Les créoles oubliés de Nouvelle-France

Il était une fois, la Nouvelle France. Un vaste territoire où tout semblait possible. Un territoire si vaste qu’il était divisé en plusieurs parties. Les plus importantes étant le Canada (correspondant plus ou moins à la périphérie laurentienne, écoumène de l’actuel Québec), l’Acadie et la Louisiane. De braves sujets du roy de France y débarquèrent et y eurent beaucoup d’enfants. Ces petits Français nés en terre d’Amérique, ce sont eux qu’on appellera, à un certain moment de l’histoire, les « créoles ». La Conquête, la Confédération et le Révolution tranquille sont autant d’événements charnières de notre histoire qui ont fait en sorte que de créoles, nous sommes devenus les Canadiens, puis les Canadiens français et aujourd’hui, les Québécois.

Une synecdoque appelée Canada

Appeler un citoyen de Vancouver un « Canadien » est un véritable abus de langage. Effectivement, tel que mentionné dans l’introduction, l’expression « Canada » référait à l’origine à la région géographique périphérique au St-Laurent. Or, le nouvel ensemble politique né de l’Acte de l’Amérique du nord britannique s’est accaparé le nom de notre pays (entendre ici au sens du territoire qu’habite un peuple). On en est donc venu progressivement à appeler l’ensemble des résidents de ce nouveau « Canada » par le nom de nos ancêtres (les Canadiens). De cet imbroglio identitaire vint la nécessité d’ajouter l’attribut « français » à notre nom ( « Canadien ») pour nous distinguer de ces nouveaux « Canadiens » non issus de la colonisation française.

Fier de mon créole

Au fil des changements de noms, nos créoles de Nouvelle-France ont fini par oublier qu’ils s’appelaient originellement créoles. Pourtant le terme m’est apparu plus pertinent que jamais à la suite d’une conversation avec une personne d’origine réunionnaise, dont la langue maternelle est bien sûr le créole réunionnais. Malgré qu’elle parle un français tout à fait impeccable, elle m’a affirmé toute l’importance que revêt pour elle sa langue. Elle me faisait part de son dégoût à l’égard de ceux qui perçoivent son créole comme une langue vulgaire. Car pour elle, sa spontanéité et son identité profonde sont créoles. Elle est foncièrement créole. Or, on pourrait en dire autant pour la langue particulière, truffée d’expressions aussi anciennes (qu’on appelle péjorativement « archaïsmes ») que belles, que nous avons la chance — et le devoir! — de garder vivante ici, au Québec.

Sont-ce des gens de Paris? Non, ce sont des gens de par ici.

Dans les moments les plus spontanés, où on se révèle avec authenticité, ce n’est pas en français de Paris qu’on s’exprime. Certes, la connaissance et la maîtrise d’un registre de langue soutenu sont essentielles à l’intelligibilité entre francophones de part et d’autre du monde, de même qu’il serait inconcevable d’étayer un raisonnement complexe en joual. Toutefois, il est une richesse qui anime la langue populaire — cette langue qui résonne dans nos oreilles chaque jour à la manière d’une mélodie.

S’il faut sensibiliser les élèves (et les francophones en général) d’aujourd’hui à l’importance de maîtriser la langue française et leur faire prendre conscience des mots qu’ils utilisent, il ne faut pas, comme c’est trop souvent le cas, leur faire sentir qu’ils « parlent mal ». Ils ne parlent pas mal : ils parlent avec ce qu’ils sont.

Et si ce sont les accents et les expressions qui font la mélodie d’une langue, c’est son homogénéisation qui n’en fera qu’une note désagréable pour l’oreille. Une langue épurée, terne, sans saveur. Car une seule note ne suffit pas à faire une mélodie.

Je ne veux pas ma langue comme un drap monochrome et pareil à mille autres draps. Je veux ma langue comme une courte-pointe. Petits-fils et petites-filles de créoles, n’oubliez-pas : vous êtes la couleur de la langue que vous faites vivre. Soyez fier de votre créole, car il fait ce que vous êtes. On vous a volé votre nom, mais ne laissez personne vous voler votre langue. Ne la laissez pas devenir un mur gris et monochrome. Faites-en plutôt une murale. Quelque chose de joli et de mélodieux. Comme une mosaïque.

Crédit photo : Histoire Canada

Consulter le magazine