Baigner dans Les Sangs

Voyeur. Tu te plonges dans la chair, dans la peau, dans les mots de ces femmes que tu trouves élégantes ou grotesques. Tu feuillettes leurs espoirs insensés indifféremment de leurs peurs. Secrètement. Le nez, les yeux, toi tout entier plongé dans l’intime de leurs journaux. Dans leurs dernières heures. Les pages des Sangs te sont un miroir sans tain.

Amoral. Tu faisais la différence entre l’amour et la violence. La ligne était claire, bien tracée, évidente. Mais tu as usé tes doigts sur ces pages et maintenant, tu ne sais plus. Ce n’est plus une question qui se pose si facilement que tu dis.

Vorace. Inatteignable dans ton fauteuil, tu n’as l’air de rien vu de loin. Mais tu es à son image : un prédateur. Toi aussi, toutes les sept, elles te révèlent à toi-même de vieux secrets, des fantasmes gênants. Toi aussi, toutes les sept, elles t’émeuvent. Pourtant, tu ne fais rien. Tu pourrais rabattre la couverture. Cesser de donner vie aux mots qui s’agrippent à tes yeux. Stopper ta lecture. Sauver leur peau. Mais quelle idée… Tu es tout à fait comme lui : tu ne résistes pas à l’envie de te repaître d’elles. Tu n’essaies même pas. Tu veux goûter au tragique. À l’absurde. À l’impérissable. Au beau. Et la table est si bien mise…

Désinvolte. Tu n’as pas lu Oss avant de goûter Les Sangs. Ou peut-être l’as-tu fait. De toute façon, tu le feras sûrement après. Et puis, faire les choses dans le désordre ne te dérange pas. Tant qu’elles se font. Et tu ne sais rien d’Audrée Wilhelmy. Tu n’as pas cherché à savoir non plus. Ni les chemins qu’elle ne court ni d’où elle tire son talent. Tu aurais dû. Peut-être que tu aurais laissé son livre traîner moins longtemps avant de t’y perdre. Ça t’aurait évité de tacher la couverture de café.

Pour t’épargner la recherche, parce que tu paresses aussi un peu, elle entame un doctorat en études et pratiques des arts. Et ne cherche pas autour de toi, c’est entre les murs de l’UQAM qu’elle déambule en attendant qu’on lui apprenne que c’est elle qui remporte le Prix du Gouverneur général du Canada pour son premier roman.

Et tu crois encore que ça ne s’adresse pas à toi.

Menteur. Tu dis ta bibliothèque pleine, ton esprit déjà lourd de tes notes et de tes cours à peine entamés. Tu répètes que le temps file entre tes doigts et que non, Les Sangs, tu ne le liras pas. Mais sache que les pires mensonges sont ceux que l’on se raconte à soi-même.

Vickie Bonsaint

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