L’Université Laval a son cours sur l’histoire des Jeux Olympiques d’hiver, l’Université de Montréal a maintenant son cours sur les Canadiens de Montréal. Le premier dispensé par le Département d’éducation physique de l’UL, le deuxième par la Faculté de théologie de l’institution montréalaise. Le professeur et théologien Olivier Bauer offre, cet hiver, un cours de deuxième cycle qui tente de répondre à la question : «Le Canadien de Montréal serait-il une religion?» Poser la question c’est y répondre, certes, mais le sujet d’étude dépasse largement les frontières de la théologie. Un livre, La religion du Canadien, écrit par Bauer et le prêtre Jean-Marc Barreau vient d’ailleurs d’être publié.
Le club de hockey montréalais n’est pas qu’une équipe sportive. À travers son histoire et ses héros, on peut tracer plusieurs parallèles avec l’évolution de la société québécoise au 20e siècle. Hors de Montréal, l’impact du Canadien dans le tissu social québécois est sous-estimé. Dans cette équipe se sont concentrées les aspirations d’une nation, qui s’est souvent accrochée aux victoires sportives, attendant les victoires politiques et sociales. Je ne crois pas que les Kosovars, lorsque venu le moment de l’indépendance, se sont demandés si le nom de leur équipe de football favorite allait rester le même. Au Québec, plus ou moins sérieusement, on s’est inquiété de ce qui adviendrait du Canadien de Montréal advenant le fait que, justement, les Québécois décident de ne plus être Canadiens.
À cet effet, le professeur propose que le Canadien possède les caractéristiques d’une religion implicite avec son rôle de foyer intégrateur (en unifiant les dimensions de l’existence) et ses effets extensifs (qui affecte l’ensemble de l’existence). Bien sûr, le Canadien n’est pas une religion. Selon Bauer (ironiquement, Bauer est aussi le nom d’un fabricant d’équipement de hockey), il manque à la Sainte Flanelle une référence explicite et assumée à une Transcendance. Quoique avec les fantômes du Forum et du Centre Bell… ça serait une religion polythéiste. Le Canadien influe pourtant sur le comportement des gens et plusieurs lui attribuent une valeur démesurée. De plus, le Canadien peut compter sur de fidèles partisans d’un océan à l’autre, qui souvent, ne connaissent du Québec que le maillot tricolore.
Le hockey, une religion? C’est le cas partout au Canada. Cinq autres villes canadiennes vibrent tout autant que Montréal au rythme et à l’ascèse des hockeyeurs professionnels. Toronto possède une longue tradition avec les Maple Leafs. Edmonton, Calgary, Vancouver et Ottawa transforment aussi en
demi-dieux ceux qui portent les couleurs de leur équipe. Ce qu’on réalise, c’est que la question du caractère religieux d’une équipe de hockey ne se pose pas uniquement pour Montréal, mais pour l’ensemble du Canada. Le hockey est la seule force unificatrice de ce pays qui se cherche encore une identité. L’engouement est pratiquement partout le même. Il faut avoir traîné dans les rues de Vancouver à la suite d’une victoire des Canucks en séries éliminatoires pour comprendre l’extase qu’elle procure aux Vancouvérois. Même chose à Toronto, même chose à Edmonton. Ce fut le cas jadis à Québec.
En fait, le hockey est au Canada probablement le seul sujet sur lequel tout le monde s’entend. C’est à se demander pourquoi le gouvernement fédéral n’a jamais misé sur cette évidence pour resserrer le sentiment d’appartenance à la feuille d’érable. Non pas que l’unité ne repose que sur le hockey, mais le sport fait de nombreux prosélytes. C’est un facteur d’intégration. Ministre de l’Industrie au début des années 2000, John Manley avait lancé un programme pour venir en aide aux équipes professionnelles. Grosso modo, ce plan accordait une aide variant entre 12 et 20 M $ aux équipes, et ce, jusqu’en 2004. Le gouvernement de l’époque avait toutefois reculé devant la contestation populaire qui avait, pour principal argument, que ces millions allaient revenir dans les poches de millionnaires. Paradoxe d’une population qui refuse de subventionner des équipes sans lesquelles elle se tournerait les pouces pendant les mois d’hiver. Belle occasion ratée d’assurer la pérennité de la communion du hockey.