Photo : Archive, Claudy Rivard

Bienvenue chez Hamac, Clara

Hamac, maison d’édition reconnue pour ses publications au contenu percutant, accueille en sa demeure le dernier-né d’Anne Peyrouse, Tu ne tueras point. Disponible en librairie depuis le 30 janvier 2018, le roman adopte une forme hybride. La poésie et la prose y cohabitent pour dévoiler un univers tout en couleurs.

Chargée d’enseignement en création littéraire à l’Université Laval, l’auteure prend la plume pour une nouvelle aventure qui loge, cette fois-ci, à l’enseigne du roman. Elle n’en est pas à sa première publication, celle qui fraie avec les essais, les recueils de poésies, de nouvelles ou les anthologies sur le slam. Récompensée à plusieurs reprises pour sa plume, elle a notamment remporté le Prix Piché de poésie, le prix Félix-Leclerc, en plus du Prix d’innovation en enseignement de la poésie.

Tu ne tueras point

Ce roman, met en scène Clara, maman maman, une jeune femme, envahie par le quotidien dans lequel elle est empêtrée. Tour à tour, elle sera amante, épouse, mère, sœur, dans l’ordre et dans le désordre. Accompagnée d’une hermine blanche, Ibil, qui la protège tel un chevalier, elle livre un combat à ce qu’elle croit devoir être son destin de meurtrière. Quand « souffle respire » ne réussit plus à la calmer, elle prend le large et part, peut-être à la recherche d’elle-même, mais surtout pour en finir avec ce qu’elle s’est créée comme réalité.

Dans cette fuite, l’attachante et inquiétante Clara s’abandonne en quête d’elle-même au risque de se perdre pour se retrouver. « Je porte la mémoire de ma fuite comme une lame mal affûtée ». Cette lame, tributaire du traitement maternel, peut-être, a laissé des traces, visibles et invisibles, qui s’agglutinent pour forger une personnalité cabossée : « la mère avait structuré leurs vies en construisant des fondations de ferraille aiguisée ».

Le frère, Maxime, Max, survivant, protégé par la sœur, mange lui aussi des claques, des insultes, de la terre qu’il creuse, sans arrêt. Seule Clara a accès à son carré de sable, lieu de repos et où se trouve, peut-être, le cœur de la mère. « Il n’y a rien; des trous, des crevasses, des fissures vides ou vidées. C’est ça, le cœur maternel ». Enfoui dans le sol, le petit Maxime repousse la propreté, l’enfermement, s’approche du Grand Canyon, un peu.

Origines

La prolifique enseignante de l’Université Laval ose dans cet ouvrage à un point qu’il est difficile d’imaginer. Elle ne fait aucun compromis, ni sur la forme, ni sur le propos. « Il est rare d’envisager une femme poursuivie par son destin de meurtrière et de s’y attacher, de tenter de la comprendre comme un être totalement existentiel et poétique », mentionne la maison d’édition Hamac.

Mme Peyrouse propose une narratrice, mère, emprisonnée dans un désir de violence, de vengeance et de liberté. La quête de cette femme, presque identitaire, emmène le lecteur sur un terrain inattendu. La plume, précise, nécessite très peu de mots, parfois, pour atteindre sa cible. L’auteure joue avec la forme tantôt poétique du langage et réussit à relancer l’écriture d’un chapitre à l’autre. Les phrases sans ponctuation ni majuscule confèrent au tu une personnalité distincte, explicite, ce qui contribue à créer une langue vive et colorée.

Sans toit ni loi

Le discours, très cru par moment, entraîne le lecteur dans un tourbillon descriptif qui réussit à mettre en image le propos. Une des forces de l’écrivaine est de se jouer du lecteur, lui donner un fil, et sans crier gare, le couper. Une phrase, toute petite, presque invisible, chamboule tout. Le récit bascule et la charge émotive qui y est liée se décuple jusqu’à plus capable. Poser l’ouvrage et respirer s’impose. Ouvrir Tu ne tueras point, c’est cheminer à l’aveugle, faire confiance et s’abandonner sur un terrain glissant, mais accepter de se laisser surprendre, tout doucement.

Mme Peyrouse avoue préférer la lenteur de l’écriture. Celle qui travaille les brèves, aura mis cinq ans à compléter ce roman. Elle a pris son temps, a pesé chaque mot, chaque phrase, accompagnée par son éditeur qui l’a poussée, à quelques reprises à « aller au bout, à ne pas se censurer ». Elle affirme aimer la forme hybride et déplore le cloisonnement dans lequel se retrouve trop souvent la littérature. Elle souhaite voir plus d’œuvres qui osent une forme éclatée. Est-ce que le pari est réussi dans Tu ne tueras point? Sans aucun doute.

La tentation de toi

Le lire? Absolument.

Tu ne tueras point dérange et ne laisse certainement pas indifférent, mais y plonger, c’est y mettre un peu de lumière. Il faut aller au bout de la lecture pour assembler tous les morceaux de la personnalité de Clara et l’aimer. Beaucoup.

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