Problème social, maladies physiques, dégâts économiques : c’est généralement en des termes peu élogieux que l’on parle de la consommation de grande quantité d’alcool. Pourtant, cette pratique gagnerait à être redéfinie en tenant davantage compte de la manière de boire propre à chaque individu, suggère Paulo Rogers Da Silva Fereira, étudiant au doctorat en anthropologie à l’Université Laval.
Cette conclusion, l’étudiant originaire du Brésil la fonde sur les observations qu’il a effectuées dans les bars d’une ville beauceronne, dans la région de Chaudière-Appalaches. Celui qui en est à l’étape de la rédaction de sa thèse exposait quelques résultats préliminaires dans le cadre du 83e Congrès de l’Acfas, tenu cette semaine à Rimouski.
D’août 2013 à juin 2014, le chercheur fréquente les lieux de boisson de la place – dont il tient à taire l’identité à des fins d’anonymat – afin d’y côtoyer les buveurs réguliers d’alcool. Une recherche sur le terrain qu’il qualifie de « très gratifiante », d’autant plus qu’elle lui a permis d’aller au-delà des discours selon lesquels ils sont excessifs, voire alcooliques.
Croisade contre les buveurs excessifs
Car, avant de mener ce travail, l’étudiant-chercheur a dû se familiariser avec le rapport du Québec à l’alcool. Pour ce faire, il a épluché la littérature scientifique sur le sujet. Très vite, il s’est rendu compte que le discours envers ceux qui boivent beaucoup d’alcool – cinq verres et plus selon Santé Canada — en est un connoté négativement. « Ça m’a fait penser à une croisade contre les buveurs excessifs », raconte celui qui situe l’origine de ce discours au 17e siècle, à une époque où le religieux est encore très présent.
Ne voulant pas se transformer en inquisiteur et créer une distance indue entre lui et son sujet, l’anthropologue a décidé de mettre ses lectures de côté et à la place, d’aller s’asseoir et boire en compagnie de ceux qu’il étudie. « C’était la condition essentielle pour réaliser mon projet. Il fallait que je parte sans hypothèse afin de laisser place à la surprise, à l’inattendu, bref, au phénomène humain », estime-t-il.
À chacun sa manière de boire
Ce qu’il constate alors le stupéfait. « Chaque Beauceron que j’ai consulté a son propre rapport à l’alcool et à la manière de la boire », explique Paulo, tout en soulignant qu’il n’existe pas de prétendue culture beauceronne de consommation d’alcool. « Par exemple, plusieurs m’ont dit que l’alcool est un prétexte pour ʺfaire du socialʺ. Même si, objectivement, ils boivent tous les jours, ils le font pour socialiser. »
Autre constat : le seuil à partir duquel une consommation d’alcool est jugée excessive est lui aussi propre à chaque individu. « Certains me disaient que l’excès, c’est quand tu ne te contrôles plus, lorsque tu perds la maîtrise, par exemple, en tombant à terre d’ivresse », confie Paulo. Selon lui, les anthropologues d’aujourd’hui se réfèrent trop à une norme, qui fait office de « dose culturelle » qui, elle-même, agit comme « salut culturel ».
Un concept à repenser
Ultimement, le but de Paulo n’est pas de faire une apologie de l’alcoolisme, encore moins de sous-entendre que les Beaucerons sont des alcooliques. « C’est pour des raisons logistiques que je me suis arrêté sur le choix de la Beauce, lance-t-il au passage. J’aurais très bien pu mener cette recherche dans n’importe quel autre milieu rural du Québec. »
Non, son but c’est « de faire comprendre que l’alcoolisme est un concept qui doit être repensé parce qu’il n’est pas seulement lié à la maladie physique, mais aussi à la conduite des individus. »