La réalité des Québécois sous l’aide sociale : Josée Ferland [1/3]

En 2017, 3,4 millions de Canadiens, soit 9,5 % de la population, vivaient dans la pauvreté. Impact Campus a rencontré trois personnes bénéficiaires de l’aide sociale et a cherché à dépeindre leur réalité. Loin des clichés et à coeur ouvert, ils témoignent sur leur parcours et leur quotidien.

Photos et témoignages par Lucie Bédet, journaliste multimédia

JOSÉE FERLAND, 63 ANS, 1 137 $ PAR MOIS

« Aujourd’hui, je suis à l’aide sociale. J’ai 1 137 $ par mois pour les personnes à mobilité réduite. Un HLM à 299 $, je paie une assurance appartement, une assurance-vie, le Wi-Fi à la maison et un petit forfait pour le téléphone. 

Je travaillais pour Desjardins. J’ai arrêté en 1998. J’ai eu des chirurgies à cause d’un surplus de poids. J’étais plus lourde d’un bord que de l’autre, avec la colonne en  déséquilibre. Pendant ma convalescence, je suis tombée, je me suis blessée, ça a déclenché une grosse machine autour de moi. Avant, je n’avais pas un gros salaire mais j’avais un salaire qui me permettait de vivre seule, potablement, de me payer des affaires. Au début, j’ai eu le chômage, puis l’aide sociale.

Et il a fallu que me batte pour avoir l’aide sociale pour personnes à mobilité réduite. Je n’avais pas le corps que j’ai là, j’ai une mauvaise vision et j’avais vraiment besoin d’aide. Je n’avais jamais été au CLSC de ma vie, et là, c’était rendu que le CLSC était tous les jours à la maison…

Une vie différente

J’ai travaillé pendant 25 ans alors j’ai connu les deux facettes : quand tu arrêtes de travailler, le superflu, il faut que tu le laisses tomber.

L’aide sociale, c’est de la subsistance, c’est de la survie. 

Pour manger, je viens ici à la moisson, qui fait partie du dépannage alimentaire. Je ne pensais jamais que j’arriverais ici dans ma vie. Les paniers de Noël, le dépannage alimentaire, les vestiaires pour le linge.

Tout trouver à rabais, pour te payer un petit peu de luxe. Un chien, c’est du luxe. C’est mon luxe et ma seule famille. Les friperies, pareil. Un linge, c’est quatre dollars, des bottes, six. Quand tu trouves, c’est ben correct. Et si tu économises sur tes bas, tes mitaines, tes vestes, tu es capable de t’acheter un petit quelque chose dans les magasins. Tu as quelque chose à toi. J’aimais vraiment ça avant, le linge. Aujourd’hui, j’essaie de m’habiller à mon goût, mais à bien moindre coût.

J’aimais ça aller voir des spectacles au Grand Théâtre, mais je ne peux plus y aller. Je n’ai plus d’argent pour aller là. Alors oui, j’ai appris à vivre différemment.

Ce qui me fait peur, c’est vieillir. Aussi parce que je vais devoir payer des choses : mes dentiers, à partir de 65 ans, c’est moi qui les paie. On m’a coupé les aides que j’avais pour le nettoyage. C’est triste parce que mon logement en souffre, je ne suis pas capable de nettoyer mon logement correctement. Si je me penche en avant, je pique du nez et je tombe et avec les années, ça ne va pas s’améliorer. 

L’amitié

En amitié, ça tourne aussi : tes amis, un moment donné, quand tu refuses tous les restaurants, les cafés, quand tu n’es plus capable, le téléphone sonne de moins en moins. Ton niveau social baisse de même.

Il y a des vrais amis qui s’en fichent que tu sois pauvre, ils vont venir prendre une marche avec toi. Mais les sorties, ça coûte toujours, alors il faut se restreindre. Et le fait que le téléphone cesse de sonner, j’ai trouvé ça rough. Honnêtement, c’est un coup qui fait mal. 

Plus de message, plus de texto. Tu te sens rejetée, tu te sens un déchet de la société. Et ce sont tes proches, que tu aimais et que tu as toujours un peu dans ton coeur, qui te le font sentir. Ça fait peut-être deux fois plus mal. 

Accepter l’aide

Être aidée, ça aide ben ben gros. Quand tu perds tes privilèges financiers, il ne faut pas que tu t’écrases sur tes lauriers en disant « j’ai plus rien, j’étais ça avant et j’suis rendue ça aujourd’hui ». Relève-toi et mange, je dis. Il faut que tu te bouscules.

C’est dur pour tout le monde. Après mon opération, je ne suis presque pas sortie pendant trois ans, mais aujourd’hui, je sors, j’ai une marchette, je vais presque partout. C’est niaiseux mais choisir ce que tu mets dans ton panier d’épicerie, ça me tente et je peux le faire. 

Parler de pauvreté, ça ne devrait pas être tabou parce qu’on commence à être beaucoup. J’ai pas le choix, crois-moi que si j’avais le choix, je serais sur le marché du travail. Aller au bureau d’aide sociale, je pense que j’y suis allée à reculons. C’est humiliant et tu te fais dire quelques fois que tu vis au crochet de la société. Ils ne se souviennent pas que tu as travaillé pendant 25 ans. »

Crédits photos: Lucie Bédet

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