Pour croire encore au pouvoir des mots

Un enfant à ma porte n’est assurément pas aussi fort que L’ingratitude, mais il faut reconnaître au dernier roman de Ying Chen de nombreuses qualités. C’est un roman qui fait croire au pouvoir des mots.

Une femme trouve un enfant à sa porte. Son mari et elle choisissent de l’adopter. Ce qui devrait faire parler avec Un enfant à ma porte, c’est le propos du roman. En traitant de l’impossibilité d’être mère, Ying Chen donne à lire des phrases troublantes, assumées par les personnages de la fiction. Pourtant, même si certains passages puissants pourraient en choquer quelques-uns, il n’y a rien de très provocant dans Un enfant à ma porte. Comme si le roman n’avait pas osé aller au bout des possibilités que lui offraient l’histoire et ses personnages. Cette timidité est fort décevante, puisque l’on annonçait en quatrième de couverture quelque chose de «dérangeant, choquant, scandaleux».

Mais si on oublie un instant les attentes que l’on avait, si on se laisse emporter par la syntaxe et le style de Ying Chen, la déception se transforme rapidement en plaisir de lecture immense. Il y a quelque chose dans le phrasé particulier de ce roman qui appelle un état de quasi-contemplation, un état silencieux et rêveur. Lire Un enfant à ma porte est une expérience presque mystique.

Est-elle réelle, cette femme sans nom qui se compare sans cesse à un squelette ou à un ver à soie? A-t-elle vraiment trouvé cet enfant sur le pas de sa porte? N’est-ce pas plutôt le récit d’un long délire? Ces questions perdent toute leur importance et le réel devient on ne peut plus secondaire puisque ici, c’est le langage qui opère à pleine capacité.

Il ne faut pas lire Un enfant à ma porte pour l’histoire racontée. Il faut lire ce roman pour le plaisir de tomber face à face avec des phrases pleines, des phrases gorgées, des phrases comme celle-ci : «Or, je me suis dit, en le prenant dans mes bras, que tout pouvait arriver à n’importe quel moment, qu’un petit accident comme celui-ci était révélateur, qu’il suffisait d’un cheveu, d’un pouce, d’un seul instant, d’un minuscule écart dans le temps et dans l’espace pour que l’infini s’introduise, pour que tout soit changé irréversiblement, que la vie nous glisse entre les doigts à une vitesse accélérée, que l’univers s’écroule, que l’enfant soit séparé de moi à jamais».

Un enfant à ma porte n’est pas ce que Ying Chen aura fait de mieux. Mais il s’agit quand même, après tout, d’un très beau roman.
 

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