Que les élections commencent !

Rarement, je n’ai été aussi optimiste à l’approche d’élections. Il faut dire que j’ai voté pour la première fois en 2011, pour voir un gouvernement majoritaire être élu par l’électorat de l’ouest du Canada. En 2012, en pleine grève étudiante, j’ai vu le Parti Québécois surfer sur le mécontentement pour mieux nous soumettre un budget qualifié d’austère par Nicolas Marceau lui-même.

C’est vrai qu’en consultant les résultat des sondages, les réjouissances sont rares. Car dans cette ère post défaite référendaire, où la souveraineté sera pour la première fois un enjeu minoritaire de l’élection, n’ayant aucun parti en position de prendre le pouvoir qui entend traiter cette question lors de son premier mandat, c’est la Coalition Avenir Québec qui devrait vraisemblablement sortir gagnante de la fin de l’antagonisme PQ-PLQ.

La CAQ, mais après ?

Ce qui est fort intéressant du revirement que subit actuellement le spectre politique québécois, c’est qu’en se sortant de la dichotomie référendaire, on attaque de front des vrais questions, comme celle du rôle de l’état dans l’économie, et plus largement, dans la société. Depuis la réingénierie de l’État de Charest en 2003, ces questions sont de plus en plus saillantes. On peut penser au manifeste des lucides, paru en 2005, et à sa réponse la même année : le manifeste des solidaires, semant les bases du parti portant le même nom.

La grève étudiante de 2012 est aussi un bon exemple de ce renversement, et l’incapacité du PQ à se saisir de ce moment politique a révélé au grand jour la plus grande faiblesse de sa coalition : ne pas s’entendre sur des principes fondamentaux pour régir le vivre ensemble. Il fallait voir ma tante, péquiste depuis 1976, fendre sa chemise lorsque Pauline Marois – pourtant loin de défendre des positions « extrêmes » – portait le carré rouge. La charte des valeurs ? Le même refrain.

La souveraineté n’est pas une fin, encore faut-il définir le contenu du projet.

Sociologie sur le coin d’une table

Fernand Dumont, sociologue, s’inquiétait déjà en 1979 de la petite bourgeoisie québécoise que la révolution tranquille avait engendrée. Le pays des élites francophones nouvellement constituées – le paroxysme a été l’élection de Pier-Karl Péladeau comme chef du PQ – n’est pas le nôtre. On ne remplace pas une domination par une autre.

Et c’est là, une fois sortie de la boue – tantôt-identitaire, tantôt-civique, mais surtout libérale et capitaliste – que la question nationale reprend tout son sens. Il ne s’agit pas d’affirmer les particularités d’un fait français en Amérique, mais bien de collectivement prendre les moyens de se rapprocher de notre territoire et de contrôler démocratiquement notre destin collectif. À l’image des luttes féministes, qui tentent de radicalement transformer nos façons d’être, plutôt que simplement atteindre une égalité matérielle qui reviendrait à pouvoir – comme les hommes ont historiquement pu le faire – dominer d’autres personnes.

Achever une révolution tranquille

S’il est vrai que le Québec, et plus largement le Canada, n’a pas eu de « révolution » à l’américaine ou à la française, les années 1960 ont toutefois renversé l’ordre établi, marquant le point de rupture avec l’ancienne élite catholique (en perte de vitesse depuis déjà plusieurs années) qui se voulait la courroie de transmission avec les élites britanniques, en créant une authentique élite québécoise. Il ne faut pas se surprendre ainsi que le progressisme d’hier, figé, nous semble plutôt conservateur, donc tout autant à déconstruire.

Et ce sera le projet de notre génération qui, les deux pieds dans une culture américanisée (et plus largement mondialisée), prend peu à peu compte du rôle structurant des économies impériales et coloniales, puis des états-nations, dans la mise en ordre profondément capitaliste du monde. Il y a nécessité de repenser les échelles et de décoloniser notre esprit. Tâche difficile pour le Québec, où cela implique de reconnaitre son double statut historique, celui de colonisateur vis à vis les nations autochtones, et de colonisé, vis à vis la couronne britannique.

Si le pays n’est pas une fin, il est certes un moyen ajusté à une certaine échelle. Il n’est toutefois gage d’aucun changement concret. Il est le processus. Il est le risque.

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