Le bal des finissants : un rendez-vous (presque) manqué ?

Bien des années avant d’étudier en littérature et bien avant de croiser la route des Hugo, Duras, Arcan, Queneau et Ionesco de ce monde, je lisais des romans jeunesse. A posteriori, si je devais choisir un seul dénominateur commun susceptible de réunir sur le plan thématique Harry Potter, Hunger Games ou même Le Seigneur des Anneaux, je choisirais le voyage initiatique du héros, pierre angulaire de la grande majorité des récits du monde entier. Ces rites initiatiques sont-ils uniquement réservés aux héros de fiction ou n’ont-ils pas une certaine importance dans nos sociétés ? Avec l’enjeu des bals des finissants presque annulés pour une deuxième année consécutive, qui auront finalement lieu sous certaines contraintes, sommes-nous sur le point de réaliser l’importance de la symbolique derrière les rites de passage, particulièrement chez les adolescents ?

Par William Pépin, journaliste web

 

Pour réfléchir sur la question, je me suis entretenu avec Denis Jeffrey, Professeur titulaire au département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage et spécialiste des rites scolaires. Pour monsieur Jeffrey, le bal des finissants relève d’une question symbolique et du sens qu’on lui accorde. Selon lui, le bal des finissants est une occasion de ressentir la fin du secondaire comme un « accomplissement ».

L’importance des petits récits : se constituer une mémoire
Afin de bien cerner les enjeux symboliques qui entourent la cérémonie, monsieur Jeffrey propose de distinguer trois types de sens que l’on peut donner à un rite initiatique. D’abord, le ressenti, soit le fait de donner un sens à notre horizon de pensée, à ce que l’on est en tant qu’individu. C’est un sens vécu, corporel et qui relève de la perception. Coexiste avec lui le sens avec l’interlocuteur, c’est-à-dire ce que l’on peut raconter. Ici, ce qui importe est le récit que nous faisons à partir d’un événement et que nous partageons avec autrui. Le bal des finissants est en effet une activité sociale où plusieurs petits récits sont mis en commun pour constituer une mémoire. Un sens collectif est ainsi partagé. Enfin, monsieur Jeffrey mentionne l’analyse intellectuelle comme dernier type de sens, soit la mise en sens de certains principes propres à une discipline, comme la science de l’éducation.

Bals des finissants et pandémie : comprendre le rôle crucial de l’anticipation
Monsieur Jeffrey propose une division en trois parties du rite initiatique : la phase préliminaire, la phase liminaire et la phase post-liminaire. Selon lui, la phase préliminaire est aussi sinon plus importante que la phase liminaire en ce sens qu’elle consiste à anticiper, à planifier le rite. Monsieur Jeffrey emploie notamment l’exemple du choix de la robe des mois à l’avance et des conversations entre étudiant.es autour de l’événement à venir. La préparation représenterait une stimulation très forte du désir, phase importante en ce sens qu’elle permet de créer du fantasme autour du rite. Le problème, c’est qu’avec la situation sanitaire actuelle où les finissant.es sont plongé.es dans une constante incertitude quant à la tenue du bal et sous quelles contraintes il pourrait avoir lieu, le processus initiatique est complètement altéré puisque l’anticipation est parasitée par une conjoncture ambivalente.

La phase liminaire consiste quant à elle à la fête, soit le bal en lui-même et à la possible transgression qu’elle peut engendrer. Selon monsieur Jeffrey, avec la situation sanitaire actuelle et l’incertitude qui entoure la tenue du bal des finissants, nous oublions collectivement la jeunesse dans une société qui baigne, selon lui, dans « le présentisme », c’est-à-dire une société incapable de se « projeter dans le futur ». Ainsi, se créerait selon lui un désordre symbolique majeur qui inhibe toutes formes de projection vers l’avenir. Finalement, la phase post-liminaire concerne la graduation en elle-même et la remise du diplôme, permettant à l’étudiant.e de tourner définitivement la page et de préparer son futur personnel et académique.

Les symboles : négligeons-nous ce qui nous ressemble ?
Si l’idée n’est pas d’ignorer le fait que nous sommes plongés dans une situation sanitaire aussi complexe qu’historique, cet article a pour objectif de se demander si la portion symbolique des rites comme celui du bal des finissants est toujours valorisée au sein de notre collectivité. C’est une question passionnante qui mériterait néanmoins une analyse plus étoffée que celle que je propose aujourd’hui.

Crédits photo : Creative commons

Consulter le magazine