Du Koninck à Sotchi

Dans le cadre des Jeux olympiques, la région du Caucase du Nord est sous les feux de la rampe. Cette région complexe est le sujet d’étude d’Aurélie Campana, professeure agrégée et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les conflits et le terrorisme.

Mme Campana explique d’emblée que le choix de Sotchi pour tenir les jeux n’est pas fortuit, Sotchi est une ville que Poutine adore, il y a même une datcha. La ville avait une fonction de sanatorium et de station balnéaire à l’époque soviétique : «  On y envoyait des ouvriers malades, le petit peuple comme disait Staline », explique-t-elle.

La chute de l’Union soviétique a toutefois eu une influence négative sur l’économie de la ville et de la région « C’est une ville qui durant les années 90 a connu un certain dépérissement ». Mais avec l’émergence de la nouvelle Russie, la ville est repartie c’est un peu devenu l’équivalent de la Côte d’Azur.

La corruption est toutefois endémique et l’argent qui devait servir à rebâtir la ville et à créer un effet positif à long terme n’a pas été redirigé vers la population : « Poutine voulait utiliser les Jeux olympiques pour essayer pour redresser la situation socio-économique du Nord-Caucase, mais ça ne fonctionnera pas parce qu’il y a une mauvaise redistribution des fonds et parce que les fonds ont essentiellement servi à nourrir la corruption et les amis de Poutine », énonce mme Campana.

La sécurité et le terrorisme sont également au cœur des préoccupations olympiques : « Comment est-ce que vous voulez développer socio-économiquement une région qui est en retard, mais qui connaît des problèmes de sécurité », expose mme Campana. « Vous ne pouvez pas construire des complexes touristiques comme voulaient le faire Poutine et Medvedev dans le Caucase du Nord alors que les installations ont été ciblées par des attentats terroristes, ça a un peu sonné le glas de ces projets ».

La professeure est également très intéressée par la représentation des jeux dans les médias russes. L’on y parle actuellement beaucoup des jeux olympiques et de sport. « Juste avant la cérémonie d’ouverture, les médias russes raillaient un petit peu ce que les médias occidentaux rapportaient de l’état des installations olympiques. Les médias russes disaient « ah ces occidentaux, jamais contents ».

Et si on parle de sécurité dans les médias russes c’est toujours présenté dans le sens où les médias veulent montrer que tout va bien et que tout est sécuritaire.

Selon mme Campana, les Jeux olympiques auront deux impacts à long terme sur la Russie. La première c’est de montrer que la Russie est maintenant un état moderne, qu’elle vaut les autres états, comme de fait, les Russes sont très fiers de leurs jeux. L’autre rattrapage est dans le domaine de la sécurité. La Russie s’est dotée de matériel de sécurité, de drones par exemple ce qui vient remplacer son ancien matériel qui était plus que vieillissant.

Les populations locales ont également causé quelques maux de tête aux organisateurs russes. Les circassiens, soit les est-caucasien veulent la reconnaissance d’un génocide s’étant produit à l’époque des tsars. Ils voudraient que ce génocide soit reconnu et ils ont tenté d’utiliser les jeux Olympiques comme plate-forme. Par contre, « comme ils n’ont pas eu recours à la violence ça a relativement bien été une petite enveloppe par-ci, une petite enveloppe par là », confesse mme Campana.

À l’ouest c’est différent, ils vivent dans des républiques où il y a une insurrection islamiste et d’autres types de violence là c’est plus difficile. « Ils estiment ne pas avoir de retombée des Jeux olympiques puisque pour eux c’est à des centaines de kilomètres et il y a tellement de sécurité et de check point que se rendre aux jeux Olympiques leur est de toute façon formellement interdit puisque l’administration russe a passé une directive demandant aux salafistes modérés de rester chez eux, de ne pas essayer de circuler dans le Nord-Caucase ».

Ainsi, bien que la menace terroriste soit réelle, les athlètes sont à l’abri, estime Mme Campana : « Le propre du terrorisme est de ne pas savoir où cela va frapper », explique-t-elle ; « s’il y en a ça m’étonnerait qu’ils frappent directement les installations olympiques ce sera plutôt une cible autour de Sotchi ou ailleurs en Russie, Moscou pourquoi pas ».

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