Avertissement, cette chronique est basée sur un paradoxe.

Mon opinion sur l’opinion

David Rémillard

Avertissement, cette chronique est basée sur un paradoxe.

Difficile de s’y retrouver dans les médias de nos jours. Qui dit vrai, qui dit faux, dans quel contexte ? C’est encore pire à la radio, où tracer la ligne entre la nouvelle et l’opinion relève presque du miracle. Mais ça pogne, l’opinion, alors on continue et on en ajoute de plus en plus, partout. C’est bien beau, mais là on a un problème : le public semble se complaire dans cette mer d’opinions de toutes sortes, quelle qu’en soit la provenance, le fondement ou la cohérence.

Exemple. Je lisais un commentaire d’Éric Duhaime sur sa page Facebook en lien avec une déclaration faite par le fondateur d’Opération Nez Rouge, Jean-Marie De Koninck. Le spécialiste du transport se prononçait sur la tragique collision voiture-fauteuil en Beauce ce week-end, où un jeune de 22 ans a perdu la vie. « Biologiquement, le cerveau des jeunes n’est pas complètement développé avant 22-23 ans. On en a la preuve aujourd’hui [avec le couch surfing] », a déclaré M. De Koninck.  Ce à quoi M. Duhaime a répondu : « Quel mépris envers les jeunes. Imaginez si un jeune disait à De Koninck que son cerveau ramolli après 60 ans… Dire que nos taxes paient un salaire à ce gars-là… ».
À première vue le commentaire de M. Duhaime peut sembler correct. La déclaration de Jean-Marie de Koninck, au premier abord, peut nous faire penser à la célèbre déclaration du Doc Mailloux sur le QI des noirs. Mais les éléments de contexte n’y sont pas. Après quelques recherches, il est très facile de trouver des études qui prouvent que la prise de risque est plus importante chez les moins de 25 ans, le cerveau n’étant pas tout à fait mature. Une psychologue de l’Université de Los Angeles, en observant des jeunes jouer aux cartes, a prouvé hors de tout doute que la prise de risque est plus importante chez les jeunes de 18 à 25 ans. Ça m’a pris cinq minutes pour trouver le rapport d’étude.
Certains internautes ont pris la peine de vérifier les informations avant de se faire une opinion. Mais d’autres, malheureusement, ont tout simplement gobé le commentaire d’Éric Duhaime. Après tout, quoi de mieux que les taxes et les impôts pour cultiver la grogne de monsieur madame tout le monde. « Yark, Jean-Marie de Koninck », « Un vrai clown », « Aux poubelles De Koninck pis ça presse! », scandent les indignés.
C’est scandalisant. Ça se permet de critiquer et d’insulter un homme ayant sauvé bon nombre de vies et sensibilisé des milliers de personnes aux dangers de l’alcool au volant. Mais les gérants d’estrade s’excitent quand même. Au diable la vérification des informations, au diable la notoriété de De Koninck, ce gars-là est payé avec nos taxes et il dit des niaiseries selon Éric Duhaime!  L’opinion, aussi maladroitement appelé le gros bon sens, altère la vérité, et c’est franchement inquiétant.
Je vais terminer avec des petites notions théoriques qui ne viennent pas de moi. Alex S. Jones, professeur à l’Université Oxford et journaliste lauréat d’un prix Pulitzer, dans son livre Losing the News, propose la théorie du Iron Core of information, le cœur de l’information. Pour que les opinions soient possibles, il faut une information juste et objective, basée sur des reportages factuels, sans biais. Mais M. Jones s’inquiète. Les médias ont de moins en moins d’argent et la production de nouvelles est dispendieuse. Alors comment remplit-on nos pages ? Avec de l’opinion peut-être ?
Consulter le magazine