Enquête sur la reprise des activités : stress, charge de travail et (in)satisfaction

Après 31 jours de grève, le conflit de travail entre le Syndicat des professeurs et professeures de l’Université Laval (SPUL) et l’administration de l’Université Laval s’est terminé. Et si nous ne faisions pas partie du conflit, nous avons été directement impacté.es par celui-ci. Ce qui est particulier avec la situation que nous avons vécue, c’est que nous n’avons pas toustes été affecté.es de la même façon. D’abord, il existe une multitude de cheminements, on pense aux différences entre les programmes, mais également entre les cycles d’étude. Puis la grève n’a pas touché l’ensemble de la population étudiante. Enfin, même parmi les étudiant.es affecté.es, le pourcentage de cours atteints par la grève est différent d’une personne à l’autre. 

Et si tout le monde l’administration, le SPUL, les associations étudiantes sont soulagé.es et heureux.ses que ce conflit ait pris fin, il n’en reste pas moins que la communauté étudiante subit encore les conséquences de cette grève. Impact Campus a donc décidé de lancer une consultation auprès des étudiant.es afin de documenter le déroulement et les effets du retour en classe.

Par Emmy Lapointe, Rédactrice en chef et Jade Talbot, Cheffe de pupitre actualités

Méthodologie

Pour documenter le retour en classe à la suite de la grève du SPUL, l’équipe d’Impact Campus a sondé la communauté étudiante en proposant un formulaire via les réseaux sociaux. Au total, 316 personnes ont complété le sondage, dont 269 étudiant.es au premier cycle (baccalauréat, certificat et doctorat de premier cycle) et 47 étudiant.es aux cycles supérieurs. Impact Campus souhaite d’ailleurs remercier les étudiant.es qui ont donné de leur temps et leurs témoignages en répondant à notre sondage

Programmes représentés

L’Université estime qu’environ 55% des étudiant.es auraient eu au moins un cours touché par la grève. L’échantillon que nous avons recueilli, au premier cycle, équivaut environ à 1,4% de ces étudiant.es qui ont été affecté.es par la situation. L’échantillon est non-probabiliste, on ne peut donc pas inférer nos résultats sur l’ensemble de la population étudiante. De plus, aucune question n’était obligatoire, ainsi le taux de réponses pour chaque question est variable. Nous avons reçu les réponses d’étudiant.es de premier cycle inscrit.es à 69 programmes différents. Parmi ces répondant.es, un peu plus d’un cours sur deux, en moyenne, ont été mis sur pause lors de la grève. Sans dire que notre échantillon est représentatif des étudiant.es, il s’agit d’un portrait intéressant qui rend compte de plusieurs situations vécues par notre communauté

Stress dans la communauté étudiante

Plusieurs ont parlé, pendant la grève, du stress que la situation causait aux étudiant.es. On peut penser à l’incertitude qui entourait la grève, notamment sur sa durée et ses effets à long terme, puis à l’après-grève. Lorsque nous avons demandé aux étudiant.es quel était leur niveau de stress avant la grève, un peu plus de la moitié nous ont indiqué n’avoir aucun stress ou un faible stress. La moyenne des réponses se situe à 2,4 sur 5. Lorsque nous leur avons demandé quel était leur niveau de stress pendant et après la grève, plus de la moitié d’entre elleux ont répondu avoir un niveau de stress élevé ou très élevé. Le niveau de stress moyen pendant la grève est de 3,6 sur 5 alors que celui après la grève est de 4 sur 5. Ces résultats montrent donc que le stress chez les répondant.es a augmenté avec la grève. 

Cependant, le niveau de stress semble avoir diminué légèrement entre la période de grève et celle de l’après-grève. Sur le deuxième graphique, on observe que la courbe de tendance centrale diminue pour ces moments, alors que celles des périodes avant/pendant et avant/après augmentent. Ces différences pourraient s’expliquer par la reprise des cours et les différentes modalités qui ont été proposées aux étudiant.es. Ainsi, on peut imaginer que celleux qui sont satisfait.es des modalités de reprise auraient vécu une diminution de stress alors que celleux insatisfait.es auraient vécu une augmentation de stress. 

Nous avons également demandé aux étudiant.es d’identifier les éléments qui leur causaient le plus de stress. Sur le troisième graphique, on observe une partie importante des répondant.es qui identifie la charge de travail comme causant du stress, suivi par les résultats scolaires et la qualité de l’enseignement. Enfin, dans une proportion moindre, on retrouve les projets post-session retardés, les problèmes de diplomation, le retour sur le campus, les modalités de reprise et les aspects financiers. Ce sont ces différents facteurs de stress que nous avons utilisés pour présenter la suite de l’article.

Graphiques et témoignages 

Résultats scolaires

Parmi les répondant.es de premier cycle, 73.7% sont stressé.es par leurs résultats scolaires à la suite de la fin de la grève du SPUL. Évidemment, l’annonce de la possibilité de se doter de la mention réussite ou échec pour les cours affectés par la grève, une proposition conjointe de la CADEUL et l’AELIÉS accueillie par l’administration de l’Université, aura certainement eu pour effet d’en rassurer plusieurs. Néanmoins, la mention sert aux étudiant.es qui, au-delà du seuil de passation, ne seraient pas satisfait.es des résultats qu’iels obtiendraient, mais ne peut rien pour celleux qui craignent finalement un échec.  

De plus, bien que l’annonce se soit faite assez rapidement (lundi le 3 avril), certain.es ayant déjà pris connaissance de leurs plans de reprise des activités avant l’annonce ont constaté que les charges de travail combinées aux délais des évaluations, etc. auraient un impact sur leurs résultats scolaires et ont préféré abandonner certains cours. À cela s’ajoute la date d’abandon de cours sans mention d’échec qui fut repoussée à une semaine après la reprise de chaque cours, ce qui n’est peut-être pas suffisant si l’on considère que plusieurs cours n’auront pratiquement pas, voire aucun résultat entré.

Témoignages

Charge de travail et qualité de l’enseignement : le point d’équilibre

La cause de stress la plus répandue chez les répondant.es de premier cycle est sans aucun doute la charge de travail alors que 88,4% d’entre-elleux nous disent en être stressé.es. Malheureusement, à cela, la mention réussite ou échec n’y peut rien puisqu’il faut évidemment terminer nos cours et pour y arriver, la pente semble abrupte pour plusieurs. 

Les mots d’ordre du plan encadrant la reprise des activités sont flexibilité et savoirs essentiels. Or, pour plusieurs cours, l’un ou l’autre (ou les deux) semble poser problème.

D’abord, certain.es professeur.es ont pris pour acquis que les étudiant.es continueraient à avancer la matière seul.es, sans soutien. En effet, des professeur.es ont brandi l’argument de la disponibilité d’auxiliaires d’enseignement, mais le rôle de celleux-ci était très flou pendant la grève. Par ailleurs, sans rien enlever aux auxiliaires qui travaillent d’arrache-pied, reste que leurs compétences et leurs responsabilités surtout, ne s’apparentent pas à celles des professeur.es. Ensuite, des professeur.es ne semblaient pas vouloir revoir les modalités d’évaluations, la matière évaluée ou les calendriers, condensant ainsi les évaluations et la matière à absorber pour celles-ci en très peu de temps.

Témoignages

Puis, il y a les professeur.es qui semblent avoir pris un peu trop au pied de la lettre l’expression savoirs essentiels alors que de grandes parties de matières ont été amputées sans que les contenus aient forcément été rendus disponibles à l’apprentissage. Parce qu’au-delà de la charge de travail énorme que plusieurs nous ont partagée et des conséquences qui en découlent, 56.8% des répondant.es de premier cycle sont préoccupé.es par la qualité de l’enseignement qu’iels reçoivent. À notre sens, et à celui des répondant.es visiblement, l’auto-enseignement a ses limites. Et c’est un point qui suscite chez plusieurs une grande frustration compte-tenu, entre autres, des frais encourus pour la session en cours. Plusieurs souhaiteraient une forme de remboursement quelconque pour palier à ce dont iels n’auront « pas eu droit », un souhait qui fait aussi écho au malaise que certain.es ressentent à l’égard de la « prime » de 4500$ négociée dans les modalités de reprises des activités à laquelle aura droit le corps professoral. De son côté, l’administration de l’Université n’entrevoit aucun remboursement sous quelque forme que ce soit comme les objectifs des cours devraient être atteints malgré la situation. 

 Il s’agit évidemment de questions complexes qui nous confrontent à cette vision clientéliste de l’université dans laquelle nous sommes, comme étudiant.es, toujours un peu pris.es étant donné les frais universitaires et les frais entourant la vie universitaire que nous devons assumer, mais de laquelle il peut être souhaitable de s’émanciper si l’on veut considérer notre éducation autrement que par la valeur marchande qu’elle représente. Mais on ne peut pas non plus complètement évincer la question monétaire, parce que l’université n’a rien d’accessible pour plusieurs et que de plus en plus, il semble qu’on traite les étudiant.es comme des client.es (eh oui) alors à force, c’est certain que les client.es finiront par réclamer « leur dû ». 

Bref, tout ça représente un équilibre difficile à atteindre, mais il faut le dire, plusieurs professeur.es, grâce aux suggestions de leurs étudiant.es, semblent avoir réussi à le faire tandis que d’autres n’en ont, visiblement, fait qu’à leur tête aux dépens de classes complètes.

Témoignages

Les projets post-session bouleversés

L’inquiétude des projets post-session possiblement chamboulés, voire annulés en taraudait plus d’un.e avant que l’issue de la grève soit connue. Et c’est une inquiétude qui s’est avérée pour plusieurs puisque ce sont 44,84% des répondant.es de premier cycle et 51,22% aux cycles supérieurs qui ont vu leurs projets post-session être affectés. 

Si le plan-cadre met en lumière la flexibilité, il n’a pas été possible, compte tenu de la pluralité des offres de cours et des conditions de leur exercice, de définir davantage ce qu’on entendait par flexibilité. Ainsi, les professeur.es sont encouragé.es à faire preuve d’une souplesse, mais celle-ci, tout comme les possibilités d’accommodements pour les étudiant.es impacté.es par les modalités de reprise demeurent à leur discrétion. 

Dans un monde idéal, les activités de formation et d’évaluation passées le 30 avril se dérouleraient à distance et demeureraient de qualité, ce qu’on peut tout à fait exiger après plusieurs sessions affectées par la pandémie. Évidemment, difficile de tenir un laboratoire sur Zoom, mais du lot des réponses obtenues, 20,7 % des étudiant.es déclarent devoir être présent.es au-delà du 30 avril et même jusqu’à la fin du mois de mai. Et ça, c’est sans compter les activités d’évaluation qui seront parfois reprises au courant de l’été, le 5 août étant la date la plus tardive nous ayant été rapportée. Et si plusieurs étudiant.es pensaient pouvoir commencer leurs vacances ou leur session d’été la tête tranquille du trimestre passé, il n’en est rien puisque pour certain.es, il faudra attendre à la fin juin pour le terminer. Après, comme mentionné précédemment, il est possible de demander, pour un motif sérieux, un accommodement. Mais là encore, l’expression « motif sérieux » est assez évasive. Sur la page des communications sur la grève de l’Université qui répond d’ailleurs plutôt bien à plusieurs questions, on donne comme exemple de motif sérieux le conflit d’horaire entre deux examens. 

Toutefois, quand on pense aux projets post-session qui pourraient être chamboulés, ce ne sont pas les conflits d’horaire entre deux examens qui inquiètent. Ce sont plutôt les stages, les emplois d’été et les voyages. Pour les stages, on est en mesure de croire que comme ils sont intrinsèquement liés à la diplomation, qu’il y aurait des accommodements. Mais les emplois et surtout les voyages qui se décalent encore moins bien que le reste comme ils dépendent souvent de billets d’avion, qu’en est-il ? Parce qu’évidemment, l’école, l’école, c’est important, mais si l’on considère que nous n’avions, comme étudiant.es, aucune prise sur le conflit, aussi légitime soit-il, à l’origine de la session décalée, il nous semble que nous sommes en droit de demander que nous ne soyons pas trop impacté.es, et annuler un voyage pour lequel nous aurions travaillé plusieurs heures, ce n’est tout simplement pas juste.

Problèmes de diplomation et retour sur le campus

Parmi les étudiant.es sondé.es, 13,9% au premier cycle et 8,89% aux cycles supérieurs nous ont confié être inquiet.ètes pour leur diplomation, mais s’il y a un point sur lequel on peut rassurer les étudiant.es, c’est celui-ci. Pas question cette année d’avoir remis toutes ses évaluations avant une telle date, ça pourra être rétrospectif. Pour les étudiant.es aux cycles supérieurs qui comptaient faire le dépôt initial de leur essai, mémoire ou thèse, la date de remise pour le trimestre d’hiver 2023 a été déplacée de la fin avril à la fin mai.  

Autre cause de stress chez 9,7% de nos répondant.es au premier cycle et chez 4,44% aux cycles supérieurs : le retour sur le campus. Le sondage ne nous permet malheureusement pas de statuer sur les aspects précis qui contribuent à faire du retour sur le campus un facteur de stress. Mais si l’on considère que dans les trois dernières années, les étudiant.es universitaires ont fait office, pour de bonnes raisons parfois, de matière malléable qu’on a lancée d’un bord et de l’autre de la virtualité, il est fort à parier que cette instabilité persistante ait créé chez plusieurs une certaine anxiété.

Les impressions face aux modalités de reprise

Des situations désastreuses avec des professeur.es qui semblent avoir oublié la solidarité dont plusieurs associations ont fait preuve durant la grève, il y en a, et il y en a plus qu’on pourrait le croire, mais il y a probablement plus de professeur.es flexibles et soucieux.ses d’atteindre un point d’équilibre entre un enseignement de qualité, des modalités et une charge de travail décentes. Ce qui nous amène au constat inévitable qu’il y a autant d’appréciations des modalités de reprise qu’il y a de parcours scolaires. 

Graphiques et témoignages

Les oublié.es

Les étudiant.es des cycles supérieurs, dans le conflit comme dans son règlement, sont peut-être celleux qu’on a les moins pris.es en considération. Pourtant, elleux aussi sont confronté.es à des contraintes comme des demandes de bourse à l’externe qui se font très mal sans l’aide des professeur.es (eh oui encore, les professeur.es ne font pas qu’enseigner), des sources de financement auxquelles iels doivent des comptes, etc. Et en des temps de crise que ce soit celle-ci, celle de la COVID, celles passées et à venir, et même en dehors des crises, qui croyez-vous permettent à la machine universitaire de fonctionner autant ? Ce sont les chargé.es de cours à la porte de qui, par ailleurs, plusieurs départements ont cogné durant la grève pour quémander de l’aide pour préparer le retour en classes, les auxiliaires d’enseignement, de recherche, administratifs, et tout ce beau monde-là, ce sont souvent des étudiant.es aux cycles supérieurs à qui l’on demande, si vous permettez la digression, tacitement du travail gratuit. Bientôt, les deux syndicats, celui des chargé.es de cours et des auxiliaires, devront négocier leur nouvelle convention collective, et du conflit de travail entre le SPUL et l’Université Laval de cette année, espérons que la capacité à se mobiliser et la solidarité demeurent. 

Graphiques et témoignages

Pour la suite des choses

Si nous avons décidé de faire cet article, c’est pour que quelque chose de l’avis étudiant demeure et pour qu’on s’assure comme communauté étudiante que le trimestre de l’hiver 2023 se termine de la meilleure des façons. Pour ce qui est du stress important, voire inquiétant qu’on nous a rapporté, n’hésitez pas à faire appel au centre d’aide, aux intervenant.es de proximité ou au réseau de sentinelles en espérant que ça puisse suffire. 

Pour ce qui est des modalités de reprise en tant que telles, nous le mentionnions précédemment : la majorité des plans de reprise des activités ont été conçus par et pour la majorité dans le respect des mesures d’encadrement en place. Néanmoins, dans les situations qui nous ont été confiées, plusieurs mériteraient d’être adressées et pour ça, les associations étudiantes répondront présentes. Après, c’est certain qu’au lendemain de négociations portant entre autres sur la liberté académique, demander, par exemple, que les plans de cours soient approuvés par une instance quelconque, ce serait empiéter sur le principe qu’on a tenté de défendre, mais liberté académique et pouvoir ne font visiblement pas toujours bon ménage.

Si dire que le monde universitaire se transforme (pour le meilleur et pour le pire) comme il l’a toujours fait relève du raisonnement tautologique, il n’en demeure pas moins que c’est vrai et que les discussions, les conflits n’iront pas en diminuant, et qu’il faudra savoir comment colmater les fuites qu’ils créeront, comment rétablir, à chaque fois, le dialogue. Et dans un monde universitaire idéal dans lequel on tenterait, le plus sincèrement possible, d’établir des rapports d’horizontalité, le rétablissement des dialogues se feront en présence des étudiant.es. 

En terminant, une pensée pour les diplomé.es de cette année qui auront eu un parcours universitaire plutôt chaotique entre le COVID et la grève; vous aurez assurément été un exemple de résilience et de capacité d’adaptation.



Consulter le magazine