La gauche canadienne devra s’unir

L’inquiétude engendrée par l’influence florissante qu’exerce le Parti conservateur du Canada sur notre pays se justifie amplement lorsque l’environnement, la justice sociale et la laïcité nous tiennent à cœur. C’est la raison pour laquelle des militants de gauche comme Jack Layton, Elizabeth May et, dans une certaine mesure, Gilles Duceppe ont mobilisé leurs troupes durant la dernière élection afin de dénoncer de concert les incohérences dans lesquelles les politiques de Stephan Harper nous ont tous entraînés.

Aussi doit-on souligner que si la critique anti-conservatrice, elle, fut menée d’un front commun, il en fut tout autrement sur le terrain, où les représentants de cette option de gauche s’entredéchirèrent pour obtenir la faveur de l’électorat. C’est ainsi que partout au Canada, à l’exception du Québec où domine le Bloc, le Nouveau Parti démocratique (NPD) et le Parti vert du Canada (PVC) se partagèrent les suffrages, au grand dam du simple citoyen conscientisé qui espérait faire élire un député néo-démocrate ou vert dans son comté.

Que cela nous plaise ou non, les deux principaux partis de gauche devront fusionner s’ils désirent un jour prendre les rennes du pouvoir ou, du moins, former l’opposition officielle. De toute manière, les différends idéologiques entre le NPD et le PVC ne sont guères plus nombreux que ceux qui séparaient les défunts Parti progressiste conservateur et Alliance canadienne, qui donnèrent naissance, en 2003, à l’actuel Parti conservateur du Canada. À l’époque, le désir pragmatique de gouverner incita ces deux entités politiques à s’allier au prix de quelques concessions stratégiques. Le pari fut sans aucun doute gagnant puisqu’ils dirigent maintenant le pays. Au lieu d’ancrer rigidement leur plate-forme dans des principes immuables, les militants néo-démocrates et verts devraient, pour une fois, faire preuve de souplesse en négociant un compromis pour s’unir.

Le NPD et le PVC évitent à tout prix les étiquettes de «gauchistes» ou de «défenseurs de l’État-
providence» qui ont eu mauvaise presse depuis l’effondrement de l’URSS. Pourtant, les programmes de ces deux partis prouvent bel et bien que ceux-ci se chevauchent à gauche de l’échiquier politique canadien. Mentionnons, entre autres, leurs propositions interventionnistes semblables pour atténuer les problèmes de pauvreté ainsi que les abus du néolibéralisme, leur intérêt marqué pour la protection des biens communaux et du secteur public et, finalement, le rôle d’agent de la paix qu’ils envisagent tous deux pour le Canada sur le plan international. La similitude de leur électorat est nettement contreproductive.

Jusqu’à tout récemment, on pouvait comprendre aisément le manque d’intérêt de Jack Layton pour s’allier aux verts, en raison du faible pourcentage de votes à aller chercher (4 % tout au plus, en 2006) et de l’image «grano» dont son parti aurait potentiellement souffert à la suite de cette fusion. Ceci dit, le contexte politique et climatique a évolué, bouleversant désormais les rapports de force en place. Le PVC se compose maintenant de membres de tout acabit, ce qui signifie que le message environnementaliste trouve écho dans toutes les classes de la société et dans toutes les régions du Canada. Ainsi, la montée fulgurante du PVC à 7 % dans les suffrages (12 % dans certains sondages avant la fuite des votes stratégiques) lui confère dès lors un poids politique non négligeable. Par exemple, le Tournant vert des libéraux est sans contredit le résultat de la pression électoraliste exercée par le PVC.

Concrètement, l’addition des votes verts à ceux du NPD aurait donné, en 2008, dix députés supplémentaires aux représentants de la gauche, faisant bondir de
37 à 47 leur nombre de représentants à la Chambre des communes, et atteignant presque le pourcentage de votes qu’ont obtenu les libéraux à l’échelle canadienne, soit 26 %. Leur rêve de former l’opposition officielle serait donc réalisable.

En temps de crise financière, ce serait un manque d’opportunisme et de pragmatisme impardonnable que de continuer à affaiblir la gauche canadienne par des guerres de clochers idéologiques. Le NPD et le PVC sont depuis toujours des frères qui s’ignorent. Rappelons à Jack Layton et à Elizabeth May le lien indéfectible qui les unit et qui pourrait les hisser un jour au sommet s’ils osent enfin se tendre la main pour avancer.

Guillaume Chaloult
Étudiant en médecine

Auteur / autrice

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