Photo: Julie-Anne Perreault

Cours à distance : les aléas d’un développement fulgurant

L’Université Laval franchira le cap du 1000cours offert en ligne à l’hiver 2019. Si ce mode de formation permet à l’institution de démocratiser l’enseignement de près d’une centaine de disciplines partout dans le monde, certaines instances de la communauté universitaire mettent tout de même en garde contre le développement fulgurant de la formation à distance.

L’Université Laval, aujourd’hui considérée comme une université bimodale, a entamé son virage vers la formation à distance dès la fin des années 1990 avec une volonté de répondre aux besoins de plus en plus diversifiés des étudiants. Celle qui s’impose désormais en tant que leader canadien en matière d’offre de cours à distance a créé, il y a plus de dix ans, un programme afin de soutenir le développement de ce mode d’enseignement.

Au-delà de l’éclatement des limites géographiques, la visée est donc d’offrir une certaine flexibilité temporelle au parcours scolaire d’un autre type d’étudiant, dit «non-traditionnel». Le directeur de la formation à distance, Éric Martel, dépeint cette clientèle comme étant souvent âgée de plus de 25 ans et désirant se perfectionner à l’aide d’une formation courte pour accéder à d’autres postes dans son emploi actuel.

«Il s’agit de rendre accessibles les études aux gens qui, tout en essayant de concilier travail, études et vie personnelle, ne viendraient probablement pas s’asseoir à l’UL pour suivre un cours en classe, mais qui s’y adonnent en prenant connaissance de l’offre diversifiée de cours en ligne», énonce-t-il.

Or, ces nouvelles orientations pédagogiques ne semblent pas plaire à tous. Un article du Journal de Québec publié à l’hiver dernier mettait d’ailleurs de l’avant la diversité des points de vue des étudiants à l’égard de leurs cours en ligne. Alors que certains semblent apprécier la méthode d’apprentissage, d’autres s’inquiètent de ne pas pouvoir bénéficier ni de l’expérience campus ni de l’expertise de leurs enseignants. Le son de cloche est semblable chez le syndicat des chargées et chargés de cours de l’Université Laval (SCCCUL).

Inquiétudes des enseignants

Bien au fait que l’essor des technologies a facilité l’introduction du numérique au sein de la pédagogie universitaire, les membres du SCCCUL se conforment à utiliser des outils tels que MonPortail, qui allègent leurs tâches. Toutefois, pour eux, il est important de différencier le numérique de la formation à distance, dernier enjeu qui, malgré qu’il soit mis en valeur dans la Planification stratégique 2017-2022, ne devrait pas, selon eux, faire partie systématiquement des priorités de l’Université Laval.

«L’Université Laval utilise la formation à distance pour mieux remplir sa mission sociale d’enseignement : offrir à toute la population un accès aux études universitaires. Elle vise également à rendre davantage accessible son offre d’activités de formation aux candidats canadiens hors Québec et étrangers.»

– Planification stratégique 2017-2022

À ce sujet, Christine Gauthier, présidente du syndicat des chargés et chargées de cours de l’UL (SCCCUL), décèle quelques incohérences dans le document d’objectifs quinquennaux dévoilé l’an dernier, qui prévoyait pourtant encourager la présence étudiante sur le campus.

Elle appelle à la vigilance, craignant de perdre de vue le lien social dans l’enseignement. «On pensait avoir trouvé un équilibre, mais on apprend que la formation à distance est toujours en développement. Nous avions compris de la haute direction, que l’objectif était de valoriser l’enrichissement de l’expérience étudiante, alors que Mme D’amours avait mentionné lors de sa campagne qu’elle ne ferait pas la promotion de la formation à distance. Il nous semble que le fait d’augmenter encore le nombre de cours en ligne va à l’encontre de l’objectif qui avait été énoncé», s’indigne-t-elle.

Le directeur de la formation à distance reconnaît lui aussi l’importance de l’expérience d’études dans la formation et confirme que l’Université Laval «n’a pas l’intention de devenir une université exclusivement en ligne. Elle prévoit conserver de façon prédominante la formation campus», précise-t-il, conscient qu’au-delà du diplôme se cache une foule de rencontres enrichissantes.

«On croit beaucoup en l’expérience étudiante que l’Université veut mettre de l’avant, mais on se dit que ce n’est certainement pas de rester chacun chez soi devant un ordinateur et de ne pas avoir de contact avec les autres. En tant qu’institution, il faut s’assurer que tous les étudiants puissent échanger et prendre des engagements sur le campus», mentionne Christine Gauthier, déçue d’observer une certaine déshumanisation de sa profession.

Mutation d’un métier

À l’heure actuelle, les enseignants constatent qu’ils se retrouvent à la merci des transformations de leurs méthodes pédagogiques. En effet, ce que Mme Gauthier qualifie de «bouleversement numérique» demande du temps d’adaptation afin de permettre de maîtriser les outils nécessaires au développement d’activités d’enseignement. Étant elle-même une chargée de cours, la présidente du syndicat remarque également que la tâche à accomplir est encore plus importante qu’à l’époque. «Pendant la session, la formation à distance encourage des rapports très individualisés puisque chaque étudiant n’en est pas au même stade. Nos prestations de cours sont plus complexes parce qu’elles nous demandent un investissement de temps réparti tout au long de la semaine», explique-t-elle.

De son côté, la CADEUL, qui représente les associations étudiantes, a publié un avis à la suite d’une consultation auprès de ses membres à l’hiver 2015. Ce dernier met de l’avant l’importance primordiale de la formation des enseignants quant à la qualité de l’enseignement ainsi qu’au succès des étudiants. L’Université Laval rend d’ailleurs disponibles plusieurs ressources à la disposition des enseignants pour qu’ils se perfectionnent. Parmi elles, le Bureau de soutien à l’enseignement a notamment comme mandat de les accompagner, mais «les ressources qui y sont accordées sont insuffisantes pour pourvoir à la demande», dénote la CADEUL. «Il doit y avoir une solide formation préalable à la formation à distance et c’est une erreur de la part des institutions de ne pas y penser davantage», précise Denis Bélisle, vice-président de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU).

Qu’en est-il de l’avenir de l’éducation?

Il n’y a pas de retour en arrière, l’Université Laval entend continuer de proposer une offre de formation adaptée aux besoins des étudiants, dans une optique d’apprentissage tout au long de la vie. «Pour certains cours, on voit la pertinence, mais pour d’autres, on se demande si c’est vraiment ce qui est souhaitable pour l’enseignement du futur. Nous ne croyons pas, car malgré qu’effectivement, la formation à distance a des bienfaits incontestables sur l’accessibilité aux études, il faut bien choisir quel cours on dispense selon un mode, car ce n’est pas vrai qu’on peut tout transférer en ligne», termine la présidente du SCCCUL.

La CADEUL et l’AELIÉS précisent aussi qu’il faut en tout temps donner l’opportunité aux étudiants de choisir le mode d’apprentissage qu’ils préfèrent. «La CADEUL recommande que tous les cours obligatoires dans le cheminement d’un étudiant de premier cycle soient aussi offerts en mode présentiel ou comodal, afin qu’il puisse choisir le mode de formation qui lui convient», peut-on lire dans l’avis sur la formation à distance de 2015.

Statistiques
  • Début de la formation à distance en 1984, puis sur Internet dès la fin des années 1990;
  • Leader canadien en matière de formation à distance, devançant même la TÉLUQ qui n’offre que des cours à distance depuis 40 ans;
  • Plus de 1000 cours en ligne, plus de 100 programmes à distance
    et 5 formations en ligne ouvertes à tous (ou Massive Open Online Course).
  • Plus de 20 000 étudiants sont inscrits à au moins un cours à distance à l’automne 2018, soit environ le triple d’il y a 10 ans et près de la moitié du nombre total d’étudiants (43 000).
  • Sur un total de plus de 10 000 cours offerts à l’Université Laval, 1011 sont offerts en ligne (environ 10%);
  • Il existe 30 centres d’examen, dont 2 au Nouveau-Brunswick et un à Toronto.
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