L’organisme culturel Rhizome, instigateur de plus de 70 projets et spectacles, fête, ce printemps, ses 20 ans. Un fonctionnement unique qui lui a permis de se démarquer au cours des deux dernières décennies. Entrevue avec Simon Dumas, fondateur de Rhizome.
Par Emmy Lapointe, cheffe de pupitre arts, en collaboration avec Simon Dumas et Juliette Bernatchez
Pourriez-vous nous expliquer rapidement ce qu’est Rhizome et quel est son « but » ?
Rhizome crée des œuvres de littérature vivante. Depuis 2000, quelques 220 écrivain·e·s ont activement participé à la création de plus de 70 projets — surtout des spectacles — présentés dans de nombreux festivals et lieux littéraires au Québec, au Canada et dans 7 autres pays. Jouant le rôle d’un « metteur ensemble » Rhizome rassemble des artistes et des auteur·trice·s, des individus et des organismes, des producteur·trice·s et des diffuseur·euse·s pour que s’exprime la création littéraire, d’ici surtout, mais aussi d’ailleurs. Par son rôle loin des projecteurs et par son soutien inébranlable au milieu littéraire et à la création, Rhizome participe activement, en coulisses et depuis 20 ans, au rayonnement de cette littérature et se réjouit de la lumière qu’elle retrouve actuellement auprès du public québécois et d’une relève croissante et dynamique.
Comment « l’organisme » s’est-il créé ?
Ce n’est pas d’hier que les poètes se présentent devant leurs pairs pour arborer une parole libre. Déjà, sur la scène du Gésu en 1970, Gaston Miron proclamait « aujourd’hui je suis sur la place publique avec les miens ». Oui, la parole des poètes et des écrivain·e·s est certainement publique. Même si l’écriture est une activité solitaire, son action et ses effets sont communautaires. Car il s’agit d’un travail sur le langage et le langage est l’affaire de toutes et tous.
L’oralité, l’écrit, le numérique, le performatif ou le spectacle sont des véhicules que la création littéraire peut emprunter pour rejoindre un public. Bien sûr, le livre demeure un support privilégié de la diffusion de la littérature. L’invention de l’imprimerie a provoqué ce virage, faisant passer la littérature de l’oralité à l’écrit. Malgré cela, les pratiques orales ne sont jamais disparues, mais sont passées au second plan. Le premier plan est devenu tellement massif qu’il a certainement porté ombrage aux autres pratiques. De telle sorte qu’en 1973, lorsque Barthes appelle de ses vœux, dans Le plaisir du texte, une « écriture à haute voix », il ignore complètement que Bernard Heidsieck pratiquait une telle littérature depuis plus de vingt ans déjà. Et il n’était pas le seul. Chez nous, la littérature québécoise a elle aussi participé à ce mouvement de décloisonnement des arts qui caractérise notre époque.
Mais en 1999, je ne savais rien de tout ça. Ce que je connaissais, c’était la joyeuse folie de La nuit de la poésie 1970 que je regardais en boucle depuis mes années de cégepien et le Festival international de poésie de Trois-Rivières que je fréquentais annuellement. J’y ai rencontré, entre autres, Gaston Miron, Geneviève Amyot, Paul-Marie Lapointe, Pauline Harvey et Yves Boisvert.
Ce sont-là les influences premières et le coup d’envoi fut donné par l’envie d’organiser une soirée de poésie. Avec un ami, Marc Doucet, nous avons entrepris de chercher des commanditaires, de contacter des poètes, de louer une salle, de concevoir une affiche puis de l’afficher sauvagement sur tous les poteaux des quartiers centraux. C’est Marc qui a suggéré d’ajouter des images sous formes de film et de photos, une scénographie et des musiciens. Nous avions baptisé la chose Formes et l’avions qualifié de « spectacle multimédia de poésie ».
Enfin, si je m’étends si longuement en préambule, c’est pour dire deux choses. La première c’est que Rhizome n’invente rien, nous nous efforçons plutôt de réinventer des formes qui existent déjà. En les questionnant, en les hybridant, en leur faisant subir un certain stress, celui de l’expérimentation. La seconde, c’est qu’avec la pratique (et du temps) vient la réflexion. Le support que nous avons spontanément choisi pour ce faire fut la représentation. Et le moyen, l’interdisciplinarité. C’est d’ailleurs un critique de l’Impact Campus qui fut le premier aiguillon qui nous fit réfléchir à notre démarche. Il nous avait reproché un multimédia qui n’était ni pensé ni apprivoisé. Il n’en fallait pas plus pour que nous rédigions la mission de Rhizome et édictions les trois contraintes de base qui n’ont plus bougé depuis :
1 travailler avec des textes littéraires qui ne sont pas écrits pour la scène
2 que l’auteur·trice participe à la création et à la représentation
3 qu’interviennent nécessairement d’autres disciplines artistiques
Aujourd’hui, lorsqu’on me le demande et que je dois répondre brièvement, je dis que Rhizome met en scène des écrivain·e·s. Il serait parfois plus juste de dire que nous aidons des écrivain·e·s à se mettre en scène, que nous leur fournissons des conditions, un accompagnement. Enfin, les projets sont si variés. D’une fois à l’autre, ce n’est jamais la même aventure.
Comment vous définiriez l’expression arts littéraires ?
Ce n’est sûrement pas un hasard si Rhizome a vu le jour à l’aube du nouveau millénaire. Les dernières décennies ont vu émerger des pratiques individuelles, surtout de poètes, touchant à différents champs des arts. Les années ’70 ont donné des Raoul Duguay, puis des Lucien Francœur. Plus tard, il y aura des Richard Martel, des André Marceau, des Hélène Matte, des Renée Gagnon, des Jonathan Lamy et des Sébastien Dulude.
Si certain·e·s d’entre elles et eux furent connu·e·s du grand public, si plusieurs firent le pont entre l’oralité et l’écrit, il n’en demeure pas moins que ces pratiques ont évolué en silo. D’un côté, il y avait les écrivain·e·s du livre qui, à l’occasion, s’adonnaient à des lectures publiques. De l’autre, il y avait les poètes sonores, pratiquant la poésie action ou concrète, qui évoluaient dans d’autres cercles. Dès sa fondation, Rhizome allait faire le pont entre les deux en proposant de renouveler la forme de la lecture publique, c’est-à-dire la plateforme orale des « écrivain·e·s du livre ».
Je demeure convaincu que dans le contexte des bouleversements artistiques et technologiques actuels, on ne peut se permettre de marginaliser ces pratiques sous peine d’isoler la littérature dans le champ des arts. Car c’est de ça qu’il est question : la littérature est un art. Les écrivain·e·s sont des artistes. Faire de la littérature, c’est créer de l’art à partir du matériau du langage. Le livre peut en être le support comme ce peut être autre chose. Seulement, depuis longtemps subsiste une confusion entre livre et littérature, entre un produit culturel (et aussi une industrie) et un art. L’avantage du terme « arts littéraires » est double : il ramène la pratique dans le champ de l’art et, par le pluriel, il reconnaît la diversité de ses formes et de ses modes d’expression.
Des objectifs pour les prochaines années ?
De par son mandat, Rhizome travaille à intégrer toutes les pratiques littéraires dans un grand champ des arts littéraires. Bien sûr, sa ligne éditoriale et la façon dont elle est appliquée a contribué à développer un certain style. Il n’est pas question ici de le défendre, mais plutôt cette idée qu’un florilège de styles ne demande qu’à s’épanouir dans le champ de la création et de l’expression littéraire hors le livre. Après vingt ans d’existence active, Rhizome se sent en position d’encourager et d’accompagner cet essor.
C’est pourquoi nous avons l’intention d’ouvrir Rhizome encore davantage. Certaines pistes, comme créer un programme de résidence de création hors le livre invitant les écrivain·e·s et artistes de partout à venir créer et échanger sur leurs pratiques avec le milieu d’ici, sont présentement explorées. Il est primordial de favoriser les échanges d’idées afin d’enrichir le terreau de notre propre art.
Quelles seront les célébrations pour les 20 ans de Rhizome ?
Pour le vingtième anniversaire, nous désirons deux choses : susciter des conversations sur la notion d’arts littéraires et faire la fête. L’artiste Jean-Yves Fréchette disait récemment que Rhizome invite à festoyer autour d’un texte littéraire. Pour notre 20e anniversaire, nous vous invitons à festoyer avec des littéraires.
11 mars – Cabaret Cléopâtre, Montréal.
Une performance/lecture des artistes Pascal Leclercq et Bertrand Pérignon, dans le cadre des Prix Expozine et du Festival dans ta tête.
12 mars – Salle de bal du Centre Horizon, Limoilou.
Pour cet anniversaire à Québec, Rhizome s’affilie au Mois de la poésie en proposant une célébration des arts littéraires. Au programme : lancement de livres, performances, réanimation de la formule « Tenir salon » et performance du Mois de la poésie. Plusieurs auteur.trice.s et poètes seront de la partie, notamment Mathieu Arsenault, Nicole Brossard, Érick d’Orion, Carl Lacharité, Bertrand Laverdure, Yannick Renaud, Erika Soucy, en plus de Virginie Beauregard D., Sébastien Dulude et Rachel McCrum.
17 mars – Librairie Le Port de tête, Montréal.
Lancement des livres Solyvène Targamé de Bertrand Pérignon (Bruxelles) et de Standon de Pascal Leclercq (Liège) des Éditions Rhizome.
26 mars – Lion d’Or, Montréal.
Ce sera le lieu d’un renversement. À défaut de faire monter des écrivain·e·s sur la scène à la rencontre d’un public, nous présenterons des artistes sonores à l’œuvre : Érick d’Orion,