La commissaire fédérale à l’information, Suzanne Legault, a accepté d’ouvrir une enquête sur certaines politiques et méthodes adoptées par Ottawa qui semblent considérablement restreindre la liberté de parole des scientifiques fédéraux.
Pierre Olivier Forget
En acceptant d’ouvrir cette enquête en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, le bureau de Suzanne Legault répond à une plainte détaillée déposée conjointement par le Centre du droit de l’environnement de l’Université de Victoria et l’organisme Démocratie en surveillance, un organisme non partisan défendant l’éthique et le maintien d’une démocratie moderne et efficace au Canada.
Selon ce que conclut le long rapport que ces deux organisations ont déposé, les points de vue scientifiques – particulièrement dans les dossiers environnementaux – ont, dans six différents ministères et agences gouvernementales, été réduits à quelques lignes pré-écrites à l’intention des médias ou ont totalement été supprimés.
La plainte dénonce les politiques de communication du gouvernement fédéral en place, plaidant que celles-ci musellent la communauté scientifique, ce qui a pour effet d’empêcher les Canadiens de se documenter convenablement sur la recherche en cours. Selon la plainte, la population n’est pas tenue au fait des développements de la communauté scientifique, puisque les scientifiques eux-mêmes ne sont pas autorisés à communiquer les résultats de leurs recherches –pourtant financées par les fonds publics – aux médias.
Approbation obligatoire
L’objet de l’enquête portera principalement sur une politique mise en place par le gouvernement Harper en vertu de laquelle les questions des médias portant sur des sujets jugés sensibles doivent être soumises au Bureau du Conseil privé ( le ministère du premier ministre ) avant d’être posées aux scientifiques du gouvernement canadien. Cette politique est appliquée avec une rigueur grandissante depuis sa mise en vigueur en 2006.
Ainsi, le ministère fédéral de l’Environnement ne doit pas laisser intervenir publiquement ses scientifiques sur les changements climatiques, les ours polaires ou les caribous, à moins d’avoir obtenu une autorisation du Bureau du Conseil privé au préalable. Il en est de même pour Pêches et Océans Canada, qui agit sous le joug d’une politique de communication visant à s’assurer que « des citations approuvées pour les médias » soient attribuées aux scientifiques en voie d’accorder une entrevue journalistique. Une approbation est aussi nécessaire au ministère des Ressources naturelles avant qu’il puisse s’exprimer publiquement sur les sables bitumineux, ressource dont l’exploitation a été priorisée par le gouvernement Harper et dont la nocivité pour l’environnement est considérable ( exploitation minière de surface, défrichage de vastes étendues de forêt boréale, production de déchets toxiques et contribution à l’effet de serre ).
Pour la santé de la démocratie
Les plaintes formulées quant à la culture du silence imposée à la communauté scientifique fédérale coïncident avec une stratégie de développement tous azimuts du gouvernement Harper en ce qui concerne les ressources naturelles. Les politiques de communication mises en place par le fédéral pourraient avoir pour but de contourner les barrières pouvant s’opposer au développement effréné des ressources naturelles qu’il préconise. Briser les ponts entre la communauté scientifique et la société nuit à la démocratie, puisqu’on empêche les décisions prises collectivement de refléter des jugements éclairés, fondés sur des
raisonnements scientifiques.
Selon Chris Tollefson, directeur exécutif du Centre du droit de l’environnement de l’Université de Victoria, le sujet dans lequel plongera l’enquête dans les prochains jours est « un enjeu central pour la santé de la démocratie. » Il soutient que la population « [doit] savoir où en est le meilleur de la science dans un contexte où nous prenons de difficiles décisions quant aux
politiques publiques. »
Par conséquent, Mme Legault, dans le cadre de son mandat, aura la tâche d’enquêter sur toute pratique gouvernementale visant à empêcher la saine communication entre les scientifiques, les médias et la population. À une époque où nous devons faire face à de multiples défis environnementaux et scientifiques, les constats qu’émettra la commissaire fédérale à l’information auront un impact certain sur la santé et la qualité du processus démocratique canadien.