Photo: courtoisie du Grand Défi Pierre Lavoie

Pierre Lavoie : Joindre le geste à la parole

En travaillant parfois plus de 80 heures par semaine, Pierre Lavoie ne s’est pas accordé beaucoup de repos au cours des vingt dernières années. « Un entrepreneur, ça travaille jamais en bas de cinquante heures », relativise-t-il. Sauf que Pierre Lavoie n’est pas un entrepreneur comme les autres : il se définit comme étant un « entrepreneur social ».

S’il admet qu’il est plutôt connu au Québec et qu’il a de l’influence, l’homme de 55 ans n’est pas du genre à multiplier les apparitions publiques vétilleuses ou à s’enfler la tête inutilement. Il s’est fait un nom en se démenant pour des causes lui tenant à cœur et il entend profiter de sa notoriété pour poursuivre et mener à terme ses combats.

Par Émile Bérubé-Lupien, journaliste multimédia

L’implication sociale, l’histoire d’une vie

Vous connaissez sans doute Pierre Lavoie pour son Grand défi éponyme, qui a comme objectif de promouvoir les saines habitudes de vie. En 2018, l’événement a permis d’amasser plus de 3,1 millions de dollars dans le but d’encourager l’activité physique et la recherche sur les maladies héréditaires orphelines. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que notre homme choisit d’embrasser ces deux causes : elles font partie intégrante de sa vie depuis de
nombreuses années.

Depuis 2018, le Grand défi Pierre Lavoie a permis d’amasser plus de 3,1 millions de dollars.

S’il a toujours été un sportif, c’est la maladie qui a poussé le natif de L’Anse-Saint-Jean, une petite municipalité de 1200 habitants située au Saguenay-Lac-Saint-Jean, à lancer, en 1999, la première édition de son défi. Cette année-là, il a parcouru seul 650 kilomètres à vélo dans un délai de 24 heures afin d’amasser des fonds pour la recherche sur l’acidose lactique, une maladie héréditaire qui lui vole, la même année, son fils Raphaël, âgé d’un an seulement. Deux ans auparavant, c’était sa fille Laurie qui succombait, à l’âge de quatre ans, à cette maladie métabolique assez répandue au Saguenay. Il avoue que sans le drame qui l’a affligé, il n’aurait pas fait de l’implication sociale son crédo.

« C’était pas prévu. Je travaillais dans une usine. J’étais un sportif d’abord […], c’est ce qui m’a fait connaître. C’est ce qui a aidé la cause, parce que j’étais connu dans ma région comme un sportif en triathlon. Le sport
est venu avant, mais la cause est venue après. Quand j’ai été touché, j’ai choisi de m’impliquer. »

« Je n’ai pas épousé la cause, c’est la cause qui m’a épousé. »

Le triathlonien souligne d’ailleurs qu’il n’aurait pas eu le même impact, n’eût été la maladie : « Quand tu es touché, quand tu l’incarnes, le message est beaucoup plus fort […] Quand je prône de saines habitudes de vie,
je suis un exemple sur deux pattes. Pour les maladies héréditaires, je l’incarne aussi, nos enfants en sont morts. Je n’ai pas épousé la cause, c’est la cause qui m’a épousé.»

Un leader social

Avec le succès que connaissent les défis Pierre Lavoie vient la reconnaissance. Une reconnaissance qui fait en sorte qu’en 2019, l’entrepreneur social multiplie les conférences et les projets. Il est notamment président de l’Association de l’acidose lactique et porte-parole de la Corporation de recherches et d’actions sur les maladies héréditaires. Il a également été invité à faire partie du conseil d’administration du Lab-École, un
organisme à but non lucratif qui a comme objectif de penser l’école de demain.

Avec tous ses projets, engagements et fonctions, Pierre Lavoie est-il conscient de l’influence qu’il possède et que son opinion et son expertise sont désormais sollicitées ?

« J’en ai conscience, mais on n’a aucune idée de jusqu’où ça peut se rendre comme impact quand on parle, quand on organise un événement, quand on fait une entrevue, quand on fait une conférence. Avec les années, tu t’en rends compte quand les gens reviennent vers toi en disant que ça a changé leur vie. Tout à coup, tu vois les changements sociaux, tu vois que les saines habitudes de vie, d’autres personnes vont se les approprier. »

« Dans mon for intérieur, je reste humble, parce que je parle simplement, mais avec les années, j’ai réalisé que
j’avais un pouvoir d’influence. Mais jusqu’où ? Je ne suis pas capable de le mesurer. À la limite, je ne veux pas le savoir. »

Stéphanie Charrette, la directrice des communications du Grand défi Pierre Lavoie, voit d’un bon côté la popularité du triathlonien, tout en reconnaissant qu’elle ne vient pas sans défi.

« L’image publique complète de la cause, du Grand défi, incombe à Pierre. Il ne peut plus dissocier ce qu’il est de la cause, c’est devenu un tout. Il faut que tu sois prêt à faire ce genre de choix-là. »
– Stéphanie Charrette, directrice des communications du Grand défi Pierre Lavoie

« Je pense que ce que les gens reçoivent comme image, c’est que Pierre incarne notre organisation. Notre cause est partie d’un événement extrêmement triste, de la mort de ses enfants. On a décidé de le ramener à quelque chose de beaucoup plus grand, dans lequel on peut aider les enfants du Québec. Ça aide beaucoup à rallier les gens, les gens peuvent s’identifier, savoir avec qui ils sont. Ça vient aussi avec des responsabilités. »

La popularité : une arme à double tranchant

Pierre Lavoie n’hésite pas à avouer que si la reconnaissance sociale peut aider à sensibiliser à certaines causes et à se faire entendre, elle peut aussi venir avec une part de risque. Celle-ci n’est d’ailleurs pas sans l’effrayer : « Ça peut faire peur. Totalement.L’influence, quand tu te rends compte que tu en as, ça monte à la tête et ça gonfle l’ego. On a tous des ego, mais ils peuvent devenir surdimensionnés »,souligne-t-il.

« Quand tu acquiers ce pouvoir d’influence, le plus difficile, c’est [de] rester toi-même. Si tu prends un rôle pour te faire aimer et que c’est pas vrai, le naturel revient au galop. »

« Je ne fais pas juste parler, je pose des gestes. Parler c’est bien, mais passer à l’action, c’est mieux. »

Dans l’absolu, Lavoie n’est toutefois pas seul à composer avec les avantages et les désavantages de la notoriété. Il affirme avoir eu « l’intelligence de bien s’entourer ». « Je suis fier de ce qu’on a accompli en 11 ans et il y a une équipe autour, il y a du monde. Avoir du monde autour de toi qui comble tes faiblesses, c’est très important », insiste-t-il.

Faire le bien grâce au sport

Le sport a été salutaire dans la carrière d’entrepreneur social de Pierre Lavoie, puisqu’il lui a permis de se faire connaître et de récolter des fonds considérables pour les causes qui lui tenaient à cœur. Il aimerait d’ailleurs que davantage d’athlètes mettent la main à la pâte et s’impliquent dans leurs communautés.

« Après sa carrière, [l’athlète] aura un grand vide, un très grand vide. Un trou béant où il sera seul. La gloire, c’est éphémère. Ça dure trois semaines. Tout le monde l’aura oublié. Il a tout intérêt à se dire, je suis une personnalité connue, dans quoi je m’implique ? […] Tu as eu plein d’appuis, maintenant tu dois redonner. »

« Ça devrait être une obligation [de s’impliquer]. Ça ferait une belle piste d’atterrissage, de transmettre toutes ces
valeurs qui t’ont amené là. Je parle pas de transmettre aux autres pour qu’ils atteignent le même niveau que tu as atteint dans le sport, je parle qu’ils atteignent leurs niveaux de dépassement, de persévérance, de continuer à l’école, de faire la job qui les passionne. Les athlètes ont beaucoup à donner après leur carrière. »

Lavoie déplore d’ailleurs que les fédérations sportives québécoises et canadiennes n’en fassent pas plus pour
encadrer les athlètes en fin de carrière, un processus difficile pour plusieurs.

Par la bande, il indique qu’un rôle de mentor concernant l’implication sociale ne serait pas sans l’intéresser :
« J’aimerais beaucoup aller donner un petit cours à tous ces athlètes sur l’après-carrière. J’aurais quelques trucs
à donner. »

Un dernier but à accomplir

Pierre Lavoie est fier de ce qu’il a accompli jusqu’à présent, que ce soit sur les plans du sport, du social ou
de l’entrepreneuriat. Il n’en demeure pas moins qu’il caresse encore un objectif.

« Ce que je veux, c’est que les gens prennent conscience qu’ils doivent bouger pour une seule raison : maintenir leur corps en santé toute leur vie. C’est comme manger, dormir, boire de l’eau, c’est nécessaire pour la vie. Ça, on l’a perdu en cours de route et on doit le ramener. Ça serait mon grand objectif et sincèrement, je pense que je vais le voir avant ma mort. »

« Le jour où le gouvernement met des règles, les villes mettent plus de pistes cyclables, il y a plus de piscines
avec plus de couloirs, les employeurs ont des programmes santé pour leurs employés, ça sera qu’on a réussi […] Mais même à ce moment-là, est-ce que je vais me reposer ? Non. Je vais continuer. Je suis un entrepreneur et un entrepreneur, ça n’arrête jamais. Ça parle pas de retraite, ça parle de transition. »

Si Pierre Lavoie atteint son objectif, il ne se reposera donc pas sur ses lauriers. Il se trouvera simplement une autre cause qui lui tient à cœur. Quitte à continuer d’enchaîner les semaines de 80 heures.

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