Magasiner sa maladie

La société moderne est formidable. Grâce à l’industrialisation et à la production de masse, elle permet aux consommateurs de biens et services de choisir à partir d’un éventail très vaste. En 2011, on choisit tout ; des souliers, une voiture, un forfait Internet, un petit caniche, des bobettes. Bref, à part notre belle-mère et le jour de notre mort, on choisit tout, même une maladie à soutenir. 

Les maladies populaires, tout comme les autres modes véhiculées dans la société, sont déterminées par des courants et des jugements de valeur. En ce moment, le cancer du sein est probablement la maladie la plus à la mode. Plus de 30 000 Québécois ont participé à La Course à la vie CIBC organisée par les Fondations canadienne et québécoise du cancer du sein dimanche dernier. Si autant de gens se sont déplacés, ce n’est certainement pas uniquement parce que la maladie touche une femme sur neuf au pays. C’est aussi « cool » de soutenir le cancer du sein, ça paraît bien.

Évidemment il faut se réjouir qu’autant de personnes soutiennent le cancer du sein, mais il faut de la constance. Soutenir le cancer du sein, c’est sexy, c’est propre. Et quand Mitsou Gélinas est devenue la porte-parole de la Course à la vie CIBC, certains ont dû esquisser un léger sourire. Oui, c’est tout à l’honneur d’une personnalité publique de s’impliquer pour porter une cause, mais on dirait que c’est devenu une norme. Si la cause n’est pas représentée par des vedettes ou si les campagnes de levée de fonds ne sont pas imbriquées dans un plan marketing d’une firme professionnelle, la cause devient quasi inexistante aux yeux de la population.

Le cancer colorectal lui ? Quelqu’un le soutient ? Certes il est moins attrayant, mais il est tout aussi dangereux que le cancer du sein et mérite lui aussi sa part de soutien. Bien sûr  des fonds de recherches y sont investis, mais vous ne verrez jamais 30 000 personnes sortir de chez eux par temps froid pour encourager les victimes d’une tumeur au gros intestin. Mais il existe une solution, la rendre plus « cool » aux yeux de la population.

L’exemple le plus flagrant d’une campagne réussie nous provient d’Australie. La fondation Movember, qui organise des levées de fonds pour soutenir les maladies chez les hommes et tout particulièrement le cancer de la prostate, invite la population à porter la moustache à chaque mois de novembre depuis 2004.  Voyant le « buzz » prendre partout ou elle passe, la fondation Movember a étendu ses activités partout dans le monde, dont au Canada. Résultat de son expansion et de sa popularité ? Movember a connu une année record en 2010 avec des gains de près de 40 millions de $.

Jusque-là peu sensibilisés au cancer de la prostate, qui pourtant touche un homme sur sept au Canada, plusieurs jeunes hommes se sont joints au mouvement parce que c’était drôle de le faire. C’est à la fois déplorable et réjouissant.

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