L’inexplicable

Il y a une lettre. Un manifeste personnel, celui d’un être dérangé, qui écrit et récite sa haine du monde, des femmes, avant de la transposer dans une arme semi-automatique et prendre le chemin de l’École Polytechnique, à Montréal. C’est tout ce qu’on apprendra sur le tueur. Car bien avant d’essayer de démystifier la psychologie d’un être prisonnier de la spirale de la haine, Polytechnique est un hommage, un baume à ceux qui ont vécu le drame de près ou de loin.

Denis Villeneuve a tout lu ce qui lui est tombé sous la main : rapports de psychiatres, de psychologues, de sociologues et de policiers. Qu’est-ce qui en est ressorti? Rien. «Ce personnage est fou, il bascule dans une espèce de folie fasciste. Il se fait un ordre du monde selon ses désirs. Il se dit que tous les malheurs du monde sont à cause des filles qui ont essayé d’évoluer. Cette folie ne s’explique pas. Il y a trop de trucs à expliquer et à la fin, nous aurions été encore dans l’erreur. Je trouve que ça aurait été rassurant de trouver une réponse. Les réponses rassurent, mais il n’y en a pas. Je trouvais plus effrayant, plus près de la réalité de ne pas expliquer», raconte celui à qui l’on doit les films Un 32 août sur terre et Maelström.

Œuvre de sobriété, Polytechnique s’articule pourtant autour du thème de la colère. Denis Villeneuve a tenté de trouver l’équilibre du rôle de la violence dans le film, avouant avoir enlevé plusieurs images trop fortes lors du montage final. Malgré tout, aussi violent puisse-t-il être, le long-métrage ne fait pas uniquement du tueur un monstre meurtrier. «Je suis parti de l’humain. Pour moi, c’était plus intéressant de l’aborder de cette façon, partir de quelqu’un qui a eu des problèmes à s’intégrer dans la société, des problèmes familiaux et des troubles avec les femmes. Nous voulions présenter le personnage d’une façon complexe. Pour que ça ne soit pas unidirectionnel. C’est dramatiquement plus fort que d’en faire seulement un monstre, affirme de son côté Maxim Gaudette, qui avoue avoir joué le rôle le plus difficile de sa carrière. C’est un rôle douloureux pour un film douloureux.»

L’amour dans tout ça
Pour les survivants, le film ravivera d’affligeants souvenirs ou au contraire, mettra un baume sur leurs blessures. Pris par l’étonnement et la peur, plusieurs hommes étaient sortis d’une classe et avaient laissé les étudiantes seules avec leur destin cruel. Scène d’une infinie violence, elle était nécessaire aux dires de Villeneuve : «Je voulais aller là. J’avais la conviction profonde qu’il fallait montrer la force de la charge. Ça désagrège toute forme de discours qui pourrait se rapprocher de celui du tueur. C’est d’une violence, d’une telle déshumanité. J’avais envie de montrer qu’est-ce que sont des fusils semi-automatiques sur des gens sans défense.»

Le réalisateur affirme que cette scène était également nécessaire pour les garçons présents : «Ces gars-là avaient envie de partager ce qu’ils ont vécu. On montre comment ça a été dramatique pour eux, comment ils se sont senti humiliés, comment c’était impossible de réagir sur le coup. Il y en a qui ont agi, mais ils ne pouvaient pas faire grand chose». Sans verser dans la violence inutile, Villeneuve fait valoir que ce genre de film nécessite, pour un réalisateur, d’y aller avec son cœur et de baliser ses propres limites : «C’est paradoxal, mais on a essayé de mettre le plus d’amour possible dans ce film».

Violence
Vingt minutes d’horreur qui ont duré des heures. Des années perdues, pour les survivants et proches des victimes, à essayer de traverser l’inévitable vide qui accompagne la folie humaine. En 80 minutes, Denis Villeneuve et ses collaborateurs ont fait le pari audacieux de scénariser cette inexplicable soirée du 9 décembre 1989, où 14 jeunes étudiantes ont péri sous les balles de Marc Lépine.

Il y a d’abord eu le débat à savoir si ce film était nécessaire, s’il devait être présenté ou pas. En fait, la question serait plutôt de savoir pourquoi ne pas avoir fait Polytechnique avant. Non pas que le film est un chef d’œuvre. Il ne l’est pas. Au mieux, Polytechnique est un bon film. Un bon film qui réussit à dénuder la violence, sans mise en scène et sans explication. Un film qui nous montre à quoi cette soirée a ressemblé. En images, Denis Villeneuve et ses complices réussissent admirablement à démontrer l’instant où la naïveté de l’être perd son combat contre à la haine. Il y réussit, seulement parce que nous savons que c’est arrivé. Tout en contradiction, Polytechnique s’immisce entre le film et le documentaire. Pas un film, car il n’y a pas d’histoire, mais non plus un documentaire, puisque l’œuvre de Villeneuve raconte la mort et la vie, tout en fluidité et en silence. Et puis, il y a les remords. Les remords d’hommes qui, au tout début de la destruction, n’ont pas cru à la tuerie; les remords de ces survivants qui ont laissé leurs amies face au danger d’un homme qui avait déjà tout perdu, habité par la colère et la haine des femmes.

Si l’équipe de production est parvenue à bien exploiter la violence, il n’en est pas tout à fait ainsi de la périphérie dans laquelle tout ça est présenté. La romance entourant le drame est quelque peu maladroite, tentant sans grande conviction, de mettre de l’avant la question des inégalités hommes-femmes. Le personnage de Marc Lépine est habilement joué par Maxim Gaudette qui, sans dire mot, nous rappelle le fait que la violence est aveugle.
 

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