième épisode qui se termine avec Khate qui dit à ses colocs : « les filles, il faut que je vous dise quelque chose ». Écran noir. Puis la voix de Jay du Temple : « demain soir, à Occupation Double… ». La suite du montage est tristement assez prévisible.

Malgré tout ça, il y a quand même quelque chose de rassurant dans le choix du public qui demande à ce que les femmes et les hommes cisgenres ne soient plus les seul.es à être représenté.es.

Un gars, une fille, un condo à Blainville

OD Bali, une candidate pansexuelle, OD Grèce, une candidate bisexuelle, OD Afrique du Sud, une candidate trans, et voilà, « l’affaire est Ketchup » ? Évidemment pas. Ce n’est pas parce qu’un membre de la communauté LGBTQIA2+ par saison intègre les maisons que l’émission cesse d’être hétéronormée pour autant. À quoi bon faire entrer une seule candidate bisexuelle, ou pansexuelle s’il n’y a pas de possibilité de dates, de voyages ou de gagner ? L’équipe de l’émission a choisi la voie facile : une inclusion de façade qui ne requérait aucune refonte du concept initial vieilli et normatif.

Copier-coller

Un autre changement cette année à Occupation Double : « plus de diversité culturelle ». L’utilisation des guillemets me semble ici essentielle, puisque c’est une chose de prôner une pseudo inclusion, mais ça en est une autre de la rendre substantielle. Parlez-en à Naomy et Kayshia qui ont probablement eu moins de temps d’écran ensemble en une semaine que la plupart des autres candidat.es « caucasien.nes » en un épisode.

Et si l’on ne nous montre pratiquement que du blanc, on ne nous montre aussi que certains types de corps. Très peu de place à la diversité corporelle alors que s’enchaînent les corps musclés, minces, bronzés des candidat.es et que les autres ne passent souvent pas le cap des auditions ou des premières semaines.

« Le cerveau à off »

Malgré ça, chaque dimanche soir, mes ami.es et moi, on se retrouve pour écouter Occupation Double. Peu importe ce qui se passe dans nos semaines, on sait qu’au bout, il y a ça. Pas qu’elles soient terribles, mais il y a dans cette idée de rendez-vous hebdomadaire quelque chose de tendre, de léger. C’est un moment qu’on prend ensemble pour décrocher et oui, il faut le dire, pour se divertir. Je le dis comme ça, parce que j’ai souvent l’impression que le divertissement a mauvaise réputation, comme s’il était lié d’une quelconque façon à la passivité, mais c’est un rapprochement facile, réducteur même.

L’équipe derrière Occupation Double, comme n’importe quelle autre, crée un contenu, une manière de l’apporter et nous le transmet. Et nous, derrière notre écran de télévision, d’ordinateur, de cellulaire, on reçoit. On reçoit, mais on n’absorbe pas tout. On en prend comme on en laisse comme on critique. L’émission dépend de son public, elle se doit de l’écouter et de s’adapter si elle ne veut pas le perdre.

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