Un handicap bénéfique

Les Jeux paralympiques de Londres ont fait salle comble. L’une des vedettes de cette compétition est le Sud-Africain Oscar Pistorius. Amputé bilatéral des membres inférieurs, il incarne l’image du « coureur aux lames » de fibre de carbone.

Pierre-Louis Curabet

Quatre août 2012. Premier tour du 400 m en athlétisme. Oscar Pistorius devient le premier sportif handicapé à courir aux côtés de valides lors de Jeux olympiques. Le Sud-Africain est amputé transtibial bilatéral (au niveau du tibia, sous le genou) depuis qu’il a à peine un an. L’homme de 25 ans, classé parmi les 100 personnes les plus influentes par le Time Magazine en 2008, utilise des prothèses pour courir, ou plutôt pour « rebondir », selon Laurent Frossard, professeur de biomécanique à l’UQAM.

« Il y a un débat rhétorique sur le terme de “courir”. Si on regarde un sujet sain, la course correspond à la flexion et à l’extension de chaque genou alternativement. À l’inverse, les amputés des membres inférieurs ne peuvent pas réaliser cette propulsion physique. On parle de “rebondir” dans leur cas, plus particulièrement pour les individus avec une double amputation du fémur. Ils déforment leurs lames grâce à leur poids, puis leurs prothèses vont restituer cette action en énergie. C’est le même principe que les ressorts. »

D’un point de vue anatomique, les amputés des membres inférieurs « perdent la fonction de leurs chevilles, qui donnent une bonne mobilité entre le corps de l’athlète et son environnement, et des muscles du mollet, qui sont primordiaux pour la course », explique François Prince, professeur de biomécanique à l’Université de Montréal.

Lames en fibre de carbone

Alors que le grand public découvre seulement ses lames en fibre de carbone utilisées par les élites paralympiques, leur commercialisation a débuté dans les années 1980. C’est au chercheur américain Van Philipps que l’on doit les premières prothèses de ce type, baptisées Flex-Foot en 1984. Depuis ce temps, deux améliorations principales ont été développées pour accroître les performances des coureurs.

« Les lames sont de plus en plus légères et résistantes, analyse le professeur Frossard. De plus, elles transmettent mieux l’énergie créée par leur déformation. Par ailleurs, il y a des avancements en ce qui concerne l’attachement entre la prothèse et le moignon. Cette interface est essentielle, car il y a beaucoup de frictions à un endroit où la peau est très fine. Avec la transpiration, les variations de température, ou encore les changements de forme du moignon (gain ou perte de poids), ces frottements engendrent des blessures cutanées qui peuvent réduire les possibilités d’entraînements des athlètes. » Les évolutions sont telles qu’Oscar Pistorius détiendrait le record du monde du 800 m si l’Association internationale des fédérations d’athlétisme (IAAF) l’homologuait. Il avait couru la distance en 1’40 »18 au meeting de Pretoria en 2008. L’actuel détenteur officiel de la meilleure marque mondiale est le Kénian David Rudisha en 1’40 »91.

Débat autour de la participation des amputés

François Prince est, lui, plutôt de ceux qui autoriseraient les handicapés à courir avec les valides. « Je n’ai aucune difficulté à accepter que les handicapés courent avec les valides. Cependant, une étude allemande du Dr. Gert-Peter Bruggeman montre qu’Oscar Pistorius est avantagé par ses lames. » A l’issue de sa recherche, le professeur de l’université de Cologne a conclu que les lames de carbone restituent 92 % de l’énergie élastique que l’athlète leur fournit en les déformant. À l’inverse, ce transfert de force n’atteint que 60 % avec des chevilles valides. De son côté, Laurent Frossard pointe du doigt d’autres études qui formulent des conclusions contradictoires à celles du Docteur Bruggeman. Pour autant, plusieurs constats font l’unanimité. Les amputés des membres inférieurs sont nettement désavantagés au départ et ils ont des problèmes de coordination dans les virages, mais ils se fatiguent moins dans les lignes droites.

Alors que les Jeux paralympiques a gagné en visibilité, le professeur de l’UQAM relève que la vision du handicap a beaucoup changé ces dernières années. « Pour la première fois, c’est peut-être un tournant, on parle de “trop capable” vis à-vis d’un athlète handicapé au lieu d’utiliser le terme d’ “incapable”. C’est une évolution majeure en terme de perception sociétale du handicap, car on imagine qu’un double amputé peut être plus performant avec ses lames que les chevilles d’un valide. »

Crédit photo Une : Mauro Biani, creative commons

Laura Lukyniuk

Auteur / autrice

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