Photomontage - Alice Beaubien

Winnie Mandela : à jamais gravée dans la mémoire

À l’hôpital de Netcare Milpark, à Johannesburg, Nomzamo Winifred Zanyiwe Madikizela Mandela s’est éteinte à 81 ans. Après s’être battue toute sa vie pour la liberté de son peuple, elle s’est battue aussi contre une maladie depuis des années. Le 2 avril, les Sud-Africains et Sud-Africaines sont sorti(e)s dans les rues pour danser, pleurer et chérir sa mort. On la surnomme la mère de la nation, son ex-mari est Nelson Mandela et on l’appelle Winnie Mandela.

Plus qu’une ex-épouse, une combattante incontestable

Nomzamo Winifred Zanyiwe Madikizela est née dans le village de Mbongwenzi à Bizana, dans la province du Cap-Oriental (sud) le 26 septembre 1936. Une époque pendant laquelle l’apartheid est en place depuis déjà plusieurs années. Déterminée à compléter ses études malgré les obstacles, elle fréquente l’école de Shawbury à Qumbu et termine ses études à Johannesburg.

Madikizela devient la première assistante noire dans un hôpital à Soweto, le ghetto noir de Soweto. Son intérêt pour la politique est apparu lorsqu’elle réalise le taux élevé de mortalité infantile. Cette mortalité est due à la pauvreté, l’isolement et le racisme. Deux ans plus tard, elle rencontre l’amour de sa vie, Nelson Mandela, qui demeure un des grands leaders internationaux. Son nom de famille devient Mandela à la suite de leur mariage en 1958, c’est à ce moment que son nom plus connu est Winnie Mandela.

À cette époque, son mari est un des grands leaders du groupe révolutionnaire Congrès National Africain (ANC), elle-même luttant à ses côtés. Les luttes révolutionnaires afrikanners et des leaders noirs portaient la mentalité qu’une femme devait rester à la maison, à quoi Madikizela n’a jamais voulu se conformer.

Pendant des dizaines d’années, les principaux dirigeants de l’ANC ont été exilés et emprisonnés, dont Nelson Mandela, dans l’île prison de Robben Island. Winnie Mandela, mère de deux filles, a alors pris les relais pour entretenir la lutte antiapartheid. Durant les vingt-sept ans d’emprisonnement de Nelson Mandela, Winnie devient l’une des principales figures du mouvement ANC. Le documentaire Winnie montre une figure inspirante pour les militants, mais une menace pour la sécurité et la loi et l’ordre qui maintient l’apartheid.

Les autorités se sont assurées de confiner Winnie à ses luttes et ses revendications. Elle a été mise en prison à trois reprises dont l’une, pendant deux semaines, lorsqu’elle était enceinte.

Malgré tout, Winnie a réussi à diriger une armée de résistance et revient en Afrique du Sud dans les années 1985-86. Tout en assurant la transmission des informations lors de ses visites à Mandela, elle dirige le mouvement afin d’amener sa libération. Sa résistance, son courage et sa résilience ont aidé en grande partie sa libération, en 1990. Un an plus tard, la loi de l’apartheid est abolie.

Sa radicalisation et son profond désaccord avec Nelson Mandela

La libération de Nelson Mandela est le commencement d’une chute chez Zanyiwe Madikizela. Dès les années 80, on considère son discours plus violent et radical, en particulier son discours en 1986 qui souhaite « libérer ce pays avec des allumettes », une référence au supplice du « collier » enflammé autour du cou des « traîtres ». Des accusations qui l’amènent à être jugée et condamnée pour six ans de prison pour l’enlèvement de quatre jeunes et pour le meurtre de Stompie Sepei, un jeune militant de 14 ans tué par Le Mandela United Football Club, dont elle était présidente.

Entre 1991 et 2003, des accusations de scandales, de corruption, de mauvaises gestions, d’insubordination et, selon la Commission de Vérité et de Réconciliation (TRC), de violation des droits de l’homme, sont portées. Ces accusations l’amènent à être démise de ses fonctions dirigeantes à l’ANC (1992), renvoyée comme vice-ministre de la Culture dans le premier gouvernement postapartheid après un voyage au Ghana non réglementaire (1994), tout en demeurant député et présidente de la Ligue des Femmes.

Ces controverses affectent la présidence de Nelson Mandela et leur relation se termine avec une séparation, suivie quatre ans plus tard d’un divorce. Les deux grands militants sont en désaccord sur plusieurs aspects, mais surtout la manière d’établir une réconciliation : il voulait la paix, elle voulait la justice. Elle déclare que l’accord entre son ex-mari devenu premier président noir du pays et les blancs pour terminer la ségrégation raciale est une trahison, un mauvais accord pour les noirs et un abandon de Nelson Mandela.

Le pardon

Lors de son dernier entretien avec Jeune Afrique accordé au journaliste François Soudan, le 27 septembre 2017 dernier, elle persiste à dire que son ex-mari a commis de graves erreurs en négociant l’élection du parlement au scrutin proportionnel avec « le pouvoir blanc » pendant que, selon elle, le capital reste entre les mains de la minorité blanche.

Elle continue de dire que la réconciliation n’était qu’une façade que les dirigeants de l’époque voulaient faire croire au peuple, le soi-disant arc-en-ciel. « Nous ne sommes pas libres, car nous n’avons pas la liberté économique. Nos gouvernants n’ont jamais eu le courage d’affronter la question du racisme. Or les incidents où les Noirs sont traités comme des esclaves, comme des animaux, avec des insultes comme “singes” ou “négros”, se multiplient. C’est extrêmement inquiétant. Il faut impérativement revisiter notre passé et corriger nos erreurs », soutient-elle, critiquant fortement le parti de l’ANC et ses échecs en donnant comme exemple qu’aucune personne blanche n’est dans son ghetto, le Soweto, un township crée par le régime apartheid afin d’y installer les noirs.

Après toute une vie d’épreuve, elle réussit à pardonner à ses opposants pour elle, mais surtout pour ses petites filles. La bataille qu’elle a menée pour la libération de son peuple demeure « une source puissante de bonheur ». Malgré le regret, alors qu’elle se sentait obliger de continuer le combat, elle n’a aucun remords.

Un modèle pour le continent et le monde

Winnie Mandela est une icône de la lutte antiapartheid, cependant, il y a un mais. À l’annonce de sa mort, Lucie Pagé, ancienne correspondante de Radio-Canada et auteure de Mon Afrique, observe, dans une entrevue au réseau nationale, que les habitants « marchent sur des œufs » lorsqu’on parle d’elle. « Évidemment on salut son courage, un courage extraordinaire […] mais on mentionne entre parenthèses ses actions controversées », explique Lucie Pagé.

À la journée de sa mort, le président sud-africain Cyril Ramaphosa souligne sa mémoire comme étant « une voix du défi et de la résistance ». Elle a inspiré l’ex-archevêque anglican et prix Nobel de la Paix, Desmond Tutu, en devenant un modèle pour les femmes en partageant le message qu’il faut toujours se tenir debout devant les plus grandes injustices.

L’apartheid est loin d’être terminé

Il est important de connaître le système d’apartheid afin de comprendre la situation actuelle. Ce régime a souvent été expliqué de manière simpliste, alors qu’il était plus compliqué et plus tragique. Trevor Noah explique bien ce système raciste dans son livre Born a crime, stories from a south African South. Il définit l’apartheid comme étant un parfait racisme. Un système ayant en même temps une déportation forcée des populations noires, de l’esclavage et de la ségrégation. Une histoire ségrégationniste selon laquelle les noirs et les personnes de couleur étaient réduites à un statut de sous-citoyen pendant des décennies.

Dans l’article du 9 février 2015 de Jeune Afrique intitulé « Afrique du Sud: l’introuvable identité commune Noirs-Blancs », Anele Mtwesi, chercheuse à la fondation Helen Suzman, souligne que les tensions raciales reviennent à la surface depuis quelques années et sont particulièrement visibles. Malgré le projet de réconciliation depuis 1990, il y a encore un long chemin à faire.

Consulter le magazine