Guy Turcotte : La libération d’un « monstre »

La publication de ce texte est possible grâce à criminoblogue ; l’actualité criminelle vue par des étudiants en criminologie. Un article de Jennifer Guay

« Le premier des droits de l’homme c’est la liberté individuelle»  Jean Jaurès

 

En juillet 2011, Guy Turcotte a été reconnu non-criminellement responsable pour cause de troubles mentaux du meurtre de ses deux enfants. Le 13 décembre 2013, la Cour d’appel ordonna la tenue d’un nouveau procès. Statuant sur sa remise en liberté en attente du nouveau procès, la Cour supérieure conclu à sa libération. Le 3 décembre dernier, la Cour d’appel confirma cette décision.

 

Pour justifier une détention avant procès, il s’agissait, dans le cas de Turcotte, de déterminer si sa détention était nécessaire pour ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice. Cette détermination requiert le test de la «personne raisonnable», qui réfère à un «public raisonnablement informé». La Cour d’appel définit cette notion comme suit : «un public en mesure de se former une opinion éclairée, en pleine connaissance des faits de la cause et du droit applicable, et qui n’est pas mû par la passion, mais par la raison. ». Par conséquent, l’opinion du public est celle d’un public informé des circonstances de l’affaire pendante et des principes juridiques applicables; tels la présomption d’innocence et les valeurs fondamentales protégées par la Charte.

 

Dans l’affaire Turcotte, un public informé :

  • « sait que Turcotte bénéficie du droit garanti par la Charte d’être présumé innocent, et ce, tant qu’il n’a pas été dûment déclaré coupable par un jury. Le droit à la présomption d’innocence est une assise fondamentale du droit criminel canadien dont l’intimé doit profiter même s’il reconnaît avoir posé les gestes reprochés ;
  • sait que pour être déclaré coupable d’un crime, l’accusé doit avoir été capable de former l’intention criminelle de la commettre;
  • sait qu’il a une défense fondée sur les troubles mentaux à présenter;
  • sait qu’il jouit de la protection constitutionnelle de ne pas être privé de liberté sans juste cause;
  • tient pour acquis que la détention de Guy Turcotte n’est pas nécessaire pour assurer sa présence à son procès ni pour assurer la protection et la sécurité du public;
  • et sait que si Turcotte est déclaré coupable des crimes dont il est accusé, il purgera à ce moment la peine imposée.»

 

Or, la poursuite a tenté de convaincre la Cour que l’opinion du public raisonnable se reflétait dans les 21 coupures de journaux déposées en preuve en plaidant que les auteurs « ont exprimé l’opinion d’un public informé ». La Cour rejeta cet argument :

 

« La lecture des coupures de presse montre à quel point il est dangereux de recourir à ce mode de preuve. On y retrouve des opinions diverses, plus ou moins nuancées, plus ou moins objectives, plus ou moins mesurées, plus ou moins superficielles. Plusieurs exposent des faits inexacts ou ne rapportent pas ceux qui sont essentiels. La plupart taisent les principes juridiques essentiels à la prise de décision en matière de mise en liberté. Certaines opinions attisent la colère et dénaturent le débat. Peu rapportent fidèlement les faits et rappellent correctement les principes applicables. Globalement, il faut convenir qu’elles ne satisfont pas au critère de la personne raisonnable définie par la jurisprudence. »

 

 

Le journalisme d’enquête est un mélange de journalisme d’opinion et de journalisme d’information. Par conséquent, ce qui est véhiculé dans les médias ne représente pas un «public informé», particulièrement dans le cas de Turcotte. Effectivement, ce dernier a été diabolisé par la presse. Pourquoi cet acharnement médiatique sur son dossier ? Pourquoi la population réagit plus violemment à ce cas ?

 

Pourtant, ce n’est pas le premier à être accusé du meurtre de ses enfants… Cet engouement et insistance médiatique s’explique par le fait que Guy Turcotte, chirurgien, homme blanc et ayant une bonne situation financière ne correspond pas à l’image typique du criminel. Par conséquent, nous sommes choqués et ébranlés dans nos convictions et croyances. Nous sommes tous convaincus que la criminalité se produit dans un contexte autre que le nôtre, que nous sommes à l’abri, que les personnes que nous connaissons ne pourraient jamais commettre de tels gestes. Mais si un homme comme Turcotte a bel et bien commis les gestes qui lui sont reprochés, une personne de notre entourage pourrait également se retrouver en pareille situation. Effectivement, comment peut-on concevoir qu’une personne qui nous est proche pourrait faire cela ? Le cas de Guy Turcotte nous a obligé à nous poser de telles questions.

 

 

Suite à cette décision de la Cour d’appel, une panique et une révolte se sont installées concernant la mise en liberté avant procès. Si notre système judiciaire décide de remettre Guy Turcotte en liberté, qui d’autre n’y aura pas droit ? Pourtant, le public, celui qui se doit d’être informé pour se former une opinion neutre, ne sait pas que l’emprisonnement avant procès est en hausse constante au Québec et au Canada. En effet, plus de la majorité des personnes détenues sont en attente de leur procès.

 

Si l’emprisonnement avant procès continu une telle ascension, la présomption d’innocence risque de disparaître au profit d’un système répressif où la liberté individuelle perdra tout son sens.

 

Personnellement, ma confiance envers notre système judiciaire serait plus minée par le fait de priver de liberté une personne qui pourrait être acquittée des accusations portées contre elle que de la mettre en liberté en attente de son procès.

 

« Ma liberté ne vaut que si j’assume celle des autres. La liberté de nos adversaires n’est-elle pas aussi la nôtre ? » François Mitterrand

 

Ce texte représente l’opinion de l’auteur, non pas d’Impact Campus.

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