Photo : Sophie Marois

Culture du viol : Jeunes et déterminées à faire changer les choses

Impact Campus s’est entretenu cette semaine avec deux étudiantes de l’école secondaire Joseph-François Perreault, Gaëlle Grimard (14 ans, 2e secondaire) et Célestine Uhde (15 ans, 4e secondaire), afin de comprendre le mouvement des carrés jaunes, en opposition au code vestimentaire de l’école, et plus largement, contre l’hypersexualisation et la culture du viol.

Entretien réalisé par Sophie Marois, avec la collaboration de Karina Hasbun.

SM: Pour commencer, pouvez-vous m’expliquer c’est quoi le mouvement des carrés jaunes ?

GG: C’est un mouvement féministe et c’est pour lutter contre l’hypersexualisation des femmes, la culture du viol et pour l’actualisation du code vestimentaire, c’est-à-dire qu’on veut l’égalité des traitements par rapport au code vestimentaire.

CU: L’idée à notre école, et c’était pareil pour d’autres générations et dans d’autres écoles, c’est de faire modifier le code. En automne et en hiver, on se rend moins compte qu’il y a un problème parce que de toute manière on s’habille un peu plus chaudement, mais dès qu’arrive la belle saison, on voit les gars avec leurs shorts amples, se promener en t-shirts et en camisoles échancrées sur les côtés, qui ne se font rien dire. Et là on voit toutes les filles en jeans qui se plaignent de la chaleur parce qu’elles se font revirer de bord systématiquement si elles arrivent avec une camisole, un crop-top ou des shorts trop courts. Le gars, lui, n’a aucun problème. Nous, on ne sent pas qu’il y a une égalité de traitement, on ne se sent pas respectées, on ne sent pas qu’on a une intégrité face à notre corps. On sent que notre corps appartient à tout le monde, sauf à nous autre. C’est pas super, surtout à l’adolescence où tu grandis et que tu deviens une future adulte.

GG: C’est l’importance de se découvrir aussi. Il faut dealer avec le fait d’avoir plein de restrictions par rapport au code vestimentaire et que t’essaie de te trouver par rapport à ça.

SM: Alors quelles sont concrètement vos revendications?

GG: On veut pouvoir porter des bretelles spaghettis, des gillets qui ne se superposent pas nécessairement avec notre pantalon et des shorts courtes.

CU: En gros, on veut que montrer nos épaules, notre dos, notre nombril et nos cuisses, ça ne soit pas un problème. On ne considère pas que c’est hyper érotique un dos. On ne considère pas que le corps des femmes, c’est un spectacle pour le monde autour. On considère que notre corps, c’est notre seul véhicule pour la vie. On est dedans et on y peut rien alors pourquoi est-ce qu’on ne pourrait pas le mettre à notre image, s’accepter, être absolument qui on est, sans avoir la petite voix derrière notre tête « cache-toi, les gars ont des hormones ». En gros, on revendique que notre corps ne soit plus sexualisé. […] Nous, ce qu’on dit c’est « sois bien avec toi, sois intègre avec comment t’as envie de t’habiller. » Si t’as envie de t’habiller avec un gros cotton ouaté col roulé et des joggings, fais-le ; mais si t’as envie de t’habiller en shorts, fais-le aussi. Ça ne devrait pas plus être un problème.

SM: Est-ce que vous pouvez me raconter comment les mobilisations ont commencées?

GG: Tout a commencé parce qu’une élève en secondaire 5 a posté une vidéo sur Youtube en disant qu’elle s’était faite sortir d’un cours parce qu’elle portait un chemisier blanc sans brassière en dessous qui était légèrement transparent. Ça ne dérangeait pas, nous on trouve ça bien que les gens s’affirment à l’école, mais elle s’est quand même fait sortir d’un cours. Elle a manqué tout un après-midi d’école parce qu’elle n’était pas conforme. Dans sa vidéo, elle explique qu’elle veut que ça change et que le vingt-et-un mars on s’habille de manière non conforme. Donc le vingt-et-un mars, on est arrivé à l’école en chandails transparents, en bretelles spaghettis, en leggings, en chandail bedaine. Je dirais qu’on était peut-être deux cent-deux cent cinquante à être habillé(e)s de manière non conforme. Il y a eu environ douze suspensions, autant de gars que de filles. Parce que les gars nous appuyaient en roulant leur chandail, en portant des camisoles. Le jour suivant, on a installé des pancartes, on a mis des carrés jaunes dans toute l’école, on portait des carrés jaunes. Et le mouvement était commencé.

CU: Moi je pense que ça a commencé avant ça, en fait. Oui, la révolte à Perrault a commencé avec la vidéo, mais les réflexions sur la culture du viol, sur l’hypersexualisation des adolescentes et des femmes en général, sur le code vestimentaire sexiste ont commencé depuis beaucoup plus longtemps. L’année passée, j’en jasais déjà avec des personnes de ma classe. Cette année, je suis députée de classe au parlement étudiant et ma promesse électorale c’était que j’allais changer le code vestimentaire. Donc moi et la première ministre du parlement étudiant, on a créé un sondage qu’on a distribué aux élèves de l’école. On posait des questions simples : est-ce que vous avez déjà été déconcentré par la tenue vestimentaire d’un élève? Est-ce que vous trouvez que le code vestimentaire est appliqué de la même manière pour les gars que pour les filles ? Est-ce que vous changeriez le code vestimentaire ? Et une grille pour cocher des vêtements qu’on trouve « approprié », « pas approprié », « je ne sais pas ». On a passé une bonne semaine à récolter tous les sondages, à faire la compilation et ça nous a permis de voir l’avis général du monde de notre école. Ça a été très très concluent je pense.

SM : Quels ont été vos résultats ?

CU : En gros, les gens ne sont pas déconcentrés par les habits des autres, sauf si c’est laid et là je cite des réponses « c’est pas beau ». Super, mais ce n’est pas ça la question. Ensuite une grosse majorité, et de gars aussi, pensait que non, ce n’est pas appliqué de la même manière pour les gars que pour les filles. […] Ça a mené à des discussions avec la direction. Donc maintenant, la direction m’a à peu près confirmé que l’année prochaine, on aurait droit aux bretelles spaghettis et aux shorts. Donc ça c’est sûr que ça nous fait chaud au cœur de savoir qu’on avait des moyens de communication. Nous on ne veut pas confronter, on veut communiquer et à Perrault, c’est possible.

SM : Et le message se passait beaucoup sur les réseaux sociaux ?

GG : Ouais ! Moi j’ai créé la page Facebook le jeudi soir et le lendemain la portée de nos publications était autour de 500.

CU : Maintenant on est autour de 6 000.

GG : Et pour les personnes qui likent ou partagent, on est peut-être à deux milles.

CU : C’est sûr qu’on s’est fait poussé des les voiles beaucoup par les médias. Je ne pense pas que je vais vous surprendre, mais la machine médiatique contrôle beaucoup de choses. Mais une des promesses que je me suis faite à moi-même avant d’aller parler aux médias ou à la radio c’est : « Célestine, tu te tiens debout. C’est eux en ce moment qui travaillent pour toi pour médiatiser la chose, pas toi qui travaille pour eux. » On existe sans les médias, t’sais. Le mouvement se serait passé aussi même si personne n’en avait parlé parce que nous, on les aurait porté nos carrés jaunes. C’est sûr qu’on s’est fait beaucoup aidé par les médias, mais le message aurait quand même passé autrement.

SM : Et est-ce que c’est vous qui avez sollicité les médias initialement ? Comment ça s’est passé ?

CU : Non, c’est pas mal eux.

GG : Moi j’ai un ami qui a contacté une journaliste du Devoir pour lui en parler.

CU : Là, le Devoir nous a contacté, et le Soleil aussi. Ensuite, c’était la course des médias. En général, c’est eux qui nous contactent. La liste est longue, mais on a juste un corps chacune.

SM : Est-ce que vous pouvez me décrire votre comité ?

GG : On est huit personnes environ. Au moins une personne de chaque niveau scolaire, des garçons et des filles.

CU : Plusieurs sont impliqués dans le Parlement étudiant.

SM : Et le mouvement a des échos dans d’autres écoles ?

GG : Oui, énormément ! On est rendu presque vingt écoles à participer à ça : Québec, Montréal, Saint-Jean-sur-Richelieu, Saint-Hilaire, partout. Je reçois des questions, des commentaires, des approbations, des critiques. […]

CU : Les gens nous disent que ça fait longtemps qu’ils essaient de partir quelque chose et que là, avec notre mouvement, le monde embarque. […]

SM : Et pour vous, dans vos mobilisations, qu’est-ce qui est venu d’abord ? Est-ce que c’est d’abord une mobilisation sur le code vestimentaire, que vous associez maintenant à des luttes féministes, ou est-ce que c’est d’abord en vous intéressant à des enjeux féministes que vous avez interprété le code vestimentaire comme sexiste ?

CU : Option deux pour moi ! Moi je suis née dans un milieu de gauche et féministe. J’ai des parents très militants. J’ai été formée dans le printemps érable. Je suis née dans une manif. J’ai eu la chance de réfléchir sur des enjeux féministes et des enjeux d’égalité, d’intégrité très tôt. C’est de là que ça me touche. […] Ça a été : il y a un problème ici, ça crée des complexes chez les adolescentes, il y a une iniquité dans manière dont c’est appliqué chez les garçons et chez les filles, on voit ici un encouragement de la culture du viol. Il y a un problème ; on se mobilise.

GG : Moi j’ai pris conscience de la culture du viol plus récemment et quand il y a eu le mouvement des carrés jaunes, ça m’a poussé à me dire « j’embarque, je veux que ça change ! »

SM : Quelles sont les inspirations que vous avez eues de d’autres mobilisations, de d’autres militant-e-s ?

GG : Le printemps étable avec les carrés rouges certainement. Le mouvement des cœurs jaunes [contre les violences à caractères sexuelles] de cet hiver aussi. Ça a été des inspirations pour me dire que je veux changer le monde.

CU : Catherine Dorion m’inspire beaucoup. J’espère comme elle pouvoir faire de l’art engagée toute ma vie. […] Le milieu dans lequel on grandit a une grande influence sur la personne qu’on devient aussi. Sinon, une des grandes inspirations que j’ai eue, c’est Manon Massé. Juste de voir comment elle s’assume dans sa marginalité, ça me fait tripper. Je veux qu’on soit nous, c’est tout ; qu’on arrête d’être quelqu’un pour les autres ; qu’on arrête de s’habiller pour les autres. Juste qu’on fasse ce qui est bien pour nous ; qu’on dise non quand c’est bien pour nous, qu’on dise oui quand c’est bien pour nous ; qu’on s’habille comme on veut quand c’est bien pour nous.

SM : Et pourquoi est-ce que c’est important pour vous de vous mobiliser à l’école secondaire ?

GG : Parce que si on ne le fait pas là, ça va prendre beaucoup plus de temps à se faire. Si on se dit maintenant qu’on veut changer les choses, ça va avoir déjà commencé, les futures générations vont pouvoir se dire qu’elles veulent continuer à faire avancer les choses. Moi, je me dis que si on ne le fait pas tout de suite, ça ne se fera pas avant longtemps. Et je pense que ça aurait dû se faire il y a longtemps : on aurait déjà dû dépasser le code vestimentaire, dépasser la culture du viol, dépasser l’hypersexualisation des femmes.

CU : Je pense qu’on a identifié un problème que d’autres personnes ont identifié quand elles étaient au secondaire. Nous on le voit de l’intérieur. On aurait pu attendre de s’impliquer à l’âge où on commence habituellement à militer, mais nous, notre problème, il est maintenant. En tant qu’étudiantes de l’école qui le vivent à tous les jours, on veut changer les choses. […]

SM : Quels sont les appuis que vous avez reçus ?

GG : Je suis soutenue à cent pour cent par mon centre jeunesse, par des intervenants. Mes parents sont fiers de moi. Il y a plein de monde qui nous appui à l’école aussi, comme des professeurs.

CU : des appuis aussi des milieux politiques et militants, de ma famille, des médias. Même quand les médias ne sont pas d’accord avec nous, ça donne de la visibilité au mouvement.

SM : Pensez-vous qu’il y a une différence à l’école entre les filles qui vous appuient et les gars qui vous appuient ?

GG : Non, ils nous appuient.

CU : C’est tout pareil. Je pense que les gars comprennent notre cause parce qu’ils le vivent et le voient aussi en tant que gars. […] Des nœuds dans leur chandail et ils s’habillent en crop-top.

GG : On voit vraiment la solidarité.

SM : Et parmi les obstacles que vous rencontrez ?

GG : Les réticences de la direction ça a été un obstacle, mais on l’a dépassé.

CU : La médiatisation peu poser un obstacle aussi, parce qu’on ne rapporte pas toujours bien nos propos, on peut être mal citées. C’est un obstacle et une aide, il y a les deux côtés de la médaille. […] Des fois, on se fait dire qu’on ne sait pas c’est quoi la culture du viol, parce qu’on est trop jeune pour l’avoir vécue. Moi, je pense qu’au contraire la culture du viol est inculquée profondément et depuis notre jeunesse. En tant qu’adolescente, on se met à plus y réfléchir. Oui, je suis jeune. Non, j’ai pas beaucoup d’expérience de la vie, mais la culture du viol, je la vois. C’est vicieux, mais c’est partout.

SM : Et pourquoi est-ce que vous pensez que certaines personnes se braquent ?

CU : Certaines personnes ne voient pas que ça ne concerne pas juste le code vestimentaire, que c’est un mouvement plus général contre l’hypersexualisation. Des mots peuvent faire peur aussi : dire culture du viol, ça fait peur ; se dire féministe, ça fait peur. Pour certains, c’est associé à de l’extrémisme. Pour nous ça veut dire qu’on veut l’égalité.

SM : Et comment est-ce que vous voyez la suite des mobilisations ? C’est quoi le scénario idéal ?

GG : Notre objectif final, c’est que ça change.

CU : Moi à long terme, je veux aider les autres écoles à faire leur mobilisation, les accompagner avec leur direction, leur donner notre modèle de sondage s’ils veulent faire un sondage aussi, ou les aider à organiser des actions où tout le monde s’habille en jaune. Il faut rétablir les cours d’éducation sexuelle aussi. Des cours d’éducation sexuelle où il faut parler oui, des maladies transmissibles sexuellement, mais il faut parler aussi du consentement, de la culture du viol, du féminisme et d’égalité. Il faut parler plus concrètement du corps des femmes, arrêter d’y mettre des tabous. On n’est pas une silhouette à regarder ou à cacher. On a une sexualité nous aussi et elle ne devrait pas être plus tabou que celle des gars.

SM : Comment est-ce que les gens peuvent vous appuyer ?

GG : Les gens peuvent nous appuyer en portant des carrés jaunes, en en parlant autour d’eux. Les gens qui veulent peuvent créer un mouvement de carrés jaunes à leur école, ça marche !

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