Ce n'est pas parce qu'on est dans une foule qu'on n'est pas seul.

Sortir de l’anonymat

Tout le monde rêve secrètement de devenir célèbre. On s’imagine être reconnu dans la rue, admiré, salué par tous. On veut susciter l’envie, être «quelqu’un». Surtout, on répugne être seul, anonyme, un fantôme que personne ne connaît. On a peur de mourir dans l’oubli. Du moins, moi, ça me fait peur.

Certains choisissent de se parader en sous-vêtements dans des séries télévisées au quotient intellectuel plutôt dégradant pour attirer l’attention. D’autres envahissent la Toile et se créent une vie virtuelle plus accrocheuse que leur vie réelle. Il y a aussi ceux qui crée des scandales pour rien (tousse-Julie Couillard-tousse). Finalement, il y a ces gens qui se contentent de leur vie, de n’être connu que par leurs proches. Des fois, je me dis qu’eux, ils l’ont l’affaire.

Les écouteurs au fond des oreilles dans l’autobus, les yeux fermés, les passagers s’isolent dans une bulle artificielle. Ils textent leurs amis du bout des doigts. Converser avec son voisin de siège? C’est passer pour être fou. Pourtant, les habitués des transports en commun se retrouvent sur les mêmes trajets souvent aux mêmes heures. Toujours ce malaise. Est-ce qu’on se connaît parce qu’on se voit tous les jours ou est-on encore inconnu? À partir de quel moment sommes-nous des connaissances?

Dans mon quartier, je ne suis plus anonyme. Je connais mes voisins, mon boulanger, mon torréfacteur, ma caissière à l’épicerie. On me salue, malgré qu’on ne connaisse pas nécessairement mon nom. Les visages me sont familiers. J’ai l’impression qu’ils font partie de ma vie, même s’ils ne jouent qu’un rôle secondaire, voire tierce.

Routiniers, je vois passer les mêmes personnes sur la rue St-Jean. Après un bout de temps à se côtoyer sur les trottoirs, on finit par se lancer des sourires, à se saluer d’un mouvement de tête. Alors je marche dans mon quartier, soulager de reconnaître les gens que je croise. Chaque fois que je sors de chez moi, je rencontre des personnes avec qui je peux parler. Les petites conversations banales de voisinage me réconforte. Je fais partie d’un tout, d’un quartier.

Ça me fait rire un peu d’avoir besoin de ce sentiment d’appartenance. La solitude rend fou. La solitude entourée rend mélancolique. Être anonyme dans la foule, un pion parmi tant d’autre, un chiffre dans une addition.

J’ai pu découvrir le mal que la solitude fait sur l’âme humaine. Ayant passée un mois sur un voilier avec un capitaine qui, lui, avait passé près de trois ans seul sur les flots, je peux en témoigner. Il avait un besoin d’attention effroyable, en plus d’avoir perdu toute inhibition. L’être humain est une bête sociale: l’isoler le rend malade. En moins d’espérer avoir l’Illumination, l’ermitage ne fait qu’endommager la capacité de vivre en société. Pire, vivre reclus pour un moment rend dangereux parce qu’on ne peut plus se réhabilité à la vie en groupe.

Pour tromper la solitude, rien de mieux que de voyager dans sa tête. La drogue semble très prisée pour ces voyages aux confins du «soi» profond. Dans le paradis artificiel, on ne se sent pas si seul. Pendant que nous, glorieuse jeunesse des réseaux sociaux anonymes, communiquons à la pelle, près de trois cent personnes de cinquante-cinq ans et plus se suicide dans la solitude de leur chambre chaque année.

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