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Communauté étudiante, privilégiée ou oubliée?

Jérémie Saint-Pierre, journaliste collaborateur

 

Pour avoir fait quelques assemblées générales en septembre, j’ai constaté à quel point le sujet du coût de la vie préoccupe la communauté étudiante. En vérité, le sujet préoccupe la société au grand complet. Il est d’ailleurs normal, dans notre contexte économique, que nous remettions en cause le fonctionnement et l’équité du système.

J’ai beaucoup entendu l’expression « précarité étudiante ». C’est un thème large et la situation varie énormément d’une personne à l’autre. De plus, la formulation semble présupposer l’évidence d’une détresse économique chez les jeunes aux études, ce qui serait aller un peu vite en affaire. Il me semble cependant qu’il vaut la peine d’étudier la question de la dégradation du contexte financier dans lequel se déroulent les études universitaires depuis quelques années. J’ai donc choisi de produire cette enquête dans laquelle je tente de répondre à la question suivante: La situation économique des étudiants et étudiantes à l’université s’est-elle dégradée, en comparaison avec le reste de la société depuis 3 ans, au point où l’État doit augmenter son soutien financier à la communauté étudiante?

Cette question implique une grille d’analyse d’abord comptable. Elle exclut aussi des questions du genre: Faut-il promouvoir la gratuité scolaire? Le sujet de cette enquête est de savoir si la situation des étudiants et étudiantes s’est dégradée depuis 3 ans. Je tiens pour acquis que la société souhaite en 2023 que les études soient financées à la même ampleur qu’en 2020. Je cherche donc à savoir si la dégradation actuelle de la situation économique impacte particulièrement les étudiants au point où l’État doit, par une mesure spécifique, augmenter son soutien à l’enseignement supérieur.

Un portrait fidèle de l’évolution à la fois du contexte économique, de la situation précise de la communauté étudiante et de l’évolution de l’aide de l’État à cette dernière suffira donc aux fins de cette enquête.

 

Portrait de la situation

Il est évident que la société vit en ce moment des tensions économiques importantes. L’inflation, la hausse du coût des logements et la hausse du taux directeur frappent durement la situation économique de la population québécoise. En revanche, au-delà de l’inflation globale, qui s’est chiffrée à 6.8% en variation annuelle en 2022 (Statistique Canada, 2023), la hausse du coût des loyers (autour de 24% entre 2017 et 2021 dans la grande région de Québec) et celle de l’alimentation ont frappé particulièrement les jeunes. Selon une enquête conduite auprès de 10 000 étudiants et étudiantes au Québec, plus de 60% d’entre eux dépensent au-dessus de 30% de leur revenu en logement, une situation généralement considérée comme problématique au niveau financier (Utile, 2023). Un rapport s’attardant à la hausse des prix de l’alimentation dans la région de Montréal chiffre à 15% la hausse annuelle du prix d’une épicerie équilibrée minimalement. (Dispensaire Diététique de Montréal, 2022)

Au niveau des salaires, l’augmentation moyenne sur 3 ans devrait se chiffrer autour de 4% annuellement. (Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, 2023) En 2023, le salaire minimum a augmenté d’1$, en hausse de 7%.

Évidemment, ces différents indicateurs macroéconomiques sont complexes à colliger en une seule conclusion. Une étude de Québec International a chiffré, pour la région de Québec, une hausse des salaires à 5.4% face à une inflation à 6.3% en 2022 (Québec International, 2023), une perte donc de pouvoir d’achat particulièrement concentrée sur les besoins fondamentaux (alimentation et logement). En revanche, une étude de la Chaire en Fiscalité et Finances Publiques de l’Université Sherbrooke établie, pour la période 2019-2022, une hausse du pouvoir d’achat entre 1 et 3%. (Chaire de recherche en finance de l’Université de Sherbrooke, 2022) Comme quoi la dégradation globale du niveau de vie n’est peut-être pas dramatique. Cette dernière étude, qui se base sur la moyenne générale, c’est-à-dire de tous les salaires et revenus de tous les adultes, arrive à de tels résultats probablement parce que la classe moyenne supérieure, qui a largement bénéficié des programmes d’aide et de la baisse d’impôt du mois de janvier ont moins subi la perte en pouvoir d’achat.

Si ces dernières conclusions concernent la population en moyenne, il me semble clair que la population étudiante, qui dépense une part importante de ses revenus dans le logement et l’alimentation, se trouvent du côté défavorisé. Si les chiffres sur la moyenne de la population sont ambigus concernant l’importance de la dégradation économique de tout le monde, l’augmentation importante de l’itinérance et de la fréquentation des banques alimentaires pointe dans la direction d’un appauvrissement significatif des plus modestes.

Les frais de scolarité ont, quant à eux, augmenté, depuis 10 ans, deux fois plus vite que l’inflation. (Vailles, 2022) En prenant l’ensemble de ces facteurs en compte, je conclus donc que la situation économique de la communauté étudiante s’est, comparativement à la moyenne, dégradée depuis 3 ans.

 

La rentabilité des études

Mais cette analyse ne saurait être complexe si je n’abordais pas la question de la rentabilité des études supérieures. En effet, une personne aux études, c’est une personne qui choisit de sacrifier des bénéfices monétaires immédiats dans l’objectif d’en gagner davantage dans le futur. J’entends bien qu’étudier, ce n’est pas seulement rechercher davantage de revenus, certains pourraient critiquer, avec justesse, la réduction des études à un simple rapport comptable. En revanche, pour la question qui est la mienne, c’est l’analyse financière qui m’intéresse. Regardons donc la question du rapport coût-bénéfice du fait d’étudier.

Il se trouve qu’une étude du CIRANO (Centre Interuniversitaire de Recherche et d’Analyse des Organisations) est sortie sur la question. En moyenne, oui, il est financièrement avantageux d’entreprendre des études universitaires. Globalement, son investissement dans ses études (paiements + pertes liées au non-emploi) rapporte 15% par an à la suite de la diplomation, un taux de rendement évidemment exceptionnel et bien plus élevé que ce que peuvent rapporter des placements en produit financier. Se cachent en revanche des disparités, certains programmes rapportent beaucoup (33% en médecine), et d’autres peu (entre 1 et 5% en sciences sociales). (CIRANO, 2021) Selon une autre étude de l’Institut de la Statistique du Québec, le salaire moyen de ceux disposant d’un diplôme universitaire au Québec est supérieur de 58% à celui d’un diplômé du collégial ou de l’école professionelle9. Ces chiffres laissent penser que les études sont extrêmement rentables.

Je note cependant une problématique en lien avec ces études. Leurs statistiques datent un peu. La première se base sur des données de 2015, et la deuxième de 2016. Si les tendances générales ne sont pas forcément en cause, il est probable que l’importance de l’avantage comparatif, c’est-à-dire le bénéfice à faire le choix des études plutôt que l’entrée directe dans le marché du travail, ne soit plus aussi majeure. N’oublions pas qu’à ce moment, les taux d’intérêts sur les prêts étudiants étaient entre 2 et 3%, ils sont aujourd’hui au-dessus de 7%.

Ces informations étant pris en compte, on peut aisément supposer qu’il n’existe pas ou peu de rentabilité des études dans les domaines des sciences sociales et humaines (histoire, géographie, philosophie, littérature, etc…). En revanche, pour celles et ceux en droit, en médecine, en administration ou en génie, l’université demeure un excellent investissement. Encore une fois, entre la période 2020-2023, il me semble clair que la situation de tous les étudiants s’est dégradée, la dégradation a simplement eu peu d’impact sur un étudiant en droit, et beaucoup d’impact sur un étudiant en philosophie.

 

Le soutien de l’État

Maintenant que c’est dit, attardons-nous à l’évolution du soutien financier de l’État aux étudiants. Au Québec, ce sont les institutions financières qui prêtent l’argent pour les études, à travers un programme particulier supporté par le gouvernement du Québec, l’Aide Financière aux Études. Le gouvernement fait état de garant du prêt, il prend aussi en charge les taux d’intérêt tant que l’étudiant est toujours aux études. Ce prêt est évidemment très avantageux, il est cependant impératif de noter que ce programme n’est accessible qu’aux étudiants et étudiantes dont les parents ont des revenus modestes. Si un parent, qui dispose de revenus substantiels, refuse de financer les études de son enfant, ce dernier n’a pas accès à l’AFE. Plus largement, l’enseignement supérieur est financé par l’État provincial à hauteur de plus de 50% de son cout. (Vallée, 2023) Plus de la moitié du salaire des professeurs, de l’entretien des locaux et de tous les autres coûts liés à l’activité de l’université sont directement assumés par les contribuables.

Il faut aussi rappeler que, depuis quelques années, le gouvernement du Québec a mis en place le programme Bourse Perspective qui finance à hauteur de 2500$ par session les études universitaires dans de nombreux domaines considérés en tension (santé, éducation, génie notamment). Ces mesures créées une gratuité scolaire effective dans ces programmes. Globalement, la communauté étudiante est largement subventionnée, à hauteur de 15 000$ par an pour une personne fréquentant l’Université Laval. (Vallée, 2023) Un ou une jeune de 20 ans qui n’est pas aux études, mais qui travaille à temps plein n’a pas droit à ce 15 000$ par an. Et il ou elle n’a pas droit non plus à un équivalent du financement aux REEE, à l’AFE, aux programmes de bourses ou aux crédits d’impôt liés aux études.

En revanche, la principale mesure de soutien gouvernementale face à l’inflation (la baisse d’impôt du printemps dernier) n’a peu, voire aucun impact sur la large majorité de la communauté étudiante

Il me semble juste de proposer que la hausse du soutien gouvernemental depuis 3 ans ne suffit pas à maintenir la situation au statuquo, deux catégories de la population étudiante sont touchées en particulier par ce recul: Les étudiants n’ayant pas accès à l’AFE et les étudiants dans les programmes de sciences sociales.

 

Conclusion

Si j’assume que l’inclinaison générale de la société vis-à-vis le soutien à l’éducation supérieure n’a pas changé, le sujet n’est pas à savoir s’il faut augmenter le financement aux études supérieures, mais d’identifier les mesures nécessaires afin que la situation se maintienne au point où elle était il y a encore quelques années. Dans ces limites, il me semble clair que l’État doit faire un geste afin de rééquilibrer les différentes dégradations des dernières années.

Il faut cependant que nous soyons honnêtes, la communauté étudiante reste un des groupes de la population les plus subventionnés au Québec. S’il n’est pas de mon rôle de critiquer ou remettre en question cette priorité collective qu’est l’éducation, cet état de fait doit nous conduire à la modération dans nos demandes de soutien. N’oublions pas que le trésor public est limité, et les demandes légitimes de financement, très nombreuses.

À savoir quelle mesure prendre, je pense qu’il faut les concentrer sur les deux groupes d’étudiants ayant véritablement souffert au niveau financier. Je pense d’abord qu’il faut cesser de conditionner l’AFE aux revenus des parents. Bien que la mesure soit justifiable au niveau des principes, elle génère des situations inacceptables, comme cette itinérance étudiante de plus en plus présente sur les campus. Les histoires de parents s’opposant aux choix de leurs enfants et reniant une promesse de financement, causant un grand stress financier chez plusieurs jeunes, sont moins rares qu’on ne peut le penser. La présidente de la Fédération Étudiante Collégiale du Québec a récemment appuyé sur la même faille. (Léouzon, 2023) En réalité, ces jeunes subissent de plein fouet la dégradation économique puisqu’ils dépendent soit de leur travail, soit de prêts privés pour subventionner leur éducation. Ceux qui sont financés par leurs parents profitent, indirectement, des baisses d’impôts et des autres mesures fiscales que le gouvernement a prises pour favoriser les ménages. Ce n’est pas le cas de ceux qui doivent s’autofinancer, et qui subissent en prime la hausse importante du taux directeur. L’État pourrait rendre mutuellement exclusif le programme de REEE et celui de l’AFE, afin de s’assurer que les familles plus aisées ne profitent pas de cet élargissement.

Ensuite, je pense qu’il faut entamer une réflexion sur une modulation des frais de scolarités selon les programmes. Je ne prends pas parti, parce que cette question implique des grilles d’analyse beaucoup plus étendues que simplement comptables. Des questions philosophiques et politiques sur le rôle de l’université, sur l’accessibilité aux études et sur l’égalité citoyenne se posent clairement. Il ne faudrait tout de même pas que les programmes les plus rentables soient réservés aux citoyens capables de payer. Reste qu’au niveau comptable, un investissement de 15 000 en frais de scolarité dans un baccalauréat en droit rapportera beaucoup plus que le même investissement dans un autre baccalauréat.

Ces questions sont complexes et mériteraient même un autre dossier. En attendant, j’espère avoir démontré l’existence d’une dégradation de la situation économique des étudiants, qui méritent une hausse mesurée et ciblée du soutien gouvernemental.

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

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CHAIRE DE RECHERCHE EN FISCALITÉ ET FINANCES PUBLIQUES DE L’UNIVERSTÉ SHERBROOKE, (2022), Regard entre inflation et mesures ponctuelles: Qu’en est-il de l’évolution du pouvoir d’achat des ménages québécois, https://cffp.recherche.usherbrooke.ca/wp-content/uploads/2022/12/r2022-14_entre-inflation-et-mesures-ponctuelles.pdf

VAILLES, Francis, (14 février 2022), Le printemps érable 10 ans plus tard: Le gagnant? Partie nul, La Presse, https://www.lapresse.ca/affaires/chroniques/2022-02-14/le-printemps-erable-dix-ans-  plus-tard/le-gagnant-partie-nulle.php

CIRANO, (2021), Le rendement privé et social de l’éducation universitaire au Québec en 2015. https://cirano.qc.ca/files/publications/2021RP-05.pdf

INSTITUT DE LA STATISTIQUE DU QUÉBEC, (2018), Niveau de scolarité et revenu d’emploi. https://statistique.quebec.ca/fr/fichier/niveau-de-scolarite-et-revenu-emploi.pdf

VALLÉE, Laurence ; BOUCHARD ST-AMANT, Pier-André, (18 avril 2023), L’UQAM a-t-elle sa juste part?, La Presse, https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2023-04-18/financement-des-universite s/l-uq am-a-t-elle-sa-juste-part.php

LÉOUZON, Roxanne ; PAVIC, Clémence, (17 novembre 2023), Des prêts et bourses à revoir?, Le Devoir, https://www.ledevoir.com/economie/802138/finances-etudiantes-prets-bourses-revoir

 

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