Pierrot Ross-Tremblay, Constant Awashish et Jean-Olivier Roy. (Crédit photo : Cezar Valois)

L’apartheid canadien

La directrice et professeure du Département d’anthropologie de l’université Laval, Sylvie Poirier présentait un panel de discussion intitulé, Les traités modernes entre les Premières Nations et l’état canadien : vers une plus grande autodétermination ou subjugation?. Celui-ci rassemblait des intervenants de différents milieux : Michael Asch, professeur d’anthropologie à l’Université Victoire; Pierrot Ross-Tremblay, professeur de sociologie de l’Université Laurentienne; Constant Awashish, grand chef de la Nation atikamekw nehirowisiw; et Jean-Olivier Roy, chercheur postdoctoral à l’École des affaires publiques et communautaires de l’Université Concordia. Ceux-ci ont été particulièrement sévères à l’endroit du rôle de l’État canadien. « On vit encore dans un régime d’apartheid », décrie Pierrot Ross-Tremblay.

Celui-ci explique que les structures de ce régime sont encore bel et bien en place. Selon lui, cela a fait en sorte que l’idée a fini par être tenue pour acquise que les autochtones sont des peuples conquis. « Dans les faits, on n’a jamais rien cédé, on n’a jamais rien consenti », poursuit-il.

« À travers des processus de déterritorialisation physiques, en amenant les gens dans des réserves, on les a déterritorialisés culturellement. Et, les conseils de bande visaient aussi à favoriser l’assimilation en donnant le pouvoir aux « bons Indiens » pour que tout le monde finisse par devenir des bons canadiens », relate M. Ross-Tremblay.

Michael Asch partage quelque peu ce point de vue. Il croit que la souveraineté même du Canada sur son territoire se base sur le fait que la majorité colonialiste a plus de droits que les Premières Nations. « Si nous étions en Colombie-Britannique, j’affirmerais même que nous sommes complètement sur des terres autochtones, comme elles n’ont jamais formellement été cédées et qu’aucun traité n’a été signé » affirme-t-il. La réconciliation permettrait surtout au gouvernement canadien de dissimuler l’enjeu de la dépossession.

Tout cela mène aussi à certaines situations paradoxales. « Les gouvernements reconnaissent des droits ancestraux desquels découle une autonomie gouvernementale, mais en même temps à peu près tous les pouvoirs ont déjà été distribués entre le fédéral et les provinces », Jean-Olivier Roy

Juge et partie

Le concept d’autodétermination est très subjectif selon Constant Awashish. Chaque personne pourrait s’en faire sa propre conception. « Il y a 36 millions de Canadiens et 8000 Atikamekw, comment on fait pour pouvoir survivre nous en tant qu’Atikamekw ? », se demande le grand chef de cette Nation.

« Le fédéralisme des traités semble être la voie privilégiée par la population autochtone et les élites politiques pour sortir du statu quo instauré par la Loi sur les Indiens », constate M. Roy. Il dénote toutefois une grande difficulté qui émane du fait que le gouvernement est à la fois juge et partie dans les négociations.

Les traités sont un moyen que l’État canadien tente pour concilier ses intérêts et ceux des Premières Nations. « L’identité militante et résistante des autochtones, peut-elle vraiment se contenter des types d’ententes? », pose M. Roy.

Michael Asch et PierrotRoss-Tremblay. (Crédit photo : Cezar Valois)

Les oppositions et les critiques sont bien présents. Certaines nations se retirent des négociations. D’ailleurs, après son retrait, la Nation atikamekw nehirowisiw avait déclaré sa souveraineté sur son territoire ancestral en 2014. Celle-ci n’a encore jamais rien cédé ou signé avec le Canada.

C’est un exemple de décisions prises surtout unilatéralement par l’État canadien qui ont menées au pays, tel qu’il l’est aujourd’hui. Même avec des traités, la majorité eurodescendante a parfois décidé d’ignorer certaines clauses. C’est le cas de la clause sur la famine du traité numéro 6 entre la Couronne et certains Premiers Peuples des Prairies, donne en exemple M. Asch.

« La meilleure métaphore pour comprendre l’État canadien c’est celle de l’abuseur qui forge son consentement », illustre M. Ross-Tremblay. Selon lui, les traités modernes feraient aussi partie d’une stratégie pour consolider le colonialisme et légitimer la domination en transformant l’usurpation qui a été faite des terres.

Autoautochtonisation québécoise

Les panélistes ont aussi tenu à souligner l’étrange relation identitaire que les Québécois ont avec les Premières Nations. « Au Québec, vous avez un problème avec tous ceux qui se prétendent comme étant en partie autochtone, c’est quelque chose qu’on n’observe presque pas dans le reste du Canada », relate M. Asch.

« Arrêtez de projeter vos malaises nationalistes sur nous, déplore Pierrot Ross-Tremblay. Vous réduisez nos identités, nos civilisations et nos philosophies à de la génétique. C’est un problème que le Québec doit régler avec lui-même. »

Selon M. Ross-Tremblay, il faudrait que les Québécois se replongent dans une critique culturelle radicale pour retourner au fondement des représentations que ceux-ci se font des Premiers Peuples. « Il faut se questionner sur cette idée-là que « nous autres » aussi, on a du sang indien, il faut arrêter ça, c’est très violent, ça nous réduit à une fiction », martèle-t-il.

 

 

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