Le génie tissulaire est un domaine de recherche assez vaste qui consiste à construire des tissus en laboratoire afin de remplacer des tissus humains endommagés. Ces tissus sont généralement reconstruits à l’aide d’une matrice servant de structure de base et des cellules humaines d’intérêt. Les matrices utilisées sont constituées de biomatériaux amorphes ou de protéines humaines telles que le collagène. «Au LOEX, nous avons développé une technique légèrement différente. On laisse les cellules humaines fabriquer leur propre matrice, comme cela a lieu, normalement, dans l’organisme. Cela a l’avantage de donner une matrice plus dense et plus complexe qui permet de créer un tissu plus proche que ceux retrouvés en laboratoire», explique Véronique Moulin, professeure à la Faculté de médecine de l’Université Laval et chercheure au CRCHA. «On peut donc créer différents tissus, comme la peau et la cornée, mais aussi les vaisseaux sanguins, les ligaments, la vessie et le tissu graisseux, par exemple. Après, il n’y a plus de limites puisqu’on laisse les cellules humaines reproduire ce qu’elles font, in vivo, dans notre corps», ajoute Mme Moulin. Une fois que le tissu est reconstruit en laboratoire, il est possible de régénérer les tissus d’un individu.
De la peau créée en laboratoire
La méthode privilégiée au LOEX est la méthode d’auto-
assemblage. Celle-ci consiste à fabriquer des substituts cutanés en se basant sur la capacité de certaines cellules, les fibroblastes, à créer leur propre matrice. Des feuillets de fibroblastes sont superposés afin de créer un nouveau derme, au dessus duquel sont déposées les cellules de l’épiderme, les keratinocytes. Cela permet de former un substitut de la peau. «Cette méthode d’assemblage a été présentée pour la première fois par notre groupe de recherche en 1998. Nous avons ainsi pu montrer la faisabilité de cette technique et, surtout, que nous étions capables de produire un tissu de même forme et de même résistance que ceux retrouvés naturellement», explique Lucie Germain, professeure titulaire de la Chaire de recherche du Canada des cellules souches et du génie tissulaire à la Faculté de médecine de l’Université Laval. «En utilisant ces modèles, il a été possible d’utiliser ces substituts comme des modèles tridimensionnels à partir de cellules humaines normales et d’effectuer des expériences sans passer par les animaux», ajoute Mme Germain. Jusqu’à présent, les épidermes reconstruits sont utilisés en clinique dans le cadre de greffes de peau. La greffe de cornée demeure encore au stade expérimental.
Plusieurs caractéristiques sont recherchées pour que la peau greffée puisse cicatriser de façon adéquate. Il est évident que la peau se tend et se détend au moindre mouvement. Il faut donc considérer la résistance de la peau, mais aussi son élasticité et sa plasticité. Lorsque la peau est greffée, elle prend assez rapidement les propriétés de l’endroit où elle a été déposée. L’équipe multidisciplinaire du LOEX au CRCHA qui compte des médecins, des cliniciens, des biologistes cellulaires et des ingénieurs mécaniques, travaille à ces importantes propriétés des tissus à greffer.
Au service de la population
Les découvertes du LOEX permettent d’étudier en laboratoire plusieurs pathologies, mais surtout de guérir des patients, notamment les grands brûlés. L’épiderme, qui est la couche superficielle de la peau, a un rôle de barrière physique car elle bloque l’entrée des bactéries. Il est primordial de restaurer l’épiderme chez les grands brûlés puisque cette couche de peau est vitale. «Les grands brûlés sont les patients avec qui nous travaillons principalement, puisqu’ils ont de grandes pertes de peau. Nos méthodes de greffe pourraient aussi intéresser les personnes ayant des maladies de la peau causant des lésions superficielles», explique madame Moulin. «Il est aussi possible d’enlever une cicatrice et de recouvrir la zone avec de l’épiderme autologue, c’est-à-dire en utilisant une biopsie de peau provenant du patient en question», ajoute-t-elle.
Modèles de tissus 3D
La méthode d’auto-assemblage développée par le LOEX permet d’étudier différents phénomènes pathologiques. Par exemple, Roxane Pouliot, professeure à la Faculté de pharmacie de l’Université Laval et chercheure au CRCHA, travaille sur une maladie de la peau affectant principalement le renouvellement cutané, soit le psoriasis. Un des objectifs de son groupe de recherche est de tester l’effet de la diffusion de médicaments sur un modèle de la maladie obtenu par auto-
assemblage avec des cellules de patients malades. «La beauté de cette approche est que l’on peut étudier plusieurs aspects de cette pathologie complexe qui n’est pas complètement caractérisée. Aucun modèle animal ne peut être utilisé pour l’étude du psoriasis, la méthode par auto-assemblage est donc très avantageuse. Depuis l’étude des mécanismes qui régissent cette pathologie jusqu’à l’utilisation de ces substituts en tant qu’outils dermopharmaceutiques, le développement d’un tel tissu pathologique reproductible devient un modèle de choix», explique Mme Pouliot. À l’aide de ce dernier, il sera possible de tester l’effet de crèmes et d’onguents qui pourraient exercer d’éventuels effets bénéfiques. Il n’est pas exclu que d’autres pathologies cutanées puissent
être ciblées.
D’autres modèles sont utilisés au LOEX, à des fins différentes. François Berthod, professeur à la Faculté de médecine de l’Université Laval et chercheur au CRCHA, a essayé de mettre au point un modèle 3D permettant de modéliser la moelle épinière dans le but d’étudier différentes maladies neurodégénératives. «Habituellement, des modèles très primaires de cellules sont utilisés. Aussi, des tranches de moelles épinières peuvent être utilisées, mais nous n’avons aucun contrôle sur ce qui se passe dans ces modèles en laboratoire», explique M. Berthod. Pour remédier à cela, nous utilisons des modèles tridimensionnels très versatiles que nous avons développés et qui sont plus proches de la réalité physiologique», ajoute-t-il.
Ainsi, grâce au génie tissulaire, il est possible d’étudier les différents mécanismes retrouvés normalement dans l’organisme et de comprendre les maladies pour pouvoir développer des thérapies efficaces.