Pour une deuxième année de suite, une étudiante de l’Université Laval a été sélectionnée pour participer à l’OpenCon, la grand-messe annuelle de la science ouverte. Retour sur un colloque de trois jours consacré au libre accès aux articles scientifiques, aux données issues de la recherche et aux ressources éducationnelles en ligne, le tout à Bruxelles.
Lorsqu’elle parle de science ouverte, Valérie Harvey s’emporte. Le système actuellement en place empêche la circulation des connaissances, déplore la doctorante en sociologie de l’Université Laval. En fait, il n’est profitable que pour les grandes maisons d’édition, les Elsevier et Springer de ce monde, dont les marges de profit frôlent les 40%, un chiffre plus élevé que celui de grandes compagnies comme Walmart, Apple et Disney.
« L’accès à la science est un privilège et non un droit. Juste à l’Université Laval, il en coûte 8,25 millions de dollars par année à la Bibliothèque pour permettre aux professeurs et aux étudiants d’avoir accès aux revues scientifiques. Ça représente 69% de son budget. Je n’en reviens pas ! », s’exclame celle qui dirige également Aspects sociologiques, la revue des étudiants et des étudiantes du Département de sociologie de l’Université Laval. Une publication dont les articles sont en libre accès, soit dit en passant.
Elle-même a été confrontée à la réalité du modèle de diffusion payant qui prévaut. Lors d’un récent congé de maternité, donc officiellement non-inscrite à l’Université, elle était coupée de ses accès aux bases de données scientifiques de la Bibliothèque. « Je n’étais plus considérée comme une étudiante. Or, du temps, j’en avais pour m’avancer dans mes lectures et dans mes propres travaux », affirme la chercheuse de 36 ans.
La science ouverte à l’honneur
Forte de ces constats, Valérie dépose sa candidature à l’édition 2015 de la bourse de voyage OpenCon. Offerte par la Bibliothèque de l’Université Laval pour une deuxième année de suite, cette dernière couvre l’ensemble de ses frais de voyage. Début septembre, la nouvelle tombe : elle est sélectionnée pour assister au colloque, du 14 au 16 novembre à Bruxelles, en Belgique.
Organisée par la coalition Right to Research et l’alliance de bibliothèques académiques SPARC (Scholarly Publiching and Academic Ressources Coalition), OpenCon regroupe 125 étudiants et chercheurs en début de carrière autour de la science ouverte. Comme l’année passée à Washington, le libre accès aux articles scientifiques (Open Access), aux données issues de la recherche (Open Data) et aux ressources éducationnelles en ligne (Open Education) était à l’honneur. Parmi les sponsors de l’événement : PLOS, BioMed Central et Springer Open, des éditeurs scientifiques privilégiant le libre accès.
Au menu : des tables rondes, des séances d’étude en petits groupes selon les spécialités et d’innombrables conférences d’initiateurs de projets ayant le libre accès comme ADN. Puis, sont venues aussi se greffer des allocutions d’illustres personnages comme Jimmy Wales, le cofondateur de l’encyclopédie libre Wikipédia. « Sa vision en est une de partage gratuit et ouvert de la connaissance, dans à peu près tous les domaines », relate Valérie Harvey.
De réelles volontés
Surtout, des rencontres avec des représentants de la Commission européenne au siège bruxellois du Parlement européen étaient prévues. « Nous y avons fait des séances de rencontre s’apparentant beaucoup à du lobbying en faveur de la science ouverte », explique la doctorante. Selon elle, là-bas comme ici, les mentalités changent et une réelle ouverture se manifeste.
Par exemple, le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) a récemment mis en place une politique pour favoriser la science ouverte. « Si la recherche est financée par des fonds publics, ses résultats seront libres et accessibles. C’est tout à fait logique: le public paie pour une étude, il a le droit d’y accéder », écrit Valérie dans un billet sur Nomadesse, son blogue personnel.
Chose certaine, dans le combat contre le monopole des abonnements aux revues scientifiques, tous insistent sur ses coûts et limites. « Je pense que c’est devenu un monstre avec lequel il est de plus en plus difficile de composer, avoue franchement Valérie. Malgré les coupes annoncées à la Bibliothèque cette année, nous avons tout de même les moyens de jouir de ce privilège. Or, ce n’est pas le cas d’universités moins fortunées, entre autres dans plusieurs pays du sud. »
Plus que monétaires, les coûts sont avant tout humains. « Là-bas, on empêche la contribution à la science de gens qui, pourtant, sont intéressés. Comme à l’époque où les femmes étaient exclues du monde universitaire, on se prive de cerveaux », tranche-t-elle.
Et à son ton, on comprend que cela lui est inacceptable.
Si les participants ont produit beaucoup de gazouillis lors de l’OpenCon – on peut les consulter sous le mot-clic #OpenCon2015 -, tous n’y avaient pas nécessairement traits. C’est qu’à plus de 300 km de la capitale de la Belgique venaient juste d’avoir lieux les tragiques événements de Paris. De l’aveu même de Valérie, l’ambiance s’en est ressentie, d’autant plus que tous les participants sentaient que ça l’aurait pu être eux.
« Lors de la soirée des événements [vendredi 13 novembre], il faisait très beau à Bruxelles. Il y avait du monde un peu partout dans les rues et sur les terrasses », se rappelle-t-elle, avouant du même souffle que l’OpenCon aurait probablement été annulé s’il avait eu lieu une semaine plus tard. « La ville était pratiquement close. »
Une minute de silence a été respectée lundi 16 novembre, à la toute fin de la conférence, en même temps que celle tenue dans toute la France.