Unies contre le projet de loi C-484

 

La professeure Diane Lamoureux a insisté sur le fait que rien n’empêche un

gouvernement majoritaire de voter une loi qui recriminaliserait l’avortement.

Photo: François-xavier Boulanger-nadeau

En principe, ce projet vise à mieux protéger les femmes enceintes contre la violence et à punir plus sévèrement les agresseurs. Ainsi, l’agression d’une femme enceinte qui causerait la mort du fœtus serait passible d’accusation de meurtre, ce qui ferait d’un enfant non encore né une victime à part entière. Ken Epp, député conservateur sortant de la région d’Edmonton, l’a présenté au mois de février dernier. Il soutient «qu’il est cruel, dans un pays comme le Canada, que le fœtus n’ait pas de statut juridique», et souligne que son projet de loi n’ouvrirait pas la porte à une éventuelle recriminalisation de l’avortement. Aucun rapport récent ne donne des informations sur des agressions commises envers des femmes enceintes au Canada. Selon la dernière étude effectuée par Statistique Canada, qui date de 1993, plus d’une femme enceinte sur cinq s’est fait brutaliser par son conjoint pendant la grossesse.

 

En deuxième lecture, le projet de loi a reçu l’appui de 147 députés, dont 118 conservateurs. Des députés libéraux présents lors du vote, 27 s’étaient prononcés en faveur de ce projet de loi. Un député néo-démocrate a également voté avec le gouvernement. Cependant, étant donné le fait que le projet a été déposé à titre personnel et que le député âgé de 70 ans ne briguera pas un autre mandat, il doit en principe mourir au feuilleton.

Or, le projet de loi C-484 suscite tout de même la réaction des groupes de défense des femmes et des juristes. Car bien que son auteur ait décidé de se retirer de la vie publique, plusieurs craignent que le C-484 ne refasse surface sous une nouvelle appellation.

Projets de loi parallèles
Les professionnels de la santé s’inquiètent au sujet du projet de loi C-484, car il est accompagné de trois autres projets reliés à l’avortement et à la reconnaissance juridique du fœtus. Le C-537, également proposé par un député conservateur, porte sur la protection du droit de conscience des professionnels de la santé. Si elle était adoptée, cette loi permettrait à un médecin de refuser la pratique d’un acte médical allant à l’encontre des préceptes de sa religion ou de ses croyances, notamment en ce qui a trait au caractère inviolable de la vie humaine. Selon Madame Édith Gilbert, médecin-conseil à la Direction développement des individus et des communautés de l’Institut national de santé publique du Québec, cela pourrait entraîner une diminution des médecins praticiens de l’avortement et une augmentation des avortements clandestins.

Le C-338 interdirait, quant à lui, le droit à l’avortement après la vingtième semaine de grossesse. Actuellement, l’avortement peut, en théorie, être pratiqué durant les 9 mois de grossesse. Pour des questions d’éthique, les professionnels de la santé ne pratiquent plus l’avortement après 22 semaines. C’est à ce moment que le fœtus devient viable. Les mères souffrant de troubles mentaux en seraient exemptes, ainsi que celles dont le fœtus présenterait des anomalies sévères.

Quant au projet de loi C-543, il rendrait comme aggravante, dans la détermination de la peine, toute infraction commise contre une femme enceinte. Le C-338 et le C-543 ont aussi été déposés à titre personnel, cette fois-ci par des députés libéraux.

Intentions cachées pour plusieurs
Selon Louise Langevin, titulaire de la Chaire d’études Claire Bonenfant sur la condition des femmes et professeure titulaire à la Faculté de droit de l’Université Laval, ces projets visent à criminaliser l’avortement après la vingtième semaine de grossesse, en le considérant «comme un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans», citant le C-338. Elle rappelle que depuis 20 ans, par une série de jugements, la Cour suprême a reconnu le droit à l’autonomie de reproduction des femmes au Canada. Il n’y a pas de barrière légale contre l’avortement. Les limites peuvent être imposées par le médecin qui refuserait de pratiquer l’avortement ou par des décisions émises par les gouvernements provinciaux.

Au Canada, l’avortement n’est plus considéré comme un acte criminel depuis 1988. La première étape vers la dépénalisation de l’avortement date de 1969, lorsque le Parlement du Canada a adopté un projet de loi modifiant le Code pénal. Cet amendement autorisait l’avortement dans le cas où la santé de la mère était en danger. Seul un comité, formé de trois médecins, était apte à évaluer la situation, et l’avortement ne pouvait être pratiqué que dans des hôpitaux agréés et par des professionnels habilités. Ce n’est qu’une vingtaine d’années plus tard, en 1988, que l’avortement disparu du Code criminel. À cette époque, seulement quelques hôpitaux disposaient des conditions nécessaires pour pratiquer un avortement. La Cour Suprême a alors jugé que la loi n’était pas appliquée de façon uniforme dans l’ensemble du pays, ce qui allait à l’encontre de la garantie de sécurité de la personne prévue dans la Charte canadienne des droits et libertés.

Aucune loi n’interdit l’avortement, mais aucune loi ne l’autorise. Diane Lamoureux, professeure au Département de science politique, souligne que «rien ne régit les avortements au Canada». Elle rappelle cependant que «rien ne nous garantit qu’un Parlement ne puisse adopter à la majorité une législation criminalisant l’avortement». Le Collège des médecins du Québec s’est également opposé à ces projets de loi, par l’intermédiaire d’une lettre envoyée au chef des quatre grands partis politiques fédéraux au cours de l’été.
 

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