Photo : site web St-ViateurBagel.com

Les secrets juifs du Mile-End

Quand nous avons décidé de créer ce numéro sur le thème du territoire, Raphaël, notre rédacteur en chef, nous a demandé ce que ça évoquait pour nous. Quand je pense à Montréal, la ville où j’ai grandi, la ville qui m’a accueilli, la première chose qui me vient en tête, c’est la diversité. Ce que j’aime le plus de ma ville, c’est se promener dans ses quartiers et naviguer à travers les différentes cultures qui les habitent. Montréal a été construite par ses habitants, par ses immigrants.

Un de mes quartiers préférés de Montréal est le Mile-End. J’adore son ambiance, ses friperies, ses cafés, son architecture et sa fusion culturelle. C’est grâce à mon amie Maude qu’avec notre classe de journalisme, nous avons eu la chance de faire une visite guidée de quartier à travers l’histoire de la communauté juive de Montréal. C’est avec la guide et étudiante en histoire à Concordia, Lauren Laframboise, que nous avons arpenté les rues d’un quartier que je pensais si bien connaître. J’ai découvert l’histoire riche et épatante d’immigrants qui ont participé à la fondation de Montréal tel qu’on la connaît aujourd’hui.

Même si j’ai grandi avec les bagels du Saint-Viateur et le smoked meat de chez Schwartz, je me suis rendu compte d’à quel point je ne connaissais pas l’histoire extraordinaire de ces gens qui ont façonné une partie de cette ville que j’aime tant. Je souhaitais partager une petite partie de la vaste histoire de cette communauté montréalaise aux multiples visages qui compte aujourd’hui près de 90 000 habitants.

La première grande vague

Si l’arrivée des premiers juifs au Canada date de l’époque de la colonisation, c’est au début du XXe siècle, avant la Première Guerre mondiale, que la première vague d’immigration juive est arrivée au Canada. Leur destination : Montréal, cette île aux grandes opportunités économiques. « Ils arrivaient dans le port de Montréal souvent démunis ne connaissant ni l’anglais ni le français », indique le professeur d’histoire à l’Université d’Ottawa spécialisé dans l’histoire juive de Montréal, Pierre Anctil. « Les juifs ont été engagés en très grand nombre dans l’industrie du vêtement et ils ont donc joué un rôle important au plan économique ».

C’est dans le Plateau Mont-Royal que ces immigrants ont posé leurs valises pour finalement élire domicile au-dessus de la rue Sherbrooke. « Dans les années 20 et 30, le quartier autour du boulevard Saint-Laurent était presque majoritairement juif », explique Pierre Anctil. Sur cette avenue qui sépare historiquement le côté anglophone et le côté francophone de la ville, cette communauté juive principalement originaire d’Europe de l’Est à l’époque, fonde plusieurs institutions en yiddish, leur langue d’origine. On commence à voir la création de plusieurs synagogues et d’institutions juives variées. « À l’époque, à Montréal, tous les services sociaux étaient divisés selon sa confession, donc la communauté a dû créer ses propres institutions pour survivre », indique Lauren Laframboise.

On voit alors l’apparition d’hôpitaux, de bibliothèques, des lieux culturels, des écoles, des syndicats, des mouvements politiques et même d’une presse juive : le Keneder Adler, un journal yiddish publié de 1907 à 1977 dont la salle de rédaction se trouvait sur le boulevard Saint-Laurent au coin de Duluth. Un média qui avait une fonction de médiateur entre les nouveaux arrivants yiddishophones et les différents groupes dans lesquels ils espéraient s’intégrer, peut-on lire en s’informant sur la vie de son fondateur, Hirsch Wolofsky à travers les archives du Musée du Montréal juif. Une institution dont il est toujours possible de remarquer les artéfacts dans la pierre de son bâtiment : des étoiles de David, des inscriptions en yiddish, etc. Des marques de l’histoire que l’on peut remarquer sur de nombreux bâtiments en se promenant dans le quartier. Un petit bijou parmi les dizaines d’autres que Lauren Laframboise nous a fait découvrir lors de notre visite. Saviez-vous que le célèbre Cinéma L’Amour était anciennement un théâtre en langue yiddish super populaire ? Dans les années 20 et 30, il était aussi la principale salle de cinéma où il était possible de voir des films en yiddish.

Une communauté qui se diversifie

« Quand on s’approche, on voit que l’on ne peut pas parler d’un juif ou d’une communauté juive », indique Pierre Anctil. « Il faut parler de plusieurs communautés avec des passés différents, des sensibilités différentes, des dates d’arrivée différentes, etc. » Vers le milieu et la fin du XXe siècle, il y a aussi une forte immigration de juifs francophones originaires d’Afrique du Nord. Cette communauté sépharade qui vient surtout du Maroc crée alors ses propres institutions en français. Aujourd’hui, ils sont plus de 22 000 et représentent environ 25 % de la population juive totale à Montréal selon les chiffres de la Fédération CJA. Il est aussi souvent question des juifs hassidiques qui représentent un courant religieux ultra-orthodoxe qui est regroupé en différentes branches. Ils représentent environ 15 % de la communauté juive, indique Pierre Anctil.

Avec le temps, tous ces groupes ont migré vers d’autres quartiers de Montréal comme Outremont, Côte-Saint-Luc, ou encore Hampstead. Les différentes communautés ont évolué dans la ville de Montréal qu’elles se sont appropriée et qu’elles ont façonnée. L’apport des communautés juives au Québec et au Canada peut être observé autant au plan culturel, économique, politique, social et j’en passe. Une histoire que l’on voit peu dans nos livres du secondaire, mais qui se trouve être passionnante.

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