À la fin du moi de janvier, le monde apprenait qu’une équipe de scientifique de Chine avait réussi à cloner deux macaques, Zhong Zhong et Hua Hua. L’article publié dans la revue Cell a rapidement fait le tour des médias. Certains proclament que la science est à un pas de plus du clonage d’êtres humains. Le chercheur Claude Robert apporte quelques précisions pour démystifier la question.
M. Robert est un professeur du département des sciences animales de l’Université Laval et co-directeur du Centre de recherche en reproduction, développement et santé intergénérationnelle (CRDSI). Il ne fait pas de clones lui même, mais étudie plusieurs composantes liées à la fécondation.
Après le clonage des macaques, il n’est pas convaincu que l’on pourra voir débarquer des armées de clones à la Star Wars d’ici peu. « L’innovation, c’est surtout d’avoir développé une soupe de produit chimique de déprogrammation », nuance le professeur. Cette soupe permet en quelque sorte de retransformer une cellule déjà spécialisée en cellule souche. Ceci n’est pas supposé se produire dans la nature.
« Grosso modo, une cellule souche embryonnaire peut devenir une cellule de peau, une cellule de cornée ou une cellule de rein, mais une fois qu’elle s’est définie, elle ne peut revenir en arrière », explique-t-il. M. Robert illustre ce concept comme une forme de déprogrammation de l’expression génétique de la cellule. Celle-ci a ensuite la possibilité de devenir n’importe quel type de cellule du corps. C’est nécessaire pour avoir un clone viable.
Entre Dolly et l’Homme
Zhen Liu et son équipe ont utilisé la même technique pour leurs macaques que celle qui avait été utilisée pour cloner la brebis Dolly. Cette méthode consiste à remplacer le bagage génétique d’un ovule par celui d’une autre cellule donneuse. « La raison pour laquelle Dolly a fait autant de bruit en 1996, c’est qu’ils ont utilisé l’ADN d’une cellule qui était déjà différenciée », précise le professeur.
Les chercheurs écossais avaient alors pris une cellule de glande mammaire pour faire un organisme complet avec les 144 types cellulaires. « À l’époque, on croyait que ce n’était pas possible d’ainsi reprogrammer une cellule », relate M. Robert.
« Pour des raisons qu’on ne connait pas assez bien, pour certaines espèces, ça fonctionne assez bien de déprogrammer, mais pour d’autres comme les primates, ça ne fonctionne pas très bien. », spécifie le professeur. Il admet ainsi qu’il n’est pas nécessairement faux d’affirmer que la science est plus près de pouvoir cloner des humains.
Il ajoute que moins une cellule est rendue loin dans sa différenciation, plus il est facile de la ramener à son stade initial. «Les premiers succès de clonage étaient donc faits avec des cellules souches embryonnaires, souligne M. Robert, ce qui est dur, c’est de prendre une cellule déjà bien différenciée. »
Pour Dolly, c’est pourtant ce que les chercheurs avaient fait. Ils avaient récolté l’ADN à partir de cellules adultes. Dans le cas des deux clones de macaques qui ont survécu, c’est plutôt de cellules fœtales que provenait le matériel génétique. « Les cellules fœtales ont plus de plasticité », rappelle le professeur.
Utilité douteuse
« Pour être franc, je ne pense pas qu’il y ait tant d’utilités, même en regardant la raison évoquée qu’ils allaient pouvoir l’utiliser pour étudier des médicaments », considère M.Robert. Il affirme que bien que le clonage offre l’avantage d’avoir moins de variabilité génétique pour pouvoir observer les effets de médications, le résultat ne représente pas la diversité de la population humaine.
De plus, selon lui, ce genre de clonage ne transfère pas les mitochondries. Ces minuscules organites possèdent leur propre ADN et flottent dans la soupe intercellulaire que forme le cytoplasme. « Cela veut dire que si on veut produire des clones, à moins de prendre des ovules d’une même donneuse, chaque clone va avoir des mitochondries différentes », soutient M. Robert.
Ces clones sont donc des copies génétiques du noyau de la cellule, mais pas des copies génétiques cytoplasmiques. Ceci contredit en quelque sorte l’argument mis de l’avant par les chercheurs chinois. Leur clonage ne permet pas nécessairement d’obtenir des individus indiscernables en tout point.
Clonage au naturel
M. Robert souligne aussi que les scientifiques sont déjà en mesure de faire des copies génétiques complètes plus facilement. Il y a la possibilité de séparer des embryons en laboratoire, de la même manière que deux jumeaux identiques se séparent sans intervention lors de la gestation. « C’est un clonage qu’on dit “naturel” », ajoute M. Robert.
Cette pratique de séparation se fait depuis plusieurs décennies. En 1999, elle a même été utilisée sur des singes rhésus. Le premier «clone» de primate, un singe appelé Tetra, date donc techniquement de presque 20 ans déjà.
Beaucoup d’incertitudes et de chance semblent entrer en jeu lors d’un clonage à la Dolly. « Quand on déprogramme, ça se fait un peu aléatoirement, on ne sait pas quelle région du génome a été déprogrammée, et si ça s’est fait à 100% ou à 90% », révèle le professeur.
Il indique qu’il y a des endroits dans le génome qui sont plus importants dans le développement embryonnaire. Comme c’est aléatoire, certains clones sont en parfaite santé alors que d’autres non. « C’est vraiment du cas par cas », insiste M. Robert.
« Avec le clonage, il y a plus de chances que ça ne marche pas, ce qui n’est pas le cas avec la séparation embryonnaire », lance-t-il. Si jamais la nécessité d’avoir des copies génétiques se présente, le professeur croit donc qu’il serait mieux de séparer des embryons que de faire des clones. En bref, c’est plus simple d’y aller d’une méthode de clonage plus «naturelle».
Le clonage a mené à beaucoup de questionnements éthiques qui ne sont pas encore tous résolus. Il semble toutefois que les considérations pratiques représentent encore un important obstacle qui devra être levé avant que la technique soit plus répandue et utilisée.