Le rêve éveillé de Mulholland Drive

En mai 2001, au Festival de Cannes, était présenté en première mondiale le film de David Lynch, Mulholland Drive. C’est un film qui, encore aujourd’hui, continue de marquer l’imaginaire collectif. Considéré par la BBC comme étant le meilleur film du 21e siècle, le film célèbre cette année son 20e anniversaire. C’est une proposition très intéressante à étudier lorsque l’on s’attarde à ses aspects, caractéristiques et thèmes.

Par Marc-Antoine Auger, journaliste collaborateur

Mulholland Drive. raconte l’histoire de trois personnes dont les destins se croisent dans des circonstances mystérieuses : Rita (Laura Elena Harring), une femme souffrant d’amnésie qui cherche à se remémorer sa vie avec l’aide de Betty Elms (Naomi Watts), une jeune actrice qui vient tout juste d’arriver à Los Angeles et qui rêve de percer dans le milieu du cinéma, et enfin, Adam Kesher (Justin Theroux), un réalisateur travaillant sur un film, aux prises avec un regroupement de mafieux exigeant de choisir l’identité de l’actrice principale, ce qui ne fait évidemment pas du tout l’affaire de Kesher. On se rend rapidement compte lorsque l’on regarde le film que ce synopsis simple à comprendre ne rend pas compte de la complexité du film. Plus on avance dans l’histoire, plus on constate une intrigue qui pose énormément de questions et qui donne très peu de réponses. À la base, en réalisant Mulholland Drive., Lynch avait l’idée d’en faire un projet pilote pour une série, mais le projet de série n’a jamais été approuvé, ce qui fait que Lynch a dû se «  revirer sur un dix cennes  » en ajoutant une fin pour le film, ce qui peut expliquer l’étrangeté et une certaine confusion encourue chez le spectateur. Cependant, c’est tout de même possible de tracer quelques pistes de réflexion.

 

Le postmodernisme 

Mulholland Dr. fait partie d’un courant de films qu’on nomme le postmodernisme. On compte parmi ces longs métrages issus de ce courant des films comme Pulp Fiction de Tarantino, pour son utilisation d’une trame narrative complexe ; The Big Lebowski des frères Coen et Blade Runner de Ridley Scott, pour leurs frontières floues entre les genres. Once Upon a Time in the West de Sergio Leone est un autre exemple en la matière, qui rend hommage tout en déconstruisant certaines caractéristiques du western. Donc, ce sont des films qui possèdent comme caractéristiques, entre autres, de s’influencer de plusieurs courants qu’il y a eu précédemment dans l’histoire du cinéma, comme la Nouvelle Vague, le surréalisme, ou encore les films noirs américains des années 40-50. Ces films peuvent être difficiles à classer dans un genre en particulier. Ce sont également des films qui peuvent déboulonner les conventions cinématographiques en lien avec la structure narrative. Ce que je veux dire par là (et Pulp Fiction en est un bel exemple), c’est qu’il peut y avoir par exemple des flashbacks et des sauts dans le futur, notamment.

Le film de Lynch y va d’ailleurs de quelques références cinématographiques à des films noirs célèbres comme Gilda (Charles Vidor, 1946) avec Rita Hayworth dans le rôle principal, qui donne son nom au personnage interprété par Laura Harring, et également Sunset Boulevard (Billy Wilder, 1950).

Le surréalisme
L’une des principales caractéristiques du surréalisme, c’est qu’il emprunte des aspects formels du rêve. Je n’apprends rien à personne lorsque je dis qu’un rêve, ça peut être bizarre, ça peut avoir ni queue ni tête, sauter du coq à l’âne, n’avoir aucun sens. C’est en faisant des rêves comme ça que certains artistes surréalistes ont eu l’idée d’œuvres artistiques d’apparence un peu étranges (et je dis ça sans jugement péjoratif). Mulholland Dr. emprunte ces aspects formels du rêve dans la dernière heure du film environ, ce qui peut expliquer une certaine confusion encourue chez les spectateurs et spectatrices.

Les personas
Carl Gustav Jung est un psychiatre suisse qui a été le premier à élaborer le concept de persona. Ce concept se définit par l’idée selon laquelle une personne arbore une personnalité quelque peu différente dépendant du contexte dans lequel elle se trouve. Par exemple, généralement, on ne se comporte pas exactement de la même manière si on est au travail, en famille ou avec des ami.e.s. J’ai vu Mulholland Dr. de David Lynch trois fois, les deux premières fois je n’avais pas ce concept-là en tête, contrairement à mon troisième visionnage, et ça a complètement changé mon regard sur le film, parce que David Lynch dans son film tente d’appliquer ce concept à la machine cinématographique d’Hollywood, où les acteurs et actrices se montrent souvent sous leur plus beau jour et montre un visage différent lorsqu’ils sont à la télé et lorsqu’ils sont dans leur vie de tous les jours. Cette même machine d’Hollywood qui vend du rêve, qui donne l’impression que de dehors le monde d’Hollywood est tout rose, mais lorsqu’on le voit de l’intérieur on peut facilement constater qu’il est beaucoup plus sombre et néfaste pour quiconque s’y aventure. D’ailleurs, on peut apercevoir dans le film de Lynch des références au film Persona, sorti en 1966 et réalisé par le Suédois Ingmar Bergman. Pour les amateurs et amatrices de Bergman, je recommande chaudement de se prêter à cet exercice de voir les deux films ensemble, notre regard change sur les deux films.

La première fois que j’ai vu le film, je ne m’attendais pas du tout à ce genre de proposition, où plus le film avançait, moins je comprenais. La deuxième fois c’était à peu près la même chose, je l’avais regardé sans m’avoir rappelé pendant à peu près la première moitié du film que je l’avais déjà vu auparavant, mais Lynch est un spécialiste de ce genre de film, des films qui, à première vue, sont à peu près incompréhensibles, mais que tu as énormément envie de revoir (c’est mon cas). Ce n’est qu’à mon troisième visionnage que j’ai réalisé à quel point c’est un chef-d’œuvre, ni plus ni moins, un classique du cinéma.

Mulholland Dr. est un film fascinant qui gagne absolument à être vu plus d’une fois pour toutes ces raisons, en ayant le concept de persona en tête, et l’idée selon laquelle Hollywood est d’une certaine manière une machine à vendre du rêve, une machine qui vient avec un idéal, mais qui peut te faire sombrer dans une spirale cauchemardesque.

 

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