Les nouveaux diplômés universitaires surqualifiés plus nombreux

Dans l’Évaluation de la situation du marché du travail au Canada de novembre 2015 rendue publique au début du mois, le Bureau du directeur parlementaire du budget (DPB) constate que la proportion des diplômés universitaires surqualifiés atteint un nouveau sommet. Impact Campus s’est penché sur la question.

Avec la collaboration de Marilyn Ferland

Sur la période de 1991 à 2014, la proportion de nouveaux diplômés universitaires qui seraient surqualifiés pour l’emploi qu’ils occupent est passée de 32 % à 40 % parmi les 25-34 ans. Chez les diplômés âgés de 24 ans ou moins, cette proportion bondit à 56 % en 2014.

De quoi inquiéter les nouveaux diplômés? Pas forcément, expliquent les professionnels rencontrés.

Selon le docteur en sociologie et professeur titulaire au Centre Urbanisation Culture Société de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), Mircea Vultur, il faut d’abord chercher à comprendre si le phénomène de surqualification est un véritable problème. « On a beaucoup parlé de la surqualification, on a établi son ampleur et son évolution selon la méthode objective, explique-t-il, mais aucune recherche n’a encore démontré les effets concrets que ce genre de situation peut engendrer sur les individus. »

Les individus qui occupent un poste pour lequel ils se jugent surqualifiés éprouvent parfois de l’insatisfaction, vu le manque de défis à relever. Cependant, à travers des sondages qu’il a menés, le sociologue constate que ce n’est pas toujours dans le but d’accéder à un emploi précis que les gens réalisent des études universitaires. « Les gens vont à l’université pour des motifs divers : ils y vont pour se former la tête, pour d’autres raisons d’ordre personnel ou symbolique. »

Un beau problème?

La surqualification est donc un beau problème : c’est la conséquence d’un système d’éducation libre. La vice-rectrice adjointe aux études et aux activités internationales de l’Université Laval, Nicole Lacasse, parvient à la même conclusion. « S’ajuster au marché du travail, c’est une vision assez utilitariste de l’éducation supérieure », remarque-t-elle. Puisque la formation d’un étudiant dure au moins trois ans, les administrations universitaires ne peuvent pas s’ajuster automatiquement aux demandes du marché sans perdre de vue leur mission première.

La vice-rectrice donne l’exemple des diplômés en génie minier qui est l’un des secteurs dont les demandes en main-d’œuvre sont difficiles à prévoir.

« Il faut tenir compte des changements sur le marché, mais entre ça et [fermer un programme parce qu’il n’y a pas d’opportunités immédiates dans un secteur], on perdrait la vision de ce que c’est l’université », souligne la vice-rectrice.

Le taux de placement des nouveaux diplômés est loin d’être « catastrophique », tient-elle néanmoins à rappeler. Elle se demande si les étudiants, dans tous les cas, sont réellement surqualifiés pour l’emploi qu’ils occupent : « On a l’impression que les employeurs sont de plus en plus exigeants sur les connaissances et les compétences » exigées sur le marché du travail, spécifie la vice-rectrice.

La piste du contingentement

« Le contingentement à l’admission limite le taux de diplomation dans certains programmes, mais c’est une entrave aux libertés individuelles », remarque M. Vultur.

À titre d’exemple d’un système d’éducation planifié par contingentement, celui-ci cite la Suède. « Il y a là-bas un plus grand équilibre de l’offre et de la demande sur le marché du travail, concède-t-il. Par contre, l’accès à l’enseignement supérieur est extrêmement compétitif : il faut passer des tests pour entrer dans une faculté, et seuls ceux qui sont préalablement plus éduqués ou qui possèdent de meilleures ressources y accèdent. »

Toujours selon le chercheur, contingenter en fonction du marché du travail ne fait que déplacer la problématique, car cela exclut également un grand nombre d’individus du marché du travail. La meilleure solution est plutôt de mettre plus en rapport les institutions avec les employeurs.

« L’une des sources de la surqualification, c’est la difficulté pour les employeurs de recruter », précise M. Vultur. Une des actions à mettre de l’avant est l’aide au placement des diplômés. Le Service de placement de l’Université Laval (SPLA) mise à cet effet sur la création d’un portfolio individuel où chaque étudiant est appelé à réfléchir tôt sur l’orientation qu’il souhaite prendre sur le marché du travail.

Même son de cloche du côté de l’Université Laval, qui comprend le problème de la façon suivante : il faut faire un choix entre l’élitisme ou l’accessibilité. « Est-ce qu’il y a trop d’accessibilité et est-ce le rôle de l’université de contrôler l’accessibilité à l’éducation supérieure? Non », répond Mme Lacasse. Selon elle, le rôle d’une université n’est pas de « contrôler les robinets de l’accès aux études ».

Enjeu du financement

Parallèlement, le fait que le financement des universités soit fondé sur la diplomation aggrave la situation. « Il y a une concurrence malsaine entre les institutions pour produire le plus de diplômés possible, selon le professeur. En augmentant l’hétérogénéité de programmes au sein d’une même formation, on augmente l’offre, mais on diminue aussi souvent la qualité de l’enseignement. Il y a plus de diplômes, mais que valent-ils réellement? »

Il ajoute que la croyance en l’économie du savoir aggrave la situation. « Cette idée est un mythe. La croissance économique ne dépend pas du nombre de diplômés, mais de toutes sortes d’autres facteurs. Il y a beaucoup d’emplois qui n’exigent qu’un niveau secondaire ou moins, et ces emplois contribuent tout autant au bon fonctionnement de l’économie. »

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