Témoignage sur le burn-out: Que savons-nous de l’épuisement professionnel ?

Ce matin, vous auriez aimé rester au lit et prendre le temps. Vous pensez à la journée de travail qui vous attend et vous vous sentez dépassé, incapable de gérer toute cette pression. Vous n’êtes plus motivé à l’idée de partir au travail. Anxiété, dépression, ou épuisement professionnel… comment s’y retrouver ?

Lou Sauvajon

Karine*  a vécu un épuisement professionnel. Elle arrive à raconter, quelques mois après, ce qu’elle a vécu pendant cette période : « Avant j’étais en mode automatique. Je ne pensais pas par plaisir : je me levais,  je mangeais rapidement, et j’allais travailler ». Un jour, c’était trop, elle a craqué.

Le stress est un phénomène qui nous préoccupe et qui a des répercussions à la fois sur nos comportements et notre santé. D’après le Bureau International du Travail, « le stress lié au travail est un problème majeur dans de nombreux pays, et différents types de lieux de travail. »

Karine raconte qu’avant de prendre un congé de maladie, elle n’arrivait plus à décrocher du travail. « Je pensais toujours au travail, je n’arrêtais pas. Et le soir, je rentrais du boulot et je pensais encore à tout ça. »  Elle compare cette situation à un hamster qui lui trottait dans la tête et l’empêchait de dormir. C’était comme si elle avait une horloge interne qui l’empêchait de dormir plus de six heures par nuit, et ça pendant plusieurs mois.

Elle explique qu’elle avait perdu le plaisir de vivre. « J’avais moins de plaisir à faire les choses. C’était comme si tout était automatique, tu ne prends plus goût. Même un repas avec les amis, alors que les amis sont là pour nous ressourcer. » Le psychologue qui la suivait à ce moment-là lui a dit que c’était un petit épuisement professionnel, communément appelé burn-out.

La communauté scientifique décrit trois caractéristiques typiques du burn-out; ce sont en quelque sorte trois étapes jusqu’à un point de rupture où le corps et la tête disent stop. Tout d’abord, les individus deviennent inaptes avec les taches simples au travail, explique Robert Paul Juster, doctorant neuroscience et membre du Centre d’études sur le stress humain (CESH). Ces personnes sont incapables de vraiment être performant. Se développe ensuite une sorte de cynisme. « Il y a souvent une dépersonnalisation vis-à-vis du travail et des activités du quotidien. Les petites activités qui, auparavant, rendaient les personnes heureuses ne leur procurent plus de plaisir », explique Robert Paul Juster. Enfin, les personnes entrent dans un état d’extrême fatigue, mais c’est d’une fatigue émotionnelle dont on parle vraiment ici, explique-t-il.

Le stress en milieu de travail arrive au premier rang des motifs invoqués pour les congés de maladie liés à la dépression et à l’épuisement professionnel. Cet état provient de la pression exercée par l’organisme sur ses employés, ou, comme ce fut le cas de Karine, de la pression que les individus se mettent au travail. Ce qu’il est important de savoir est que dans une situation donnée, deux individus ne ressentiront pas nécessairement la même pression. On parle alors de stresseurs relatifs, car ils peuvent déclencher une réponse chez l’un, mais pas chez l’autre. Le stress découle de l’évaluation d’une situation : pour que le corps soit en alerte, il faut que la personne ressente un dépassement face à une situation, qu’elle juge alors stressante.

« Notre cerveau est un détecteur de menaces depuis toujours, celui-ci envoie une alerte en cas de danger pour mobiliser le corps », explique Pierrich Plusquellec, codirecteur du CESH. Le cerveau lorsqu’il perçoit une menace — ou interprète un élément comme un agent stressant — va activer le système hormonal, dont l’adrénaline, pour libérer de l’énergie rapidement. Cette énergie était utilisée pour chasser le mammouth à l’époque de Cro-Magnon. À long terme, on parle de stress chronique. C’est le cortisol qui est alors principalement libéré. Robert Paul Juster explique que c’est toute une cascade biologique qui s’active. Le point de départ c’est le cerveau qui stimule la production de cortisol, surnommée  l’hormone du stress. « Le cortisol va partout dans le corps et transforme le gras en sucre pour donner de l’énergie au corps », décrit-il. Aujourd’hui, cette énergie n’est plus dépensée de la même façon qu’à l’époque de l’homme des cavernes.

Les spécialistes du stress évoquent une perte de contrôle des individus sur leur gestion du quotidien. Pourtant, la plupart des personnes ont le même discours, ils pensent gérer. Karine se disait : « Mince! Je ne me sens pas très bien là, je sens que je coule, j’ai besoin de respirer! Mais c’est pas grave, tu vas prendre sur toi. »

Pierrich Plusquellec  explique que « les gens se retrouvent avec plus de travail, et on en fait de plus en plus, car on pense qu’on est invincible. » Cela engendre souvent de l’absentéisme dans les entreprises, les personnes prennent des congés maladies, mais cela se traduit aussi par du présentéisme. Le présentéisme, c’est lorsque le corps est au travail, mais que la tête n’y est pas.

Karine a vécu ce décalage avec son travail, mais aussi dans son quotidien : « J’avais l’impression d’être à côté de mon corps. » Elle explique cette sensation à sa manière, sans vraiment pouvoir la décrire avec des mots. « Des fois on me parlait, mais je n’étais pas vraiment présente. C’était comme si tu pouvais me prendre, me secouer et je n’aurais rien senti », raconte-t-elle avec du recul.

Cet état montre un manque de concentration pour des tâches normalement faciles à exécuter. Cela explique en partie que sur le lieu de travail les performances de ces personnes diminuent. Pour les entreprises, le présentéisme est un problème qui coûte cher. Au Québec, environ la moitié des coûts reliés au stress pour les entreprises seraient attribuables au présentéisme, et l’autre à l’absentéisme.

« J’étais présente, mais je n’écoutais plus mon corps », décrit-elle. Selon elle, écouter son corps, c’est déjà se donner une hygiène de vie, faire des pauses, prendre le temps de manger, de faire du sport… « Le corps, ça a été ma deuxième alerte, car je m’étais mise dans une carapace ; je n’étais pas respectueuse de mon corps », déclare-t-elle. La première alarme était son interaction avec ses proches. Son déclic, ça a été le fait d’avoir manqué de respect envers une personne de son organisation. Un jour Karine lui a parlé mal, et, quand sa collègue lui a fait remarquer, tout est sorti : « je l’ai regardée et j’ai senti les larmes me monter. »

Elle souligne qu’il ne faut surtout pas hésiter à dire que l’on ne va pas bien à son entourage. « S’autoriser à le dire autour de soi ça veut dire que tu te l’autorises déjà à toi. » Jusque-là, Karine ne voyait pas sa situation comme un épuisement. Encore aujourd’hui, plusieurs mois après son retour dans son milieu de travail, il y a une certaine hésitation à parler de « burn-out ». Elle constate notamment qu’elle n’a jamais cherché à se renseigner sur le sujet.

Qu’en dit la science ?

Cela montre que l’épuisement professionnel n’est pas toujours clair pour la population. C’est également le cas pour le personnel de la santé. Dans une récente étude à laquelle Robert Paul Juster a participé, l’épuisement professionnel est décrit comme « un état psychologique énigmatique ». En effet, le terme n’est apparu que depuis les années 80 et n’est pas reconnu comme maladie mentale. « En Amérique du Nord, le burn-out n’est pas vraiment une condition psychiatrique comme la dépression, ou l’anxiété ou la schizophrénie », explique Robert Paul Juster. Cette pathologie n’est pas inscrite dans le DSM (manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), une référence pour les professionnels de la santé du monde entier.

Les médecins ont donc des difficultés à établir des diagnostics par manque de critères précis et de symptômes officiellement reconnus. L’épuisement professionnel est donc souvent associé à la dépression, et soigné par des antidépresseurs. Le problème qu’évoque Robert Paul Juster, c’est qu’on soupçonne ce traitement de présenter des risques pour les patients, car il serait mal adapté.

Karine, elle, n’a jamais voulu prendre de médicaments, elle préférait faire un travail sur elle-même avec l’aide d’un psychologue, en faisant des lectures sur le sujet et à travers les rencontres et discussions qu’elle a faites. Elle raconte : « il ne faut surtout pas se renfermer — ce qui peut être difficile pour beaucoup de monde —, car l’engrenage peut être négatif. » Pour elle, les petits plaisirs de la vie sont revenus progressivement. « Il faut se discipliner à se faire plaisir. Sinon tu peux rester longtemps dans la phase noire et négative », dit-elle.

Elle voit maintenant son expérience comme faisant partie d’un cheminement pour acquérir une certaine maturité. Mais elle est consciente que chacun vit son cheminement différemment. Pour elle, c’est passé par le travail, et elle voit maintenant le stress comme une alerte. Elle aimerait savoir comment les autres personnes vivent un épuisement professionnel. Tout le monde n’en vit pas un et elle voudrait comprendre pourquoi certains sont touchés et d’autres pas.

Ses interrogations sont pertinentes, car ce sont des questions que la communauté scientifique se pose également. Aujourd’hui encore, les recherches en sont à leurs premiers pas. En revanche, l’équipe de recherche de Robert Paul Juster a trouvé une piste intéressante : elle a trouvé une signature biologique que le Dr Juster pense reliée au burn-out. Il explique que dans le cas des dépressions, la concentration de cortisol dans le corps est très élevée. Lors d’un épuisement professionnel, c’est le contraire. Les niveaux de cortisol sont très bas.

Si ces résultats sont validés par d’autres recherches, cela permettrait de détecter des risques d’épuisement. Avoir des niveaux bas ou élevés de cortisol, les deux sont mauvais pour le corps qui a normalement des systèmes pour rétablir l’équilibre. « On soupçonne que si ces personnes sont énormément stressées, c’est que leur corps a décidé d’arrêter de produire du cortisol, » explique-t-il. Fournir des antidépresseurs diminuerait encore plus ces taux d’hormones.

Un problème de société ?

De nos jours, les stresseurs ne sont pas les mêmes, mais notre réponse au stress est activée aussi souvent, sinon plus, que du temps où nous chassions le mammouth explique Pierrich Plusquellec. Au 21e siècle, l’accélération des modes de vie parait être un des multiples facteurs qui favorisent les situations de stress. Une des raisons souvent évoquées provient de la multiplication des technologies de la communication depuis les années 90.

« Une impression générale est que le temps va plus vite », explique Pierrich Plusquellec. C’est notamment parce que nous avons de plus en plus de choses à faire dans un laps de temps qui reste le même. Pour lui, notre système de réponse au stress n’a pas été conçu pour être activé aussi souvent qu’il l’est de nos jours.

Selon l’OMS, les effets du stress chronique sur la santé mentale des travailleurs se manifestent surtout dans les pays industrialisés. Ce phénomène résulterait en bonne partie des transformations rapides opérées dans le monde du travail : globalisation des marchés, compétitivité, développement des technologies de l’information, précarité d’emploi, etc.

*Karine est un nom fictif dans le cadre de ce reportage afin de préserver l’anonymat de la personne qui a témoigné

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