Doit-on fixer le prix des livres ?

Le gouvernement du Parti québécois étudie actuellement en commission parlementaire la possibilité d’instaurer un prix plancher sur le prix des nouveaux livres pour 9 mois, avec un rabais maximal de 10 % pour l’ensemble des vendeurs de livre au Québec. Certains questionnent l’intrusion de l’état dans l’industrie du livre tandis que d’autres y voient une protection supplémentaire contre un éventuel monopole.

Julien Landry

Selon les données publiées par l’Institut de la statistique du Québec, les livres étrangers dominent le marché. Depuis quelques années, on observe une diminution constante dans les ventes de publications québécoises. De plus, le Québec est la province canadienne où les gens lisent le moins.

En 1981, la Loi sur le développement des entreprises québécoises dans le secteur du livre a permis d’assurer la protection de l’industrie du livre à l’aide d’un éventail de mesures gouvernementales. D’abord, le gouvernement du Québec ne taxe pas la vente de livres. Cette réglementation vise à rendre plus accessibles les livres à l’ensemble des Québécois. Toutefois, il en coûte 55 M $ à l’État chaque année. Ensuite, les bibliothèques publiques se voient rembourser 75 % du coût des oeuvres québécoises par le gouvernement du Québec, de sorte à rendre davantage accessible la connaissance et la culture à tous les types de portefeuilles à travers la province. Ce mécanisme est une subvention indirecte aux librairies, tout comme l’est l’imposition aux bibliothèques publiques et institutionnelles de se procurer leurs oeuvres littéraires dans des librairies de leur région sans accès à un rabais additionnel. De plus, elles ont accès à des subventions gouvernementales pour les frais de transport lorsque la maison d’édition qui exporte le livre est située à plus de 143 kilomètres.

Dans une économie de marché telle que la nôtre, il est normal d’observer une disparité des prix de vente entre diverses entreprises. Le marché du livre est soumis à l’influence des mouvements d’entrées et de sorties des joueurs de toutes tailles. À l’ère du numérique, la technologie a imposé une transformation à l’industrie du disque. Désormais, il est rare de voir un disquaire indépendant dans un espace commercial. Les survivants de ce choc sont des magasins à grande surface qui vendent d’autres produits pour attirer un plus grand spectre de clientèle. Des programmes comme iTunes d’Apple ont absorbé une part de marché considérable de l’industrie et ont forcé la concentration des entreprises dominantes restantes. Indubitablement, l’informatisation et la perpétuelle hausse d’utilisation des diverses plateformes électroniques conduiront à la croissance des ventes de livres numériques et donc à une diminution des ventes en librairies. Il est très difficile de réglementer la vente de livre s sur Internet. Si un consommateur se procure un bien par eBay ou Amazon, l’État peut difficilement intervenir sur la fixation du prix du vendeur.

Selon Youri Chassin, économiste à l’Institut économique de Montréal, le prix unique entraînerait une diminution des ventes chez les libraires indépendants au profit des librairies disposant de nombreux points de service comme Archambault et Renaud-Bray.

L’État ne pourra pas indéfiniment protéger l’industrie du livre par des mesures interventionnistes car les librairies indépendantes doivent modifier leur modèle d’affaires pour lutter contre l’entrée sur le marché du livre numérique. Le service offert par un libraire et les connaissances dont il dispose lui confèrent un avantage unique contre l’achat virtuel.

Or, le prix unique du livre permettrait de protéger la diversification de l’offre en librairie. Dans le cas d’une province francophone comme le Québec, il est pertinent de valoriser notre culture par les arts, dont la littérature. Au Canada anglais, l’absence de réglementation en la matière a mené à la concentration des librairies.

La diversification est faible, car on observe une augmentation marquée de vente de la catégorie best-seller, au détriment des autres. Le marché québécois étant plus restreint en raison de la langue, pouvons-nous craindre une diminution de ventes des produits québécois au profit de livres tels que Fifty Shades of Grey et Hunger Games ? De plus, l’apparition du livre numérique et de la tablette électronique encouragent la « best-sellarisation » des ventes. Pour le bien de l’industrie québécoise du livre, la bibliodiversité doit être encouragée. À ce sujet, Sylvie Desrosiers, de l’Union des écrivains et des écrivaines québécois, affirme qu’il faut protéger les petites librairies qui permettent aux nouveaux auteurs de se faire remarquer.

La vente à faible prix des livres populaires représente une incitation plus forte pour le consommateur qu’une nouveauté québécoise en librairie. Si la libre concurrence continue au rythme actuel, la concentration des librairies risque de mener à une chute dans les ventes de livres québécois.

Pour les étudiants qui consomment à la coopérative de l’Université Laval, la politique du prix unique n’aurait probablement pas un effet considérable. Chez Coop Zone, la plupart du temps, les livres demandés par les étudiants sont des manuels scolaires ou des recueils de textes produits par les professeurs. De plus, les produits offerts sont très diversifiés, on y retrouve de la papeterie, des ordinateurs ainsi que des livres. Certains enseignants pourraient être tentés de faire acheter leur matériel obligatoire de façon numérique afin d’économiser certains frais, comme c’est déjà le cas dans plusieurs cours
à distance.

Le gouvernement promet de rendre sa décision suite aux audiences et à l’étude du rapport d’ici la fin de l’année 2013. Le PQ se montre favorable à la réglementation tandis que la CAQ s’y oppose. D’autres intervenants s’exprimeront lors des audiences publiques durant le mois de septembre.

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