Plusieurs enjeux concernant les spécialisations en journalisme à l’ère du numérique furent abordés lors du Colloque international du Réseau Théophraste. Thierry Watine, professeur titulaire au Département d’information et de communication de l’Université Laval et Lily Gramaccia, doctorante en Sciences de l’Information et de la Communication, ont ainsi effectué une courte présentation intitulée : les entreprises de presse et les journalistes face aux défis de l’Intelligence artificielle : les premiers résultats du projet med-IA. Impact Campus s’est entretenu avec les deux conférenciers pour discuter des balbutiements de ce projet de recherche intriguant.
Lancé en début d’année 2018, le projet med-IA se concentre sur les nouveaux défis journalistiques qu’amènent l’intelligence artificielle ou l’IA. Thierry Watine raconte que l’idée du projet lui est venue lorsqu’il aperçut une présentatrice de télé dénommée Erica présenter, grâce à l’intelligence artificielle, les nouvelles. Petit détail important, Erica est un robot. « Je me suis dit, au-delà du gadget, au-delà du truc un peu science-fiction, il y a des questions à se poser. Si l’intelligence artificielle évolue rapidement, est-ce que ça va changer quelque chose dans le métier? Est-ce que les machines peuvent remplacer les journalistes, ou une partie du travail du journalisme? », relate M. Watine.
Quelques jours plus tard, par pur hasard, Lily Gramaccia, invitée de passage dans une des classes de Thierry Watine, discute avec celui-ci d’intelligence artificielle et de son début de projet. « Douze minutes plus tard, elle m’a dit qu’elle était intéressée à ce qu’on travaille ensemble », lance l’enseignant, sourire en coin.
Marc-François Bernier et Jean-Hugues Roy, respectivement professeurs titulaires au département de communication de l’Université d’Ottawa et de l’UQAM, sont venus compléter l’équipe de recherche.
Le projet est divisé en trois grands axes de recherche. Ces axes sont : L’IA et ses effets sur les pratiques professionnelles de l’info, L’IA et la lutte contre la désinformation ainsi qu’un angle éthique, intitulé vers une IA éthiquement responsable ? « On a choisi ces trois axes-là, parce qu’ils nous permettaient d’englober le phénomène dans la perspective de l’information. Ce sont les trois enjeux majeurs qui vont affecter tant au niveau de la société, que des pratiques professionnelles et de la qualité de l’information », souligne Mme Gramaccia.
Un saut dans l’inconnu
Présentement, de grands moyens financiers sont mis à la disposition des scientifiques du monde entier pour leur recherche sur l’intelligence artificielle. Bien que l’IA en soit à ses débuts, elle avance déjà à pas de géants. Cette nouvelle technologie demeure toutefois très inconnue et la plupart des gens du milieu estiment qu’il n’est pas crédible de faire des prédictions sur l’avenir de l’IA avant trois à cinq ans.
« Les ingénieurs et les scientifiques qui travaillent là-dessus nous le disent, on avance très vite et on ne sait pas très bien où on s’en va. [Les ingénieurs] disent clairement que l’IA peut évoluer vers le bien ou le mal et ils savent très bien que la puissance des algorithmes va se développer et qu’on va pouvoir faire des opérations qui étaient inimaginables deux ans auparavant », explique Thierry Watine. Il ajoute du même souffle que les scientifiques affirment explicitement que si cette nouvelle technologie tombe dans des mains mal intentionnées telles des groupes terroristes, les conséquences pourraient être catastrophiques.
« Ce n’est pas l’algorithme ni les techniques qui sont développés qui posent un problème en soi, mais bien le potentiel d’utilisation toxique qui peut être fait par des gens mal intentionnés. C’est pour ça que dans nos perspectives de recherche, on intègre énormément les questions d’éthique », lance Lily Gramaccia.
La situation actuelle de l’IA
« On sait qu’il y a des robots qui commencent à effectuer des tâches dans le domaine économique, dans le domaine du sport, etc. Mais l’IA ce n’est pas que des robots, c’est aussi des algorithmes hyperpuissants qui peuvent faire un travail d’investigation qu’aucun média ne pourrait réaliser. L’intelligence artificielle peut agir dans les dimensions de collecte, traitement, analyse et diffusion de l’information », explique Thierry Watine.
Sa collègue se montre plus prudente lorsqu’il est question de brosser un portrait de la situation : « Nous sommes au début du processus et nous ne sommes pas des scientifiques spécialisés dans le domaine de l’IA. Néanmoins, nous pouvons observer qu’il y a clairement des innovations, de nouveaux algorithmes, de nouvelles possibilités médiatiques qui s’offrent aux médias ». Elle mentionne qu’en ce moment, il y a un fossé dans la compréhension de la situation entre la société civile et les scientifiques. « Notre travail, c’est de faire un pont entre les scientifiques et le grand public. On veut clarifier la situation », ajoute la doctorante en Sciences de l’Information et de la Communication
Thierry Watine ne pense pas qu’il y a un problème de transparence lorsqu’il est question d’intelligence artificielle et des limites de celle-ci. Cependant, il admet qu’il y a une concurrence majeure entre les laboratoires de recherche, ce qui empêche le public d’avoir toutes les informations nécessaires. Les équipes de chercheurs se gardent donc des munitions puisque : « Le laboratoire qui va trouver une avancée très forte va avoir, non seulement, un pouvoir économique, mais un pouvoir politique immense ».
Ne pas tomber dans la science-fiction
« Il faut un peu calmer le jeu, lance madame Gramacia, on ne va pas être gouverné par des machines ». M. Watine est d’avis qu’il y a beaucoup de fantasmes et pas beaucoup d’avancées réelles. Il prend la peine de mentionner que ça va très vite et qu’il faut tout de même faire attention.
« Notre travail à nous, c’est de déconstruire les fantasmes et non de les alimenter. Comme n’importe quelle nouvelle technologie qui arrive, ça amène son lot de transformations qu’il faut calmer, qu’il faut démythifier. Il faut se sortir du cadre cinématographique. L’IA amène énormément d’avantages et de nouvelles perspectives qui s’ouvrent à nous », relativise Lily Gramaccia.