Critique littéraire: Mektoub de Serge Lamothe

Valse à travers l’impossible

Comment éviter l’inévitable? Si notre voie est tracée d’avance, que pouvons-nous y faire? Ode au destin qui unit deux existences qui ne se rejoindront jamais, Mektoub est la toute dernière parution romanesque du prolifique et talentueux auteur Serge Lamothe parue chez Alto.

ALTO-Mektoub-COUV.inddJuillet 2016, un homme ne se pose plus de question. Si le monde dans lequel il vit est en déroute, ce matin-là, ça n’a plus d’importance. Quarante ans plus tôt, dans un Montréal survolté par les Jeux olympiques, un accident de la route empêche sa rencontre avec une femme. Cet homme et cette femme avaient rendez-vous. L’un d’eux ne s’est jamais présenté. Un fourgon fauche un piéton, une piétonne, les deux peut-être. On ne sait plus. Sans cet aléa du destin, leur histoire ne serait jamais possible.

Conte de fée à rebours

Alimentée, entre autres, par l’astrologie et des croyances inuites, cette histoire est d’abord celle d’un amour fort malgré son caractère impossible. « Ce carnaval, cette mise en scène colorée et assourdissante, dit quelque chose de précis: que nos vies sont des contes de fées. »

Par un souci de réalisme et une prose habile, l’auteur est en mesure de nous présenter l’invraisemblable comme étant résolument plausible. Les questionnements sur la nature des évènements sont rapidement évacués et le lecteur est alors invité à naviguer à travers les méandres d’une union qui ne cesse de ne pas arriver.

Au lieu d’expliquer, le roman prouve. Il nous prouve l’ampleur que peut avoir l’amour. Chaque page ne fait qu’alimenter cette irréconciliable fusion de deux êtres qui ne se rencontreront jamais. Ils sont promis l’un à l’autre, même si leur destinée les sépare à jamais. « Je te devine, je t’invente », lui dit-il, puisqu’il ne la connait pas.

Deux histoires

Les deux parties qui composent le roman sont en fait deux monologues que l’homme fait à la femme et vice-versa, sans qu’ils ne puissent se répondre. Si les moments où ils s’adressent directement à l’autre sont forts et chargés en émotion, ceux plutôt biographiques demandent d’être patient. Ces segments plus impersonnels font grandement contraste avec ceux où les deux êtres se rapprochent l’un de l’autre.

Néanmoins, la persévérance du lecteur est récompensée lorsqu’on découvre avec quelle finesse l’auteur a tissé cette toile qui, au final, relie tous les éléments épars que l’on croise en cours de lecture.

On apprécie aussi les quelques pointes de cynisme dispersées ici et là sous formes de remarques politiques. Elles nous arrachent un sourire et détendent du coup l’atmosphère, sans sortir complètement de l’intrigue. Au final, on apprécie grandement ce dernier opus de l’auteur québécois. Sa force d’évocation et l’intrigue finement construite nous enchantent.

4/5
Mektoub
Serge Lamothe
Alto
Paru le 27 septembre
Consulter le magazine