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Sculpter la faune sauvage

Richard Bolduc pratique la taxidermie depuis qu’il a 16 ans. Malgré que 50 ans se soient écoulés depuis qu’il a commencé, sa passion pour son métier ne dépérit pas. Samuel Bilodeau, quant à lui, co-dirige BILODEAU Canada, l’une des plus grandes entreprises de traite de fourrure et de taxidermie au Canada. Bien que la saison de la chasse battait son plein au moment de notre entretien, ils ont accepté de nous en apprendre davantage sur leur profession.

Par Émile Bérubé-Lupien, journaliste multimédia

Grand amateur de chasse, Richard Bolduc a commencé à apprendre le métier de taxidermiste grâce à la Northwestern School of Taxidermy, située à Omaha au Nebraska. L’école lui envoyait chaque mois des feuillets d’enseignement pour dix dollars. « On était impatients de recevoir ça. [Dans le temps] il n’y avait pas de YouTube ou quoi que ce soit, c’était par la poste et on attendait. J’ai appris avec ça », raconte-t-il.

M. Bolduc ne se fait toutefois pas d’illusions sur ses premiers pas dans le métier : « Au début, ça ressemblait plus à des caricatures qu’à des vrais animaux, mais plus tard avec la demande, les amis, j’ai commencé à en faire un peu pour d’autres. »

Au fil des années, il s’est amélioré au point de remporter plusieurs concours de taxidermie au Canada. Il a par exemple mis la main sur le prix de la pièce la plus artistique de la compétition et sur le choix du public chez les maîtres au pays en 2006.

Samuel Bilodeau, quant à lui, a commencé à travailler comme taxidermiste, avant de se tourner davantage vers le côté administratif de l’entreprise familiale fondée en 1997 par son oncle, Mario Bilodeau. Il conserve cependant son respect et son intérêt pour le métier : « Les taxidermistes, ce sont des naturalistes, qui apprécient la nature, la chasse, la pêche, l’observation joue pour beaucoup aussi. »

Plusieurs heures de travail

M. Bolduc estime qu’il lui faut entre 16 et 20 heures pour monter une tête de cerf, l’une des pièces les plus prisées. « J’offre un travail de haute qualité. Il y en a d’autres qui vont le faire en beaucoup moins de temps, il y en a qui le font en huit heures en tout et pour tout. Il y en a des plus rapides que d’autres, mais chacun sa clientèle. Moi, j’aime que mon produit soit le plus prêt du vivant possible », précise-t-il. Dans son établissement, une telle pièce se détaille à 660 $.

Des clients de tout horizon

Samuel Bilodeau explique qu’en plus des pêcheurs, chasseurs, collectionneurs et passionnés de nature, BILODEAU Canada vend et loue aussi des animaux naturalisés à des institutions. Ainsi, l’entreprise fait parfois affaire avec des musées, des théâtres et des studios de cinéma. On a par exemple pu apercevoir certains de ses produits dans le film « Une Nuit au musée ».

Pas de place pour les animaux de compagnie

« J’en ai encore eu une ce matin qui m’a appelé à 8 h avec la larme à l’oeil. Son chat était en train de mourir. Ils sont prêts à payer le gros prix pour ça », déplore Richard Bolduc au sujet des clients qui tentent de le convaincre de naturaliser leurs animaux de compagnie.

Pour les taxidermistes, naturaliser un coyote ou un caniche royal constitue deux manoeuvres complètement différentes. « Souvent, ils sont malades, ils sont obèses , leur poil est faible parce qu’ils ont toujours été élevés à l’intérieur… C’est la bête noire des taxidermistes de se faire appeler par des gens qui pleurent au téléphone, pour
préserver leur chien ou leur chat », raconte M. Bolduc.

« J’ai du respect pour les animaux, j’ai du respect pour les gens aussi. C’est toujours facile de jouer avec les sentiments.»
— Richard Bolduc

« J’ai eu des gens qui m’appelaient pour un chien, un boxer, qui étaient prêts à payer 5000, 6000 dollars. Pour un animal de la même grandeur dans la faune sauvage, on va charger entre 1000 et 1200
dollars. »

Pour couper court à ces demandes, le taxidermiste demande à ses clients éplorés d’entreposer la dépouille de leur animal de compagnie dans leur congélateur pour une période de deux mois avant de le rappeler. Souvent, il n’aura pas de retour à ce sujet.

« L’animal de compagnie, le client le voit à tous les jours depuis une dizaine d’années, c’est dur d’arriver à quelque chose de naturel. »
— Samuel Bilodeau

Samuel Bilodeau indique que l’équipe de BILODEAU Canada est également réticente à s’occuper d’animaux de compagnie. « C’est triste à notre avis, de voir un animal de compagnie se faire naturaliser. C’est aussi dur de reproduire parfaitement ce que le client désire », indique-t-il. S’il arrive que l’entreprise s’occupe de ce type de
commande, il arrive également que certains employés refusent, par principe.

Des demandes farfelues

La naturalisation d’animaux de compagnie n’est toutefois pas la demande la plus loufoque qu’aie reçue M. Bolduc. Le soixantenaire s’est déjà fait contacter par un homme atteint d’un cancer généralisé qui a tenté de le convaincre de le naturaliser. « Il me disait : « Toi et moi on va passer à l’histoire ». Je lui ai répondu que je sympathisais avec lui et je lui souhaitais beaucoup de courage pour sa fin de vie, mais que j’embarquerais pas
là-dedans. Ça n’a pas d’allure, ça s’est jamais fait », raconte-t-il, incrédule.

Un tel projet, tout droit sorti de l’univers de Mary Shelley, est loin de respecter la représentation que se fait Richard Bolduc du rôle des taxidermistes, qu’il a exposée au début de notre entretien.

« Le travail d’un taxidermiste, c’est de garder une mémoire, un souvenir, pour un chasseur qui a récolté un animal, que ce soit une perdrix, un orignal, un chevreuil, ou une antilope d’Afrique. On appelle ça un trophée, mais en réalité, c’est un mot un peu fort. Moi j’appelle plus ça une récolte. Tu veux garder un souvenir, tu fais affaire avec un taxidermiste qui est qualifié, qui respecte les animaux et ses clients. »

Aucun gaspillage

« On essaie d’utiliser les ressources de l’animal à 100 pour cent pour ne rien en perdre. »
— Samuel Bilodeau

Samuel Bilodeau indique que lorsqu’elle naturalise un animal, son entreprise tente à tout prix de limiter tout gaspillage. « On travaille avec plein de ressources, par exemple l’Université du Québec à Chicoutimi, pour développer avec les graisses des animaux des huiles, des savons, on fait plein de choses pour utiliser au maximum l’animal », explique-t-il.

Il s’agit d’une façon de respecter les animaux dont s’occupe l’entreprise. « Plus on observe les animaux, plus on est en contact avec eux par l’entremise de notre travail, plus ça nous permet de les aimer et de les respecter », conclut-il.

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