Crédit photo : courtoisie de l'AESS

Une mémoire encore bien vivante

Le 22 mars 2022 marquait le dixième anniversaire d’une manifestation historique, qui avait vu près de 200 000 étudiant.e.s prendre d’assaut les rues de Montréal. Cette journée, où la météo s’était révélée exceptionnellement clémente, avait marqué le point culminant de la grève étudiante visant à faire plier le gouvernement Charest, inflexible dans sa volonté d’augmenter la facture étudiante.

Tel que nous l’avions alors mentionné dans nos pages, les étudiant.e.s de l’Université Laval s’étaient massivement joint.e.s à la mobilisation : quelque 22 000 des 38 000 étudiant.e.s du campus étaient en grève, ponctuelle ou illimitée, pour la journée du 22 mars 2012. Un tel niveau de mobilisation qui ne sera atteint à nouveau que sept ans plus tard, lors de la journée de grève pour la justice climatique du 27 septembre 2019, qui avait vu 35 000 étudiant.e.s battre le pavé dans les rues de la Vieille Capitale.

Dix ans après cette grève, un désir de mémoire se fait entendre un peu partout au Québec. Diverses initiatives viennent commémorer le dixième anniversaire de cette fronde sociale historique. Cette grève étudiante devenue une lutte populaire avait fini par cristalliser le mécontentement envers le gouvernement de Jean Charest, largement partagé parmi des millions de Québécois.e.s, au point où après plusieurs mois de grève, ce n’était plus tant l’annulation de la hausse des frais de scolarité qui était exigée par les manifestant.e.s, mais plutôt la démission du gouvernement Charest et la remise en question des dérives néolibérales qui attaquaient le modèle social québécois depuis plusieurs décennies.

Du côté de la Vieille Capitale, où la mobilisation estudiantine a moins suscité l’attention que dans la métropole, on s’active néanmoins pour raviver cette mémoire de la lutte. Un comité intitulé 2012 : Mémoires à faire a été lancé au cours de l’hiver, avec pour objectif de regrouper et « constituer les archives du Printemps étudiant à Québec. » Le projet a uni notamment Simon-Olivier Gagnon et Marie-Laurence Raby, étudiant.e.s doctorant.e.s au Département des sciences historiques de l’Université Laval, mais aussi plusieurs associations étudiantes désireuses de partager leurs fragments mémoriels de cette lutte qu’elles ont menées il y a dix ans.

Le kiosque de l’AÉSS présentait aussi bien tracts, journaux militants, photos, mémoires et même des feuilles de présence aux assemblées générales.

Ainsi, ce mercredi le 23 mars, il a été possible d’apercevoir pendant une bonne partie de l’après-midi un kiosque animé par l’Association des étudiantes et étudiants en sciences sociales (AÉSS). L’association étudiante a répondu positivement à l’appel du comité 2012 : Mémoires à faire et a exposé plusieurs documents rappelant l’atmosphère d’exaltation, de combativité et d’espoir que vivaient une bonne partie des étudiant.e.s du pavillon Charles-De-Koninck, bastion historique du mouvement étudiant ulavallois, lors des événements du printemps 2012. Numéros de L’Ultimatum (journal hebdomadaire de la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE)); carrés rouges; feuilles de présence aux assemblées générales de l’AÉSS; tracts informatifs sur les droits des manifestant.e.s face aux forces policières; et même mémoire plaidant en faveur de la gratuité scolaire déposés par un étudiant dans son cours d’économie.

2012 – 2022 : commémorer ou recommencer ?

Signe que les échos du passé résonnent toujours activement aujourd’hui, ce dixième anniversaire du point culminant de la grève de 2012 coïncidait avec une journée de grève nationale étudiante. Près de 86 000 étudiant.e.s ont débrayé ce 22 mars 2022, et quelques milliers d’entre eux et elles ont défilé dans les rues de Montréal pour revendiquer la gratuité scolaire. Bien que la grève de 2012 ait permis de bloquer la hausse de 1 625 $ voulue par l’ancien gouvernement libéral, il reste que, selon les données de Statistique Canada, les frais de scolarité et autres frais supplémentaires obligatoires payés par les étudiant.e.s québécois.e.s ont bondi de 33 %. Et ce, sans compter la crise du logement qui contribue à l’explosion des loyers, particulièrement à Montréal mais également dans une moindre mesure à Québec, deux villes abritant une vaste population étudiante.

Pour Pénéloppe Dagenais-Lavoie et Thomas Harton, la mobilisation pour la gratuité scolaire doit se poursuivre au cours des prochaines session.

Les deux étudiant.e.s qui m’ont accueilli lorsque j’ai visité le kiosque de l’AÉSS, Pénéloppe Dagenais-Lavoie et Thomas Harton, ont tous.tes deux participé à la manifestation pour la gratuité. En tant que vieux loup de mer du mouvement étudiant, j’ai été d’emblée enthousiasmé de voir des associations étudiantes de l’Université Laval reprendre le flambeau de la lutte pour la gratuité scolaire, mais aussi, plus largement, contre la précarité étudiante croissante. Les deux étudiant.e.s m’ont confirmé que l’AÉSS comptait continuer la mobilisation pour la gratuité scolaire au cours des prochains mois, confirmant que cette grève du 22 mars 2022 ne se voulait pas une simple commémoration empreinte de nostalgie, mais bien une ferme volonté de remettre sur la table un projet de société trop souvent balayé sous le tapis.

Coïncidence du calendrier, cette grève pour la gratuité scolaire survient la même semaine qu’une autre journée de grève, celle-là convoquée au nom de la justice climatique ce vendredi, le 25 mars. Il semblerait qu’après ce long hiver pour les associations étudiantes que furent la pandémie de COVID-19 et les cours exclusivement sur Zoom, la vie étudiante et les anciennes habitudes reprennent tranquillement leurs droits au pavillon Charles-De-Koninck. Face à ce retour de flamme militant, l’ancien « carré rouge » que je suis n’a certainement pas été le seul à dépoussiérer son vieux carré rouge, qui traînait depuis longtemps parmi d’autres babioles dans sa chambre, et l’arborer à nouveau fièrement sur sa chemise, pour tout le temps qu’il faudra.

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