La découverte des chercheurs provient d’une hypothèse de départ voulant que les masses cancéreuses soient formées de cellules souches. «Nous croyons que les tumeurs cancéreuses sont des tissus anormaux qui sont fabriqués et entretenus à partir de cellules souches, tout comme les tissus d’un embryon, expliquent les chercheurs de l’EMBO, interviewés par les journalistes de Nature. Dans un tissu contenant des cellules souches, le code génétique est tout ce qui est requis pour reconstituer toutes les cellules qui le composent. Une organisation similaire doit entrer en jeu lorsqu’un cancer se forme.» Beaucoup de chercheurs ont reconnu l’existence des cellules souches cancéreuses, mais ceci soulève un débat depuis près de deux ans. Elles fabriqueraient les cellules cancéreuses qui sont présentes dans la masse tumorale et qui détruisent les tissus voisins.
Des souris atteintes d’un cancer humain
L’équipe de chercheurs européens a cru que si les cellules souches cancéreuses étaient le point central d’un cancer, il serait possible que leur élimination puisse enrayer la tumeur. Pour vérifier leur hypothèse, ils ont créé des souris transgéniques porteuses de la leucémie myéloïde chronique, un des types de cancer du sang les plus rares. Ils ont injecté aux souris un gène qui serait à l’origine de la mutation des cellules, c’est-à-dire un oncogène. «En injectant l’oncogène dans la souris, on peut générer une tumeur de leucémie similaire à celle que l’on retrouve chez l’homme», affirme Jean Charron, chercheur et professeur titulaire au Centre de recherche de l’Hôtel-Dieu de Québec.
L’oncogène a été introduit dans le code génétique des souris de manière à ce que le cancer soit facilement maîtrisable par un médicament. «Le code génétique des cellules souches cancéreuses a été manipulé par les chercheurs de l’EMBO. Ils voulaient que les cellules souches cancéreuses puissent être éliminées par le médicament Imatinib pour vérifier leur théorie», poursuit M. Charron. Les chercheurs de l’EMBO ont donc traité 30 souris avec l’Imatinib, tandis que 60 autres ont reçu un placebo. Quelque 16 semaines plus tard, 70 % des souris traitées avec l’Imatinib ont survécu, alors que celles traitées avec un placebo sont toutes mortes. Les cellules souches cancéreuses ont été éliminées de l’organisme des souris qui ont vaincu le cancer. La tumeur s’est peu à peu désagrégée et a aussi été éliminée. Les chercheurs ont alors conclu que «l’élimination des cellules souches cancéreuses est suffisante pour éradiquer la tumeur en entier».
Un nouvel ennemi à combattre
Les chercheurs de l’EMBO ont donc trouvé l’ennemi qu’il faut combattre. Pour qu’un cancer soit neutralisé sans qu’il n’y ait de récidives, il faut détruire les cellules souches cancéreuses. Ce n’est malheureusement pas aussi simple. Les cellules souches cancéreuses humaines sont beaucoup plus résistantes que celles qui ont été fabriquées par les chercheurs. «Les médicaments contre le cancer comme l’Imatinib peuvent détruire la masse de la tumeur, mais ils ne peuvent pas tuer les cellules souches cancéreuses. Après avoir été traitées, celles-ci créent de nouvelles mutations, qui permettront aux nouvelles cellules cancéreuses produites de résister au traitement, explique M. Charron. Cela expliquerait pourquoi tant de patients qui ont été traités contre le cancer font une rechute.».
Les chercheurs de l’EMBO ne voulaient pas trouver un nouveau traitement avec cette étude, mais connaître la véritable source du cancer. «Ils ont démontré qu’il y a une sous-population de cellules qui serait la véritable cible des chercheurs. Avant, on cherchait à détruire la tumeur. Maintenant, il faut attaquer le moteur de l’auto plutôt que l’auto elle-même», lance Jacques Côté, qui se spécialise en biologie médicale. «La thérapie contre les cellules souches cancéreuses est encore loin. Il faudra trouver un traitement qui s’attaquera spécifiquement à ces cellules, et ce, pour chaque type de cancers. Pour y arriver, les chercheurs devront analyser la structure biologique des cellules souches cancéreuses. La découverte faite par les gens de l’EMBO est un grand pas dans la bonne direction», conclut M. Charron.