Un cas de désobéissance civile

La décision de l’Agence du revenu du Canada de rendre imposables les bourses des stagiaires postdoctoraux a révélé le no man’s land béant dans lequel ils sont plongés.

Mi-étudiants, mi-chercheurs, les stagiaires postdoctoraux sont une sorte de bête hybride qui ne trouve pas sa place dans le système universitaire actuel. Ils sont environ 1700 au Québec, exactement 219 à l’Université Laval, un nombre en hausse constante depuis le début des années 2000. Pourtant, leur statut est toujours aussi nébuleux.

Les stagiaires postdoctoraux sont des Ph.D. (depuis moins de cinq ans) qui effectuent un stage de perfectionnement en recherche d’une durée allant de six mois à quelques années. Leur niveau de scolarité est comparable à celui de plusieurs professeurs d’universités et ils sont à deux doigts d’être des chercheurs autonomes.

Au «quatrième» cycle, on collabore avec un professeur, plutôt que de travailler sous sa supervision. On prend des charges de cours, on produit des articles, bref, on est actif et on contribue au développement du savoir au même titre que n’importe quel autre chercheur «non étudiant».

De plus, les stagiaires postdoctoraux ne paient pas de frais de scolarité obligatoires dans les universités du Québec. Seraient-ils donc des travailleurs?

Voyons l’autre côté de la médaille : ils gèrent leur temps à leur façon, participent à des séminaires de formation auxquels les professionnels de recherche ne sont pas libres d’aller, apprennent à faire des demandes de subvention. Ils sont donc, aussi, des étudiants. Ou plutôt, des «apprentis» du métier de chercheur.

La preuve ultime, c’est qu’ils gagnent entre 30 000 et 36 000 $ par année. En guise de comparaison, un professionnel de recherche (de catégorie trois), ayant un contrat à temps plein, a un salaire moyen de 56 969$. Voilà qui s’appelle un salaire d’étudiant, lorsqu’on considère les années de scolarité des stagiaires postdoctoraux, ainsi que le fait qu’ils doivent souvent conjuguer leurs travaux avec le rôle de parent.

Les revenus dont ils bénéficient proviennent de trois sources : ce sont soit des bourses de formation, soit des bourses d’études, ou encore des salaires offerts par des professeurs-chercheurs grâce à leurs subventions. On peut s’épargner les subtilités définitionnelles, parce que dans les faits, les stagiaires postdoctoraux font à peu près tous la même chose. Il n’existe pas de différence marquante entre les salariés et les boursiers.

Voilà ce que l’Agence de revenu du Canada (ARC) a ignoré lorsqu’elle a décrété, en 2007, que les stagiaires postdoctoraux seraient imposés à la hauteur de 10%, excepté ceux qui reçoivent une «bourse d’étude». Elle a tranché de façon radicale à propos d’un statut foncièrement obscur.

C’est une question sur laquelle les associations étudiantes et les universités devraient se pencher au plus vite. Actuellement, toute la littérature étudiante militante, tant du côté de la CNCS-FEUQ que de l’AELIES, reste muette sur le cas des stagiaires postdoctoraux (qui ne sont pas membres de l’AELIES, parce qu’ils ne sont pas étudiants…). N’étant pas défendus par une association, ni par un syndicat, les postdocs de l’Université Laval ne se sont d’ailleurs regroupés dans une association que l’an dernier, lorsque la massue fiscale les a frappés.

Le dossier de leur imposition reste en suspens : pour cette année, l’Université Laval leur a donné leur formulaire d’exemption d’impôt, mais il ne sera pas reconnu par l’ARC. Voilà un cas de désobéissance civile où refuser de payer ses impôts est loin d’être une fraude!

Car si les stagiaires postdoctoraux sont des travailleurs, ils ne sont clairement pas rémunérés à leur juste valeur. Ils constitueraient, à la limite, une scandaleuse main-d’œuvre à rabais. S’ils sont des étudiants, alors leurs bourses, peu importe la forme qu’elles prennent, doivent être exemptes d’impôts, comme les autres bourses octroyées aux cycles supérieurs. Dans tous les cas, ils se retrouvent actuellement avec le pire des deux mondes.

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